Recruteurs professionnels ou passionnés… Comment les pays africains se renforcent avec des binationaux


Seko Fofana et Jean-Philippe Krasso (Côte d'Ivoire), Jamiro Monteiro et Garry Rodrigues (Cap-Vert), Alexander Djiku (Ghana), Iban Salvador (Guinée-Equatoriale), Pape Gueye (Sénégal), Mohamed Bayo (Guinée) , Frank Magri (Cameroun)… Tous ces joueurs partagent deux points communs : ils ont marqué lors de la première journée de la Coupe d'Afrique des nations et sont nés en Europe, où ils ont également été formés.

Dénicher et attirer des binationaux n'est pas un phénomène neuf pour les pays d'origine de leurs parents ou grands-parents. Mais au fil du temps, certaines nations ont développé un système de courrier très fin sur le Vieux-Continent, notamment les pays maghrébins, l'Algérie et le Maroc en tête. « Entre 2014 et 2019, j'avais la responsabilité de toutes les sélections de jeunes, rappelle Nasser Larguet, alors directeur technique national du Maroc. La plupart du temps, la fédération observe les binationaux de plus de 18 ans. J'estime que c'était un peu tard, qu'il fallait fidéliser les joueurs dès leurs 15 ou 16 ans. Il fallait les prendre tôt pour leur inculquer l'amour du maillot. »

Achraf Hakimi et Sofyan Amrabat lors de la victoire du Maroc sur l'Espagne en 8es de finale de la Coupe du monde au Qatar, le 6 décembre 2022 à Doha.
Achraf Hakimi et Sofyan Amrabat lors de la victoire du Maroc sur l'Espagne en 8es de finale de la Coupe du monde au Qatar, le 6 décembre 2022 à Doha. -Adil Benayache/Sipa

Afin de repérer les futurs Lionceaux et Lions de l'Atlas, Larguet avait besoin d'yeux et d'oreilles dans les pays où la diaspora est la plus présente : un recruteur en France, un aux Pays-Bas, un en Belgique et un dernier pour le trio Allemagne-Espagne-Italie. A ces relais officiels, il convient d'ajouter les contacts officieux, parmi les dirigeants ou éducateurs de clubs européens.

Les graines marocaines ont germé au Mondial 2022

« On ne cherchait que des top joueurs, d'un niveau supérieur à ceux que l'on avait au Maroc, reprend l'ancien technicien marseillais, aujourd'hui DTN de l'Arabie saoudite. Cela nous a permis d'avoir un Hakimi [né en Espagne] dès 16 ans, à Amrabat [Pays-Bas] à partir de 18 ans. Nous avions déjà un contact pour Sofiane Boufal [France] pour l'équipe olympique. Quant à Amine Harit, on l'avait contacté pour les U17, mais il a d'abord joué avec les équipes de France jeunes avant de rejoindre notre sélection A. »

Si Larguet a quitté la Fédération marocaine en 2019, les graines plantées à l'époque ont germé lors de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Un Mondial terminé à une historique 4e place avec 14 joueurs sur 26 nés à l'étranger (dont Hakimi, Amrabat et Boufal, Harit étant forfait sur blessure), plus le sélectionneur Walid Regragui, natif de Corbeil-Essonne.

L'Algérie hyperactive

Championne d'Afrique 2019, l'Algérie a aussi largement puisé dans le réservoir européen, en particulier français du fait des relations historiques entre les deux pays. Sous l'égide du président Kheireddine Zetchi, la fédération (FAF) avait même mis en place en mars 2020 la cellule FAF Radar, qui revendiquait trois mois plus tard « une opération de repérage et de sensibilisation auprès de 140 joueurs binationaux [voire tri-nationaux pour certains] des catégories U16 à U23 ».

Si cette « task force » a arrêté de fonctionner après le changement de président, la FAF se montre toujours extrêmement active sur le dossier, comme l'ont prouvé les nombreuses arrivées de natifs de France chez les Fennecs en 2023, de Farès Chaïbi à Amine Gouiri en passant par Houssem Aouar. Ce dernier, qui a porté le maillot des Bleus à une reprise en octobre 2020 contre l'Ukraine (7-1), incarne la poursuite de l'assouplissement des règles de changement de nationalité, impulsé dès 2009 avec la fin de la limite d 'âge. Cette mesure, portée par le président de la FAF d'alors, Mohamed Raouraoua, permettait à un joueur de changer de sélection A après ses 21 ans, choix impossible auparavant.

