Pour Emmanuel Macron, la présidence de la France est un plan B


Emmanuel Macron voulait être écrivain. Jeune homme, le futur président français considérait l’écriture comme sa « seule vocation ». À l’âge de 16 ans, il écrit un roman, « Babylone, Babylone », une œuvre supposée audacieuse se déroulant dans le Mexique du XVIe siècle, en proie à l’érotisme et à la souffrance humaine.

Hormis l’épouse de M. Macron, Brigitte, et quelques amis proches, personne ne l’a vu. Il a étudié la philosophie à Sciences Po et a travaillé comme archiviste pour un philosophe français, Paul Ricœur. Finalement, M. Macron est devenu un homme politique.

Dans « Révolution », le tract de la campagne présidentielle de 2016 de M. Macron et le seul ouvrage publié à ce jour, il avoue : « Je ne peux pas vraiment expliquer cette trajectoire. Je ne vois que le résultat, qui, au fond, est toujours en chantier, d’un travail de longue haleine et d’un goût de liberté total. Rare est le protagoniste qui voit la présidence comme un plan B.

Pourtant, les ambitions non réalisées de M. Macron sont à bien des égards une fenêtre sur sa politique. Ils vacillent sur le transcendantal, le théorique –– ostensiblement mieux adaptés aux intrigues de la fiction littéraire et à la phénoménologie de Ricœur qu’à la gestion des affaires politiques.

Dans ses espoirs déçus de devenir un immortel (comme les 40 membres du Académie Françaiseavec leurs épées gravées et leurs bicornes à plumes, sont connus), il y a aussi un air de vanité.

M. Macron est obsédé par le symbolisme. Son portrait présidentiel comprend une copie des mémoires de guerre de de Gaulle, « Le Rouge et le Noir » de Stendhal, deux iPhones et une horloge dorée – représentant la prétention de M. Macron à être le maître du temps. Son entrée royale au château de Versailles pour une session conjointe de l’Assemblée nationale et du Sénat en est un autre exemple. M. Macron semble se voir comme destiné à la grandeur et être frustré de son arrivée tardive.

Alors que l’Europe vacille maintenant sur ce qui pourrait être sa plus grande crise depuis la Seconde Guerre mondiale et que la Chine menace le continent depuis l’est, M. Macron semble croire que son heure est venue.

La semaine dernière, il a eu une série de conversations téléphoniques bilatérales avec les présidents Poutine, Zelensky et Raisi. Il a de nouveau parlé avec M. Poutine lundi. « Vous êtes le seul avec qui je peux avoir une discussion aussi profonde », a déclaré M. Poutine à M. Macron – une flatterie arrogante qui a été relayée à Politico par un « haut responsable de l’Elysée ».

L’Allemagne ayant ostensiblement abdiqué la direction de l’Europe, M. Macron s’est empressé d’intervenir. Dans une certaine mesure, son activisme vise à renforcer son appel avant les élections présidentielles d’avril. Actuellement, seuls 24% ont l’intention de voter pour lui au premier tour.

Pourtant, attribuer la politique politicienne de M. Macron à la politique électorale est une illusion. Il a parfois décrit l’Europe comme « affaiblie » et ayant besoin d’un renouveau. Il parle de réinventer l’ordre de sécurité de l’Europe et de restaurer sa pertinence mondiale. Dans son discours du Nouvel An, M. Macron a déclaré 2022 « un tournant » pour une Europe « plus souveraine et plus puissante ».

La souveraineté est un terme qui revient souvent dans les édits de M. Macron. « L’autonomie stratégique » en est une autre. Pourtant, tout comme la devise de son parti, En Marche!, il n’est pas tout à fait clair ce que signifie l’un ou l’autre.

« L’Union européenne doit être capable de se penser comme une entité commune et pertinente pour décider par elle-même », a déclaré M. Macron lors d’un discours au Conseil de l’Atlantique. « Notre souveraineté réelle est pertinente à l’échelle européenne » – même si, ajouterions-nous, elle recule au niveau national.

L’invocation par M. Macron du temps réflexif – où le sujet et l’objet sont les mêmes, comme dans « Vous êtes-vous amusé? » — n’est pas une malheureuse traduction de son français natal. Il l’utilise souvent et à dessein, révélant son pedigree philosophique.

Implicite dans la pensée de Ricoeur est la notion que les significations ne sont pas données mais construites à travers des symboles culturels. Ce qu’est une chose, alors, elle doit le découvrir à travers la littérature, à travers l’art et le discours.

Avec une telle théorie comme point de départ ostensible, M. Macron réclame un « nouvel ordre de sécurité et de stabilité en Europe ». Ironiquement, M. Poutine souhaite à peu près la même chose, quoique pour des raisons différentes et avec des composantes divergentes. Pourtant, M. Macron estime que la nouvelle Europe doit se forger « non pas contre ou sans, mais avec la Russie ».

Son étreinte de M. Poutine est cohérente avec ses relations avec d’autres hommes forts. Il a engagé le président el-Sisi d’Égypte et le prince héritier Mohammed bin Salman d’Arabie saoudite de la même manière. M. Macron semble croire que si ces hommes –– dont les vues sur l’ordre libéral sont très éloignées des siennes –– sont inclus dans les délibérations, ils finiront par se ressaisir.

C’est le genre de pensée fantaisiste digne d’un romancier.

La triste réalité est que l’Europe est plus sombre et divisée que souveraine et puissante –– et sa confiance en la France, comme en l’Allemagne, est faible. Les Polonais et les Grecs s’inquiètent pour des questions plus banales – l’énergie, par exemple, et les migrants – que pour les grandes ambitions de M. Macron.

Ainsi, notre protagoniste peut encore mettre fin à une figure tragique. Une immortel qui n’a jamais été, un roi philosophe égaré, attendant toujours que son moment arrive. C’est l’étoffe des grands de la littérature. Quelqu’un devrait écrire un livre.

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Image : Le président Macron au Parlement européen à Strasbourg, France, le 19 janvier 2022. AP/Jean-François Badias

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