Le nouveau projet de loi québécois de langue française à la loupe





Simon Jolin-Barrette, ministre québécois responsable de la langue française, prend la parole au début d'un comité législatif étudiant un projet de réforme de la loi sur la langue française, le mardi 21 septembre 2021, à l'Assemblée législative de Québec.  LA PRESSE CANADIENNE/Jacques Boissinot

Simon Jolin-Barrette, ministre québécois responsable de la langue française, prend la parole au début d’un comité législatif étudiant un projet de réforme de la loi sur la langue française, le mardi 21 septembre 2021, à l’Assemblée législative de Québec. LA PRESSE CANADIENNE/Jacques Boissinot

MONTRÉAL – La refonte proposée par le Québec de sa charte de la langue française est examinée à la loupe lors des audiences législatives, les participants ayant soulevé cette semaine des inquiétudes quant aux effets du projet de loi sur les anglophones et l’indépendance de la magistrature.

Déposé en mai, le projet de loi 96 est le plan du Québec visant à améliorer la loi 101, la charte de la langue française de la province adoptée pour la première fois en 1977 par le gouvernement de René Lévesque.

Le gouvernement du premier ministre François Legault a décrit sa proposition de réforme comme une réponse raisonnable aux études du bureau de langue française du Québec qui indiquent que le français est en déclin dans la province, en particulier à Montréal.

« Le moment est venu d’agir avec force », a déclaré Simon Jolin-Barrette, le ministre chargé de la langue française, en début d’audience.

Le projet de loi fait toujours son chemin dans le processus législatif, mais a attiré l’attention nationale lors du débat électoral fédéral de langue anglaise. Le modérateur Shachi Kurl a décrit la loi 96 comme l’une des deux lois « discriminatoires » au Québec, l’autre étant la loi 21, qui interdit à certains travailleurs du secteur public de porter des symboles religieux au travail.

Le projet de loi 96 vise à modifier unilatéralement la Constitution canadienne pour affirmer le Québec en tant que nation et le français sa langue officielle. Il comprend également 200 amendements qui visent à renforcer le statut du français. Ils comprennent un appel à des lois plus strictes sur les signes, plus d’exigences linguistiques pour les entreprises et moins d’accès aux collèges juniors de langue anglaise.

Le gouvernement Legault a invoqué la clause nonobstant de la Constitution canadienne pour protéger le projet de loi contre les contestations fondées sur la Charte.

Le Quebec Community Groups Network, un organisme-cadre représentant les organismes de la communauté anglophone, a demandé au gouvernement Legault de retirer le projet de loi ou du moins de retirer la clause nonobstant.

« Le projet de loi 96 propose la refonte la plus complète de l’ordre juridique du Québec depuis la Révolution tranquille », a déclaré Marlene Jennings, directrice générale du réseau, lors des audiences. « Un changement de cette ampleur nécessite de sérieuses discussions et débats au sein de la société québécoise.

Jolin-Barrette a déclaré que les institutions anglophones seraient respectées.

« Je veux rassurer la communauté anglophone … ce projet de loi est pour l’inclusion, pour inclure tous les Québécois du Québec, que tout le monde fait partie de la société », a-t-il déclaré. « Nous ne retirons aucun droit à personne dans ce projet de loi.  »

Le réseau a convenu que la protection de la langue française est importante, mais il n’était pas d’accord sur le fait que le français était en déclin dans la province. Le groupe a également demandé au gouvernement de demander un renvoi à la Cour d’appel du Québec sur la constitutionnalité et le sens de la modification de la Constitution.

L’Association du Barreau du Québec a déclaré lors des audiences qu’elle craignait que le projet de loi ne porte atteinte à l’indépendance de la magistrature, car il supprime l’obligation pour les juges de la province d’être bilingues.

L’association a également contesté un article du projet de loi selon lequel la version française des lois aurait préséance sur les traductions en anglais, ce qui, selon elle, pourrait constituer une violation de la Constitution. L’article 133 de la Constitution stipule que les lois fédérales et québécoises doivent être édictées dans les deux langues, et cet article ne relève pas de la clause nonobstant.

De son côté, le Conseil de patronat, qui représente les employeurs du Québec, a soulevé des inquiétudes quant à l’impact du projet de loi sur les petites entreprises. Le projet de loi 96 oblige les entreprises de 25 employés ou plus — au lieu de 50 employés — à fonctionner en français, ce qui crée plus de paperasserie pour les petites entreprises.

Et une partie du projet de loi limiterait la capacité des entreprises à exiger des candidats qu’ils parlent une langue autre que le français, ce que le conseil des employeurs a déclaré ne tient pas compte de l’impact sur les entreprises qui font des affaires dans le reste du Canada ou à l’étranger.

La responsabilité incombe aux entreprises elles-mêmes, qui doivent démontrer qu’elles ont pris « tous les moyens raisonnables » pour éviter d’exiger la connaissance d’une autre langue que le français.

« Cette mesure pourrait aussi avoir pour effet pervers de limiter l’embauche de certains candidats, notamment parmi les populations marginalisées », précise le conseil. « Dans une économie mondialisée comme la nôtre, parler plus d’une langue a une valeur ajoutée et ne doit pas être pénalisé.

Un autre point de discorde est l’accès aux collèges juniors anglophones, connus sous le nom de cégeps. Les partisans de la langue dure, comme la Société Saint-Jean-Baptiste, soutiennent que l’accès à ces écoles devrait être strictement limité et relever de la charte, qui interdit actuellement à la plupart des francophones et des immigrants de fréquenter les écoles primaires et secondaires anglophones.

Le gouvernement a choisi une approche modérée, refusant d’étendre la charte aux collèges juniors mais introduisant des plafonds sur le nombre d’étudiants qui peuvent y assister.

Guy Rocher, universitaire et sociologue et architecte du projet de loi 101, a déclaré lors des audiences que le gouvernement avait commis une erreur en 1977 en n’incluant pas les collèges juniors dans la loi linguistique originale. Rocher, aujourd’hui âgé de 97 ans, a laissé entendre que le gouvernement de l’époque n’avait aucune idée de l’importance que prendrait le système des collèges juniors.

« Les choses ont changé, le contexte a changé, dit Rocher. Si je suis ici, c’est parce que je m’inquiète pour l’avenir de la langue française. À mon âge, j’ai le droit de m’inquiéter pour l’avenir.

Les consultations se poursuivent jusqu’au 7 octobre.

Ce rapport de La Presse Canadienne a été publié pour la première fois le 1er octobre 2021.

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