Commerçants, exploitants de salles de sport ou de cinémas … avant la réouverture, des questions persistantes


Malgré les aides de l’Etat dont ils reconnaissent sans hésitation le rôle vital pour leur activité, ce sont des entrepreneurs fragilisés financièrement, bousculés dans leur modèle économique et bénis d’avoir été classés dans les acteurs «non essentiels» de la société, qui s’apprêtent à accueillir de nouveaux clients à partir du 19 mai.

Alors que les discussions se poursuivent entre Bercy et les organisations professionnelles, nous les avons interrogés sur leurs difficultés, à court et moyen terme, et sur les soutiens qu’ils attendent des pouvoirs publics pour réussir cette reprise.

Le click and collect a sauvé les boutiques de centre-ville

Installée dans une rue commerçante du centre de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine), la boutique de vêtements de Nathalie a surmonté son triste statut de «non essentiel» grâce aux réseaux sociaux et à son réseau de fidèles clientes. «Nous sommes restés ouverts en click and collect tous les après-midi et le matin samedi, et on s’en est sorti comme ça. Si la clientèle est présente à la réouverture, ça se passe bien », présage, optimiste, la gérante de Mademoiselle Non Non.

Elle a aussi fait appel à l’aide de l’Etat, et espère bien que les recettes du click and collect d’avril-mai ne seront pas prises en compte, comme cela était le cas en 2020. Elle s’interroge aussi sur les dates de soldes: seront-elles avancées ou reportées?

«La consommation en boutique ne sera peut-être pas au même niveau qu’avant», avertit Cathy Bot, en charge des commerces à la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) Paris Ile-de-France. «Ceux qui se sont lancés dans l’e-commerce pour sauver leur activité doivent réfléchir à intégrer le numérique de manière pérenne: quelle offre, quel prix, quel temps passé».

La CCI Paris Ile-de-France leur offre un accompagnement gratuit et personnalisé pour élaborer un plan d’action.

Les fleuristes attendent les mariages

Après une année d’arrêt de ses activités événementielles (NDLR: un tiers de son chiffre d’affaires avant 2020), Aude Anglaret a proposé des compositions florales à ses clients de la restauration. «Ils ont préparé une très belle réouverture et ils comptent sur nous. Les projets sont là, les idées sont là, mais pour quand? », S’interroge la jeune fleuriste, dont la boutique, installée dans le centre-ville de Suresnes (Hauts-de-Seine), ne désemplit pas depuis qu’elle a pu rouvrir. «Les gens ont gardé cette habitude de venir chez nous en faisant leurs cours», constate avec satisfaction la jeune femme, qui enregistre 30 à 40% de passage en plus. «Mais cela ne compense pas l’événementiel», ajoute-t-elle.

Les trois mois de fermeture, l’événementiel à l’arrêt, s’ajoute la forte inflation du prix des fleurs à Rungis, font de 2020 sa première année déficitaire. «Je n’ai pas eu de problème de trésorerie et j’ai tenu à payer mon loyer. Mais j’ai fait appel au chômage partiel pendant mes fermetures et au fonds de solidarité pour compenser la perte de chiffre d’affaires. Je ne sais pas si j’y serais arrivée autrement. »

Aude Anglaret a également modifié ses habitudes: «J’ai une gestion plus rigoureuse et je fais une sélection de fleurs plus raisonnée. J’agis moins au coup de cœur ».

Quant à la reprise des mariages, elle n’y compte pas trop pour le moment. «On continue à faire des fêtes à petit budget. Mais il n’y a plus de mariage à 100 ou 200 personnes. Ceux prévus en juin-juillet sont tous reportés en septembre-octobre, voire en 2022. On fait beaucoup d’administratif. J’ai une personne qui s’occupe à temps plein de faire et refaire les devis! ».

Les salles de sport veulent des messages clairs

«Les aides nous ont permis de rester à flot, et on a jusqu’en février 2022 pour rembourser l’Etat. Mais l’assistanat, ça ne dure qu’un temps. On préférerait travailler. »Stéphane Jourdan, à la tête d’une salle de 1000 m², indépendante et familiale, dans l’Ouest parisien, attend avec impatience les consignes sanitaires pour pouvoir ouvrir, même si« l’été, ce n’est pas la meilleure période , les gens partent en vacances ».

