Les trésors de l’économie bleue: la partie la plus bruyante de la mer se trouve au large de nos côtes


Oubliez cette playlist de chants de baleines apaisants. La mer est tout sauf silencieuse et sereine. Sous la surface, le bruit est un problème grandissant, en particulier en mer du Nord, l’une des plus fréquentées du monde. Les nouvelles technologies devraient nous permettre de changer les choses.

L’artiste slovène Robertina Šebjanič me tend un casque audio. Nous sommes sur un bateau, à quelques kilomètres au large d’Ostende. La mer est recouverte d’un épais brouillard, et distinguée à peine les autres navires. Šebjanič vient d’immerger un petit micro sous-marin, appelé hydrophone. Lorsqu’un bateau de l’école navale passe à proximité, on peut entender le bruit sourd du moteur dans l’air. Mais à travers les écouteurs, sur une impression de se trouver au milieu de la salle des machines. « Ce bateau peut s’entendre à des kilomètres à la ronde, explique Šebjanič. Le bruit se déplace plus vite et plus loin sous l’eau. »



« Lorsque les gens pensent aux dangers de la vie marine, il leur vient immédiatement à l’esprit les changements climatiques, la pollution par le plastique ou la surpêche. On sous-estime clairement la pollution sonore. »


Robertina Šebjanič

Artiste slovène menant des recherches sur le son

L’économie marine: la mer du Nord, nouveau territoire

Šebjanič parcourt le monde depuis des années pour enregistrer les bruits sous-marins. Elle mène ses recherches avec une équipe de scientifiques. « Lorsque les gens pensent aux dangers de la vie marine, il leur vient immédiatement à l’esprit les changements climatiques, la pollution par le plastique ou la surpêche. On sous-estime clairement la pollution sonore. « 

Ce problème est sous-estimé parce que méconnu. Ce que l’on sait en revanche, c’est que les bruits environnants perturbent la vie marine. Non seulement parce que impact du bruit est plus important sous l’eau – le bruit se déplace environ quatre fois plus vite sous l’eau – mais aussi parce que le son constitue le principal moyen de communication de la faune sous-marine.

Les animaux marins utilise l’acoustique pour s’orienter, trouver de la nourriture, ou avertir leurs congénères en cas de danger. Si les sons qu’ils émettent sont couverts par d’autres bruits, ils peuvent tomber malades, souffrir de surdité temporaire ou être désorientés. Des études ont déjà représenté que les moules grandissaient plus lentement, et que les poissons formaient des bancs plus petits, se reproduisaient moins et se laissaient plus facilement capturer.

150

espèces marines

L’Organisation mondiale de la santé estime que la pollution acoustique menace 150 espèces marines.

L’Organisation mondiale de la santé estime que la pollution acoustique menace 150 espèces marines. En savoir plus sur ne sait pas grand-chose de la nature exacte du problème et de la façon dont il se propage. Des projets de recherche comme Jomopans (Programme conjoint de surveillance du bruit ambiant en mer du Nord), dont la Belgique est partenaire, doivent aider à le comprendre. Jomopans s’est donné comme objectif de cartographier les bruits sous-marins dans toute la mer du Nord.

Des pics dus au transport maritime

La mer du Nord, une des zones maritimes les plus fréquentées et les plus exploitées au monde, est particulièrement sensible à la pollution sonore. Ces dernières décennies, les activités se sont énormément intensifiées: trafic maritime, construction d’éoliennes, exercices de tir militaire, utilisation de systèmes de sonar par les pêcheurs et, au large, fourrage pétrolier et gazier. Avec le bruit supplémentaire qui en résulter.

3,5

millions d’euros

Le système de contrôle permanent de Jomopans a besoin d’un investissement de 3,5 millions d’euros.

Le système de contrôle permanent de Jomopans a besoin d’un investissement de 3,5 millions d’euros. Il utilise de nouvelles techniques de mesure et des modèles avancés qui tiennent compte de la constante évolution de la dynamique en mer (vent, vagues, météo). 14 stations de mesure ont été installés dans toute la mer du Nord, dont la plateforme Westhinder, au large de la côte belge.

À la fin de l’année dernière, Jomopans a réussi pour la première fois à quantifier le problème de pollution acoustique. Le transport maritime est clairement la principale source de pollution: la route maritime la plus fréquentée du monde – la Manche – est responsable des plus importantes photos de pollution sonore dans la partie méridionale de la mer du Nord, c’est-à-dire au large de la Belgique.

Les résultats de cette étude nous poussent à l’action, estime Wilfried Lemmens, le patron de l’Union Royale des Armateurs belges (UBA). « Il faut bien entendu agir, continue-il. Nous avons collaboré avec le bureau d’étude TNO, pour explorer ce que nous pouvions faire. « 

Réduire la vitesse des navires

Une des options – la plus facile – consiste à ralentir les navires. Cela réduirait les nuisances sonores et aurait comme autre avantage de diminuer la consommation de carburant et les émissions de CO2. En vitesse de 25%, la distance de communication des animaux marins augmentait de 20 à 40%. Mais cette mesure a un prix: un navire plus lent est moins rentable.



