«On est content de rouvrir, mais c’est le début des ennuis» – Libération


«Au moins, à une date.» Sous cloche depuis fin septembre, les salles de sport savent enfin quand elles pourront ouvrir: le 9 juin, ainsi que l’annonce d’Emmanuel Macron dans son plan de déconfinement en quatre étapes. Une nouvelle «Ni bonne ni mauvaise» pour Guillaume Le Floch. Ce gérant d’une salle de sport à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) est soulagé de pouvoir bientôt reprendre. Les huit mois de vide vont tout de même laisser des traces pour la filière, qui espère avant tout que les adhérents reprendront vite le chemin de la salle.

«Les gens ont tellement pris l’habitude de ne plus consommer, de ne plus aller au restaurant, de ne plus avoir de loisirs, qu’on a un doute. Est-ce qu’ils vont réussir à réinvestir les salles comme avant le Covid? » se demande Guillaume Le Floch. Même interrogation pour Sébastien Rozier, gérant de trois salles à Perpignan et de deux structures à Ajaccio rattachées à l’enseigne Fitness Park, qui pointe un timing pas franchement idéal: «On va rouvrir pendant une période estivale qui n’est pas la plus prolifique en termes d’abonnements.»

Le mois de battement avant la réouverture va laisser au secteur «Le temps de se préparer pour ouvrir dans les meilleures conditions», même si la filière est prête depuis longtemps à accueillir du public. Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) avait même émis un avis favorable à propos des protocoles proposés par le secteur le 20 octobre. «On attend désormais de la part du gouvernement qu’il incite les Français, dans les messages qu’il va faire passer, à nous faire confiance sur les protocoles qu’on va appliquer de façon stricte pour montrer qu’on est une profession rigoureuse et sérieuse », souhaite Guillaume Le Floch.

«Le serpent qui se mord la queue»

Quand bien même les professionnels retrouveraient tous leurs adhérents, la réouverture ne va pas gommer d’un trait les soucis financiers des uns et des autres. «Le futur s’annonce assez sombre pour nous», prophétise Sébastien Rozier, qui sait que les salles vont vite être acculées financièrement. Il esquisse ce qui risque de se passer début juin: «Tous nos bailleurs vont nous attendre devant nos clubs, avec pas mal de véhémence et de détermination. Malheureusement, on n’a pas eu de chiffre d’affaires depuis près d’un donc il va falloir qu’ils se comportent intelligents et vertueux, car il est évident qu’on ne pourra pas payer tout le monde d’un coup . »

La faute à ces huit mois de fermeture à cheval entre fin 2020 et début 2021, où la filière n’a fait que survivre, sans horizon de réouverture. Une première date de reprise avait été fixée au 20 janvier. Puis, plus rien. Pour combler le gouffre financier grandissant, entretenu par des charges très importantes, l’Etat a amorcé quelques aides. «Des annonces marketing», balaye Sébastien Rozier. Le fonds de solidarité, distribué chaque mois, se révèle en réalité «Nettement insuffisant. Il ne couvre qu’une petite partie de nos charges ».

Quant au décret publié en mars et destiné à accompagner les entrepreneurs en prenant entre 70% et 90% des coûts fixes, «Pour y prétendre, c’est compliqué, il faut vraiment être très en difficulté». Guillaume Le Floch abonde: «Beaucoup de salles ne rentrent pas dans ces critères. Il faut déjà être éligible au fonds de solidarité. Sauf que certaines entreprises non éligibles au fonds de solidarité le sont pour la prise en charge des coûts fixes. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. »

«Raz-de-marée de liquidations»

Gérante de l’espace Gigafit de Calais-Coquelles (Pas-de-Calais), Martine Bossaert résume le paradoxe qui anime une bonne partie de la filière depuis jeudi: «On est content de rouvrir, mais c’est le début des ennuis.» A peine les annonces prononcées par le Président, les coups de fil ont retenti. «Notre franchiseur, qu’on n’a pas vu depuis plusieurs mois, nous a appelé pour qu’on règle notre redevance du mois de mai», continuez celle dont le club n’a ouvert que très récemment, en juin 2019. En tant que tel, il se retrouve exclu du décret sur la prise en charge des coûts fixes. «Une aberration», pour Martine Bossaert, qui doit en plus composer avec un fonds de solidarité au rabais. Elle espère être «Accompagnée par l’Etat, sinon on ne va pas tenir. Jusqu’en septembre, ça va être compliqué ».

Idéalement, Sébastien Rozier souhaite un soutien de l’exécutif «Jusqu’à la fin de l’année. S’il nous lâche trop vite et trop tôt, il va y avoir un raz-de-marée de liquidations et de dépôts de bilan. Ça a déjà commencé ». Depuis le début de l’épidémie, entre 15% et 18% des clubs de remise en forme ont fermé sur tout le territoire (environ 1 000 structures). Une partie qui pourrait grimper «jusqu’à 30% six mois après les réouvertures », estime Sébastien Rozier: «Il va falloir des plans d’accompagnement adaptés.»

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