Mélenchon renonce à ses électeurs pour négocier avec les sociaux-démocrates français


Après avoir obtenu 22 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle française, le parti La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon entame des pourparlers avec le Parti socialiste (PS). Ce virage vers un parti patronal discrédité, qui a toujours nié dans les faits les références cyniques au socialisme qu’il faisait dans sa propagande électorale, est un avertissement : Mélenchon ne cherche pas à mobiliser ses électeurs, mais à les pousser vers la droite et dans une impasse.

Mardi dernier, LFI et le PS se sont réunis au siège de LFI pour tenter de trouver un accord sur les élections législatives françaises du 12 au 19 juin. Le Conseil national du PS avait opportunément adopté une résolution appelant à l’unité de toutes les forces de « gauche », avant d’annoncer vendredi la suspension temporaire des pourparlers avec LFI. Quant à LFI, elle négocie avec le PS tout en appelant à construire une « Union populaire » avec Europe Écologie-Les Verts (EELV), un parti qui a ouvertement soutenu le président Emmanuel Macron, mais aussi le Parti communiste français (PCF) stalinien et le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) pabliste.

La décision de LFI de rechercher une alliance avec le PS expose à nouveau le caractère sans principes des manœuvres de Mélenchon. A l’approche du second tour de la présidentielle du 24 avril entre Macron et la candidate néo-fasciste Marine Le Pen, le Parti de l’égalité socialiste (PSE), la section française du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), a fait campagne pour que les travailleurs et les jeunes boycottent une élection frauduleuse entre ces deux candidats d’extrême droite. Le PSE a expliqué que seul un rejet irréconciliable des deux candidats préparerait les travailleurs aux luttes à venir contre le prochain président.

Mélenchon s’est déjà déclaré prêt, avant le second tour du 24 avril, à occuper le poste de Premier ministre sous Macron ou Le Pen. « Je demande au peuple français de m’élire Premier ministre » en élisant « une majorité LFI » aux élections législatives, a-t-il déclaré à BFM-TV le 19 avril. Interrogé pour savoir s’il servirait soit sous Macron, soit sous le néo-fasciste Le Pen, Mélenchon a répondu que cette question était d’une importance « secondaire ».

LFI tourne le dos à des millions de ses électeurs issus de la classe ouvrière et de la jeunesse pour plutôt manœuvrer avec le PS, qui a réagi en suspendant les négociations avec LFI et en le dénonçant comme une menace pour l’Union européenne.

L’ancien président du PS François Hollande, tellement détesté après cinq ans au pouvoir qu’il n’a pas osé briguer un second mandat en 2017, a critiqué le projet d’alliance LFI-PS. « Le PS doit être fidèle à sa propre histoire », a-t-il affirmé, critiquant le programme de LFI : « Cela remet en cause l’histoire même du socialisme. »

Hollande a indiqué que toute alliance PS-LFI serait fondée sur une répudiation des promesses de réformes sociales LFI faites dans son programme. « Si les programmes sont conçus pour être mis en pratique », a déclaré Hollande, « cela signifierait que le prochain gouvernement… désobéirait aux traités européens ? Un prochain gouvernement, s’il devait être formé, s’il était majoritaire, quitterait-il l’OTAN ? N’aiderait-il plus les Ukrainiens en leur donnant du matériel militaire ?

L’ancien Premier ministre PS Lionel Jospin, qui s’est retiré de la vie publique après avoir été éliminé du second tour de l’élection présidentielle de 2002 par le candidat néo-fasciste Jean-Marie Le Pen, a adopté une position plus conciliante, s’adressant à Le Parisien. Jospin a déclaré que le « devoir de Mélenchon est de construire une alliance », mais qu’il n’est « pas sûr que certains thèmes et le style de LFI construiront une majorité à gauche ». Néanmoins, Jospin a proposé que le PS trouve « un accord électoral avec toute la gauche ».

Jospin a souligné son inquiétude face à l’effondrement électoral de 2022 du PS et des gaullistes, les deux tendances qui ont dominé la politique officielle française dans la période qui a suivi la grève générale française de mai 1968. La candidate PS Anne Hidalgo et Valérie Pécresse, la candidate du parti gaulliste Les Républicains (LR), ont toutes deux été éliminées avec moins de 5 % des voix.

« Emmanuel Macron a construit derrière lui un conglomérat hétérogène sans identité claire. Il a tout fait pour organiser une nouvelle confrontation avec l’extrême droite, qu’il jugeait plus facile à battre », a déclaré Jospin, soulignant sa peur de la « désintégration de notre système politique ». Il a ajouté : « L’abstention est considérable et l’extrême droite s’est encore développée. Les deux partis qui, à droite et à gauche, contrôlaient le débat démocratique d’autrefois et offraient des alternatives politiques au pays, ont été marginalisés.

Jospin a étalé les calculs cyniques d’une couche du PS qui vise à utiliser le vote présidentiel de LFI pour se donner un nouveau visage et stabiliser unestablishment politique impopulaire. En effet, le secrétaire du parti PS Olivier Faure a avancé des arguments similaires. Critiqué mardi soir lors d’un comité national du PS par une minorité PS critique de s’allier avec LFI, Faure a déclaré qu’une telle alliance était le seul moyen d’empêcher le PS d’être absorbé par le parti de Macron, La République en Marche (LRM).