« La R&D est une partie importante de la solution. Nous bénéficions du savoir-faire en Belgique, et nous investissons dans les nouvelles technologies. Cela va de la modification des hélices à une meilleure isolation du moteur. »


Wilfried Lemmens

Patron de l’Union Royale des Armateurs belges (UBA)

Une autre possibilité consiste à modifier la conception des navires. Des tests réalisés sur des porte-conteneurs de la compagnie maritime danoise Maersk ont ​​représenté qu’une étrave plus convexe, des hélices différentes et des modifications au moteur réduire les émissions sonores de 75%. « La R&D est une partie importante de la solution, explique Lemmens. Nous avons du savoir-faire en Belgique, et nous investissons dans les nouvelles technologies, avec des chantiers navals et des constructeurs de machines. Cela va de la modification des hélices à une meilleure isolation du moteur. « 

Rôle d’avant-garde

Il s’agit également d ‘anticiper sur le renforcement des normes environnementales. Le ministre de la mer du Nord, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), a déjà indiqué qu’il souhaitait, avec le Canada, prendre l’initiative de la préparation de « nouvelles mesures concrètes » au sein de l’Organisation maritime internationale ( OMI), tout comme la Belgique l’a déjà fait au niveau du resserrement des normes d’émissions de CO2 dans le transport maritime. « C’est la voie à suivre, a déclaré Van Quickenborne. Les études démontrent qu’il existe des possibilités. Je souhaite collaborer avec le secteur et jouer un rôle de pionnier au niveau international. Nous devons être ambitieux. « 



« Je souhaite collaborer avec le secteur et jouer un rôle de pionnier au niveau international. Nous devons être ambitieux. »


Vincent Van Quickenborne

Ministre de la mer du Nord

Mais pour y arriver, d’autres recherches sont nécessaires, par exemple pour déterminer avec précision ce qui est acceptable en termes d’émissions sonores pour les navires. Il n’existe aujourd’hui aucun consensus scientifique. « Le plus important, c’est que les règles soient claires, ajoutent des Lemmens. Et qu’elles soient appliquées au niveau international, sinon, nous nous retrouvons en situation de désavantage concurrentiel. »

Rideaux de bulles

Si les navires sont les principaux coupables, les nuisances incluses par les travaux de construction font également l’objet d’une attention toute particulière. Pensez aux nuisances sonores provoquées par l’enfoncement des pieux pour les éoliennes. Plus les turbines sont grandes et puissantes, plus le bruit provoqué par les travaux de construction augmente. Et ces bruits font fuir les marsouins, les mammifères marins les plus courants en mer du Nord.



La Belgique travaille, comme d’autres pays, avec des valeurs seuils: certains niveaux sonores ne peuvent être dépassés.


Pour ce type de pollution, la Belgique travaille, comme d’autres pays, avec des valeurs seuils: certains niveaux sonores ne peuvent être dépasséss. Cette mesure s’est déjà traduite par des innovations comme le recours aux rideaux de bulles. Un tube perforé est placé autour de la pile et un écran de bulles est créé à l’aide d’air comprimé. Ces bulles brisent les vibrations, ce qui réduit le bruit.

Bien entendu, cette technique a un coût: un rapport de 2015 parle de 300.000 euros supplémentaires par pile. Les scientifiques sont donc à la recherche d’autres techniques. Par exemple, le spécialiste belge du dragage DEME devrait utiliser des vibro-pieux dans les eaux allemandes de la mer du Nord. Au lieu d’enfoncer un pieu préfabriqué dans le sol marin, sur installe d’abord un tube en acier, qui est ensuite rempli de béton. Le tube est ensuite retiré par vibration, ce qui réduit la pollution sonore.



« Ces nouvelles technologies sont à l’agenda de nombreux pays. La Chine, en particulier, est en train d’amorcer un mouvement de rattrapage. »


Wilfried Lemmens

Patron de l’Union Royale des Armateurs belges (UBA)

« Nous devons garder une longueur d’avance sur la concurrence, explique Lemmens. Car ces nouvelles technologies sont à l’agenda de nombreux pays. La Chine, en particulier, est en train d’amorcer un mouvement de rattrapage. « 

Une meilleure compréhension de la façon dont le son se propage dans l’eau – grâce à des projets comme Jomopans – présente également de de nombreuses opportunités. Cela peut aider à garantir les revenus de la pêche, à mieux planifier l’installation des parcs éoliens et à optimiser les routes maritimes. Elle peut également fournir des informations sur les changements climatiques. En effet, les niveaux sonores en disent long sur la force du vent ou l’évolution des températures. Et sur base des bruits, nous pouvons également prédire les tremblements de terre et les tempêtes.

Fidji

La start-up belge Marlinks en un fait d’expérience. L’entreprise développe des logiciels permettant de surveiller les câbles installés sur le fond de la mer, entre autres pour s’assurer qu’ils ne sont pas exposés. « Il y a quelque temps, nous avons testé un dispositif permettant de mesurer les vibrations sonores de ces câbles, explique Roel Vanthillo. Lors d’un de ces tests, ici en mer du Nord, nous avons enregistré un tremblement de terre aux îles Fidji. Cela a fait la une de la presse scientifique internationale. « 



Il est encore trop tôt pour de réelles applications commerciales de ce système.


Mais il est encore trop tôt pour de réelles applications commerciales de ce système. « L’étude du son est particulièrement complexe et technique, poursuit Vanthillo. Mais c’est passionnant et prometteur. « 

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