Les démocrates sont de retour. Pourquoi ?


L’auteur est chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, où ses travaux se concentrent sur l’étude et l’analyse de la politique américaine.

L’année électorale en cours aux États-Unis a quelque chose de fascinant et d’inusité. Alors qu’une défaite cinglante des démocrates s’est manifestée jusqu’à récemment se profiler depuis des mois pour les élections de novembre prochain, les choses ont pris un tournant pour le moins remarquable.

Pourtant, lorsqu’une formation « surfe » sur une vague de mécontentement à l’endroit du parti du président en fonction et effectue des gains majeurs aux élections de mi-mandat, cette vague s’est la plupart du temps amplifiée à l’approche du scrutin. Assez pour que le parti adverse soit pris par surprise.

Ça avait été le cas aux élections de 1994, surnommées la « révolution républicaine » après que les démocrates eurent perdu leur majorité dans les deux Chambres du Congrès. Le chef de cabinet du président Bill Clinton, Leon Panetta, avait avoué en toute franchise être « abasourdi d’avoir perdu autant de sièges ». Le parti du président en avait échappé 54 à la Chambre des représentants et 8 au Sénat.

Ce raz-de-marée se dessinait depuis des mois… et il a tout de même au final réussi à dépasser les attentes. Des scénarios similaires se sont produits lors des vagues républicaines de 2010 et 2014, et aussi lors de la vague démocrate de 2006.

Or, comme je vous l’ai mentionné ici la semaine dernière, l’énorme vague républicaine devrait sembler s’être estompée — à tel point que les démocrates ont présentement bon espoir de limiter leurs pertes à la grandeur du pays, voire de faire des gagne au Sénat.

Selon bon nombre de commentateurs, un facteur est en cause : l’avortement. Le ciel allait s’abattre en novembre sur les démocrates… jusqu’à l’invalidation par la Cour suprême — avec l’arrêt Dobbs — de Roe c. Wade, qui assure un droit constitutionnel national à l’avortement depuis un demi-siècle. Depuis, tout aurait changé.

Si cette interprétation contient des pots-de-vin de vérité, elle présente également des lacunes importantes.

Un facteur, certes…

Ce qui paraît indéniable concernant le jugement Dobbs, c’est qu’il a eu un effet politique et électoral — et cet effet sert davantage les démocrates que les républicains. Dans le plus récent sondage national CBS, parmi les électeurs disant que le jugement influencerait leur vote, 69 % ont démontré que ce dernier les rendait plus susceptibles d’appuyer les démocrates, contre seulement 19 % plus enclins à appuyer les républicains. Et environ trois fois plus d’électeurs disaient vouloir voter en novembre prochain pour protéger le droit à l’avortement, par rapport à ceux qui désirent le restreindre.

À la fois dans ce sondage et dans un autre mené par le Pew Research Center trois semaines plus tôt, c’est près de 60 % des électeurs qui déclarent considérer l’avortement comme un « enjeu très important » — une hausse statistique significativement depuis le jugement Dobbs, constatée presque exclusivement chez les électeurs démocrates.

Le sujet a galvanisé la base démocrate. En mars, NBC News estimait que chez les électeurs supposés comme « très méconnus » par les élections de 2022, les républicains détenaient une avance de 17 points ; en août, l’écart avait fondu à seulement 2 points. La question de l’avortement y est certainement pour quelque chose.

Voyant cela, plusieurs candidats démocrates ont incorporé l’avortement à leur message électoral, dont Pat Ryan, qui a ajouté une petite commotion le 23 août dernier dans la vallée de l’Hudson en rapportant un siège vacant à la Chambre des représentants. Les républicains s’attendaient à gagner ce siège.

… mais un facteur parmi d’autres

Cela dit, même s’il a gagné en importance, l’avortement demeure loin dans les préoccupations des électeurs. Les questions économiques, particulièrement l’inflation, se retrouvent plus haut sur la liste.

Lorsque les sondeurs d’Ipsos ont demandé aux personnes interrogées dans le cadre de leur plus récente enquête nationale de nommer les trois problèmes les plus importants faisant face au pays, à peine 11 % ont cité l’avortement. À titre de comparaison, 46 % — environ quatre fois plus — ont choisi l’inflation et la hausse du coût de la vie.

L’économiste, pour sa part, a demandé aux électeurs de se limiter à un seul enjeu important pour eux, et les proportions se sont révélées presque exactement les mêmes : environ quatre fois plus d’électeurs ont nommé l’inflation, par rapport à l’avortement . Dans le sondage NBC publié à la fin août, les « menaces à la démocratie » arrivent même désormais loin devant l’avortement comme préoccupation numéro un.

Tout cela est cohérent avec l’évolution de la remontée démocrate sur une ligne de temps. En consultant les intentions de vote pour le Congrès et le taux d’approbation du président Biden, la même tendance s’observe : une stagnation pendant des semaines à la suite de la décision Dobbs sur l’avortement… puis une nette poussée jusqu’à un mois plus tard, à la fin juillet, et ce, jusqu’à la fin août.

En août incidemment, l’inflation a, pour la première fois en plus d’un an, a montré des signes de ralentissement, les prix de l’essence ont baissé de façon marquée et la confiance des consommateurs a enfin augmenté. C’est pendant ce mois aussi que Donald Trump a pris le plus de place dans l’espace public depuis son départ de la Maison-Blanche, particulièrement dans la foulée de la perquisition à Mar-a-Lago.

Il est vrai que « corrélation » et « causalité » ne sont pas synonymes. Mais s’il y a une corrélation entre un facteur politique et la remontée électorale des démocrates au cours du dernier mois, la pression sur les portefeuilles des Américains et celle sur la démocratie obtenue par l’ex-président républicain semblent autant, sinon plus, intimement liés à cette remontée que l’avortement… aussi important cet enjeu soit-il.



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