Dans l’attente de jauges officielles, son voisin et concurrent, l’enseigne Fitness Park (234 clubs en France) se prépare à recevoir une personne pour 8 m². Le PDG, Philippe Herbette, dont la société a licencié 80 salariés sur 500, s’inquiète. «Les bailleurs n’ont pas tous consenti un effort. Si certains ont annulé plusieurs mois de loyers (3 sur 8 en moyenne) d’autres ont fait saisir les comptes des gérants de salle », regrette-t-il.

Selon le dirigeant des salles de fitness low-cost, il va falloir de longs mois pour retrouver la clientèle d’avant 2020. «Quand on va rouvrir, on va devoir des mois de report aux abonnés», note de son côté Stéphane Jourdan.

Les professionnels attendent un soutien à plus long terme. Philippe Herbette souhaiterait une nouvelle TVA (actuellement à 20%) pour le fitness, ou encore un soutien financier pour les personnes dont la santé nécessite de faire une activité physique.

Les deux hommes espèrent un message fort des pouvoirs publics, pour inciter les Français à se mettre au sport et les convaincre que les salles ne sont pas des lieux de contamination.

Commerçants, exploitants de salles de sport ou de cinémas ... avant la réouverture, des questions persistantes

Les coiffeurs craignent de ne pas retrouver leur clientèle

Entre les salons des quartiers d’affaires désertés à cause du télétravail et ceux installés dans des centres commerciaux fermés, les coiffeurs ont beau avoir été désignés «commerces essentiels» depuis le début de l’année, la reprise les concernent. Non sans quelques nœuds dans les cheveux. «Nos clients fidèles ont d’autres habitudes dans les centres-villes. Ça va prendre du temps avant de retrouver notre activité habituelle », craint Frank Provost, fondateur du groupe Provalliance et président du Conseil national des entreprises de coiffure (CNEC).

Pour les 540 salons de son groupe présents dans les centres commerciaux, il estime «qu’il y aura 30% de baisse d’activité» au début. Pour amorcer ce redémarrage et le programmer au mieux, il compte inciter sa clientèle à utiliser le système de prise de rendez-vous numérique.

Toujours en attente des indemnisations de 70% ou 90% de la perte de l’excédent brut d’exploitation (selon que l’entreprise a plus ou moins de 50 salariés) et de la prise en charge des loyers et charges sur toute la période de fermeture des salons, Frank Provost avance ses revendications. Il réclame, au nom de la branche coiffure, «un accompagnement supplémentaire du fonds de solidarité, comme pour les restaurateurs, afin d’amortir l’impact de la baisse du chiffre d’affaires de tous nos salons, quel que soit le pourcentage de ce repli. »

Les cinémas suspendus au couvre-feu

Entre un resto et une toile, que choisiront les Français? Xavier Orsel aimerait bien qu’ils puissent faire les deux… «Mais avec une jauge à 35% et un couvre-feu à 21 heures le 19 mai, puis une jauge à 70% et un couvre-feu à 23 heures en juin, on nous casse les pattes », déplore celui qui dirige deux cinémas en Ile-de-France et une troisième à Mulhouse (Haut-Rhin).

«Et pourtant, je vais rouvrir pour protéger la filière», promet-il. Il a profité des mois de fermeture pour embellir ses salles, car pour attirer les spectateurs, il faut continuer à moderniser.

«Le fonds de solidarité et le chômage partiel vont nous aider. Mais pour les investissements, on va avoir besoin des aides sectorielles du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Mais sans entrée, celui-ci ne perçoit plus de taxe (NDLR: prélevée sur chaque billet) », S’inquiète le professionnel, qui estime que la filière doit être accompagnée dans la durée.

Il redoute, après la réouverture, d’éventuels reconfinements ou couvre-feu localisés, car les distributeurs refusaient de sortir un film dans une région et pas une autre. Et des films, entre ceux qui attendent depuis des mois et ceux qui étaient programmés pour les semaines à venir, il n’y en a jamais eu autant.

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