Faure a dit : « Si vous pensez que le PS est mort, qu’il n’y a rien à faire, que vous n’êtes plus à gauche, alors partez. Rejoignez LRM. Sinon, restez et luttez avec nous. Cela va nous transformer. »

Les arguments de Faure sont des mensonges venant d’un parti qui, pendant quatre décennies, a imposé l’austérité et la guerre aux travailleurs. Il vise à faire oublier aux électeurs, entre autres, la présidence réactionnaire de Hollande, les décrets ouvriers anti-ouvriers de sa loi El Khomri, son état d’urgence antidémocratique et son pillage de la société au profit des banques. La vraie question que pose le projet d’alliance LFI-PS n’est pas ce que cherche à faire le PS réactionnaire mais plutôt : pourquoi LFI négocie-t-il avec lui ?

Le PSE a expliqué que LFI est objectivement en position de force. Ayant conquis les quartiers ouvriers des grandes villes, il pouvait mobiliser des masses de travailleurs dans des grèves contre un président impopulaire qui n’avait été élu que parce qu’il faisait face à un rival néofasciste encore plus impopulaire ; contre la flambée des prix qui ruine les travailleurs ; et contre la guerre de l’OTAN visant la Russie. De telles grèves pourraient non seulement paralyser l’économie française, mais aussi déclencher une lutte de la classe ouvrière internationale contre le capitalisme et la guerre impérialiste.

Mais LFI, un parti petit-bourgeois basé sur des couches d’universitaires et de bureaucrates syndicaux, est hostile à lancer une lutte contre l’impérialisme. Il rejette la perspective trotskyste avancée par le PSE, préférant sa conception nationaliste d’une « révolution citoyenne » dans une nouvelle « ère du peuple », qui implique un accord parlementaire avec le PS réactionnaire. Au lieu de mobiliser ses électeurs contre la guerre et l’austérité, LFI les presse de prendre pour argent comptant les promesses cyniques du PS.

Manuel Bompard, le représentant de LFI auprès du PS, a salué les échanges « positifs » avec le porte-parole du PS Pierre Jouvet. « Nous n’avions pas l’impression de parler avec le même PS qu’il y a deux-trois ans », a déclaré Bompard, ajoutant qu’il n’y a « aucun problème qui se pose dans des discussions qui semblent insurmontables » avec le PS, notamment « sur les retraites ou la question européenne ». ”

Bompard précise que le PS vise à faire oublier aux Français la politique qu’il a menée au pouvoir : « Il a clairement une volonté de présenter l’apparence d’une rupture avec le PS de François Hollande ; ils n’ont eu aucun mal à promettre d’abroger leur loi El Khomri, de construire une nouvelle VIe République, de bloquer la hausse des prix, qui sont pour nous des enjeux cruciaux.

La députée LFI Mathilde Panot s’adressant à Sud Radio a souligné que de telles alliances étaient au cœur de la stratégie de LFI aux législatives : « On peut utiliser ces législatives qui, soit dit en passant, sont un moyen de renverser aussi la monarchie présidentielle dans laquelle nous vivons , faire de Jean-Luc Mélenchon Premier ministre, non seulement pour placer Mélenchon au palais de Matignon, mais pour vraiment mettre notre programme en action.

La conception promue par LFI selon laquelle elle peut mettre en pratique un programme progressiste sous une présidence Macron ou Le Pen est un autre mensonge politique. L’argument, qui endort les travailleurs dans le danger de guerre et de dictature d’extrême droite, vise avant tout à regrouper tous les alliés actuels ou anciens de l’ancienne Union de la gauche PS-PCF formée en 1972, à bloquer un mouvement de les travailleurs et les jeunes à gauche.

Jospin et Mélenchon ont longtemps cherché à unifier les forces staliniennes et sociales-démocrates et leurs satellites politiques pour construire des gouvernements capitalistes et attaquer les travailleurs.

Les deux hommes ont commencé leur carrière politique dans le Organisation Communiste Internationaliste (OCI) car il a rompu avec le CIQI, dont la section est aujourd’hui le PSE. Après avoir divisé le CIQI et répudié le trotskysme en 1971, l’OCI a soutenu l’Union de la gauche. Jospin et Mélenchon étaient tous deux membres de l’OCI et du PS, travaillant finalement en étroite collaboration avec le président du PS François Mitterrand. Jospin est devenu Premier ministre et Mélenchon ministre dans le gouvernement de « gauche plurielle » dirigé par le PS de 1997 à 2002, dont l’impopularité a conduit Jospin à être éliminé lors de l’élection présidentielle de 2002.

Un avertissement clair et sans équivoque doit être lancé sur « l’Union populaire » que Mélenchon cherche à construire avec le PS. Ce n’est pas un mouvement révolutionnaire, socialiste ou ouvrier, mais un bloc petit-bourgeois sans principes visant à stabiliser le gouvernement Macron. Pour les travailleurs et les jeunes, la tâche urgente est de rompre avec les partis petits-bourgeois de la pseudo-gauche comme LFI, et de construire le PSE comme l’alternative trotskyste à la poussée de la bourgeoisie vers la guerre, la dictature d’extrême droite et l’austérité.

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