Alain Giresse lorsqu'il était sélectionneur du Sénégal, lors de la Coupe d'Afrique des nations 2015 en Guinée équatoriale.
Alain Giresse lorsqu'il était sélectionneur du Sénégal, lors de la Coupe d'Afrique des nations 2015 en Guinée équatoriale. – Dimanche Alamba/AP/Sipa

Depuis, le phénomène n'a fait que s'amplifier, comme a pu le mesurer Alain Giresse, qui entre 2006 et 2019, a tourné à tour dirigé le Gabon, le Mali (deux fois), le Sénégal, et la Tunisie.

En Tunisie quand j'entraînais, la majorité des joueurs était issue du pays, indique l'ancienne légende girondine. Dans d'autres pays, cela se fait par le relationnel, les connaissances, et ça fonctionne très bien. Au Sénégal, j'avais répertorié 700 et quelques joueurs dans le monde, y compris ceux ayant une double nationalité. La Fédération disait si tel ou tel joueur pouvait postuler pour la sélection. Ensuite, je me déplaçais pour le voir sur place. J'appelle aussi les entraîneurs, les directeurs sportifs des clubs concernés pour me renseigner sur la mentalité, l'état d'esprit. Au Mali, j'ai fait venir des joueurs qui n'avaient jamais mis le pied au pays auparavant, comme Ousmane Coulibaly, qui jouait alors à Brest. »

Nasser Larguet insiste également sur l'importance des discussions avec le joueur et l'entourage avant l'éventuel « grand saut ». « On évaluait le potentiel, on regardait quel était son environnement familial, ses liens avec le Maroc… » Dans certains pays, le président de la Fédération n'hésite pas à prendre son téléphone pour convaincre les « cibles » ciblées, comme le Camerounais Samuel Eto'o au printemps 2022 pour Olivier Kemen et Georges-Kévin Nkoudou. Ces deux anciens internationaux français chez les jeunes disputent actuellement la CAN avec les Lions indomptables.

Et parfois, ce sont des « anonymes » qui font le lien entre joueur et sélection. Judicaël Nabolé gagne sa vie comme agent commercial dans une banque de Ouagadougou. Pendant son temps libre, ce jeune homme de 32 ans recherche depuis une bonne dizaine d'années les footballeurs burkinabés dispersés à travers le monde, et partage ses trouvailles et ses analyses sur les réseaux sociaux.

Un œil sur le monde depuis Ouagadougou

« Je suis passionné de foot depuis toujours, explique-t-il. Comme j'aime mon pays, j'ai voulu apporter ma contribution. D'abord, je me renseigne sur le site Transfermarkt, qui mentionne les différentes nationalités d'un joueur. Je regarde tout, en Afrique, en Amérique, en Europe, partout. Ensuite, j'entre en contact avec le joueur ou son entourage et je vérifie s'il est bien Burkinabé. Un joueur comme Steeve Yago [Aris Limassol, D1 chypriote], je l'ai repéré quand il évoluait avec la réserve du TFC. Il y en a beaucoup d'autres, comme Sacha Bansé [prêté à Valenciennes par le Standard de Liège]. C'est moi qui l'ai fait venir en juin. »

Judicaël Nabolé avec le maillot valenciennois de Sacha Bansé, né en Belgique et international burkinabé.
Judicaël Nabolé avec le maillot valenciennois de Sacha Bansé, né en Belgique et international burkinabé. – JN

Plus précisément, Judicaël Nabolé indique faire le lien entre les futurs Etalons et la Fédération (FBF). « Quand je découvre un joueur, j'en parle au staff et à la FBF, c'est à eux de décider. S'il n'est pas convoqué, c'est qu'il ne correspond pas à leurs attentes. » Au Burkina Faso comme ailleurs, ce sont parfois des joueurs nés en Europe ou leur entourage qui contactent le pays d'origine pour tenter de forcer leur destin international.

Et de plus en plus, au fur et à mesure que les sélections africaines progressent, Maroc et Algérie en tête, le choix du rallyer n'est plus fait par défaut, lorsque les portes de l'équipe de France, de Belgique, des Pays-Bas ou d'ailleurs se referment. De là à parler d'un choix facile et fluide… « Les jeunes sont souvent tiraillés au moment de faire leur choix, explique Alain Giresse. Et il existe aussi des clubs qui mettent une pression sur les joueurs. Certains disent : « si tu ne vas pas disputer la CAN, on te donnera une prime. » »

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