L’Actualité du Roman Noir: Oiseau bleu, Oiseau bleu


22/02/2021 | Atticka Locke: Blue bird, Blue bird – Traduit de l’américain par Anne Rabinovitch- Éditions Liana Levi-319 pages- janvier 2021

Atticka Locke: Blue bird, Blue bird - Traduit de l'américain par Anne Rabinovitch- Éditions Liana Levi-319 pages- janvier 2021

Dépaysement assuré avec le dernier roman d’Atticka Locke: il se passe dans le Texas profond des États-Unis et met en scène le Ranger noir Darren Mathews venu enquêter sur deux crimes dans une ville minuscule de l’est de l’état. Sa couleur de peau a bien sûr une importance toute particulière dans cette région rurale où les attitudes racistes des Blancs continuent à perdurer. Attitudes est peut-être un bien faible mot quand il s’agit d’enquêter sur des crimes. Mais Darren est-il vraiment la personne adéquate?

On soulignera toute la dimension historique de ce roman noir, très précieuse pour comprendre les ressorts de l’intrigue et la personnalité du Texas Ranger. Par exemple, son opinion sur l’évolution récente de son pays, je cite: «Darren avait toujours voulu se persuader que leur génération serait la dernière à être obligée de vivre ainsi, que le changement viendrait peut-être de la Maison Blanche. Mais les événements avaient prouvé́ le contraire. Dans le sillage d’Obama, l’Amérique s’est révélée sous son vrai visage. » Et quant aux origines de son engagement dans la police, alors qu’il s’orientait vers une carrière universitaire, ce fut la déflagration qu’avait constitué pour le pays tout entier les meurtres racistes à la fin du XXe et particulièrement celui perpétré dans la ville de Jasper au Texas en 1998. Et c’est ainsi qu’à force de tenace volonté, il finit par intégrer ce corps policier d’élite-où les Noirs sont peu nombreux- qui intervient «Lorsque les autorités locales ne permettaient pas ou ne voulaient pas résoudre un crime. »
Sa demande de monter une section spécifique de rangers contre un mouvement ultraviolent et ultra raciste, la fraternité aryenne du Texas, n’est pas partagée par sa hiérarchie. Bien plus, il risque la mise à pied pour être impliqué dans l’aide à un ami soupçonné d’avoir abattu un suprémaciste blanc qui harcelait sa petite-fille. Enfin son couple traverse une crise, voilà pourquoi il boit -du bourbon- par longues rasades- même lorsqu’il doit conduire, ce qui est, on en conviendra, éthiquement répréhensible. Il obtient pourtant de ses supérieurs l’autorisation d’enquêter sur le double meurtre, celui d’un noir venu du Nord, qui se révèleera plus tard avoir été avocat enquêteur, et d’une femme blanche en la compagnie de laquelle il avait été vu le soir de leurs disparitions. Si l’on ajoute que les policiers locaux-tous Blancs- lui sont particulièrement hostiles, que des membres de la fraternité aryenne font du bar local une forteresse raciste, on conviendra que la partie n’est pas gagnée. Enfin, la venue sur place de la veuve de l’avocat, jeune femme photographe de mode, ne laisse pas notre policier insensible. La forte accumulation sur sa tête et dans son pour l’intérieur de tous ces éléments susceptibles de peser sur la crédibilité de Darren comme personnage du roman, mais il arrive à bien s’en sortir.

Et la force subtile de l’intrigue, la personnalité de l’autre figure majeure du récit, Genève, la patronne du petit bar- restaurant le Geneva Sweet’s Sweets, dédié, lui aux Noirs, la description de cet antre et de la nourriture robuste et riche qu’on y trouve, tout comme l’accueil chaleureux de la patronne donne au livre une attraction singulière. D’autant que l’assassinat de son mari puis de son fils, jadis, sont remis en quelque sorte sur le trébuchet de la justice. Et l’histoire entrelacée des Noirs et des Blancs sur ce lointain bout de terre surgit alors dans une dimension tragique, intime, indéfectible et fort réussie.

Bernard Daguerre
Par Bernard Daguerre

Crédit Photo: La Machine à Lire

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