La « technologie de la ligne de but », un échec sur toute la ligne


Carton rouge pour Goal Control. Après les nouveaux couacs survenus mercredi lors des quarts de finale de la Coupe de la Ligue, la Ligue de football professionnel (LFP) a décidé de suspendre jusqu’à nouvel ordre le contrat qui la lie à son prestataire en charge de la goal-line La technologie. Pour rappel, ce dispositif vidéo, qui fonctionne avec 14 caméras installées dans chaque stade, est censé déterminer de façon certaine si un ballon a franchi entièrement la ligne de but. Mais depuis son apparition en Ligue 1 il y a deux ans et demi, la ligne de but a surtout fait parler d’elle pour ses dysfonctionnements répétés.

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« Il était évident que ce serait un fiasco. Goal Control a vendu du rêve à la Ligue, alors que son outil est totalement faillible », indique à L’Express Suzana Castaignede, ancienne employée de la société allemande, licenciée l’été dernier lorsque sa direction a appris qu’elle comptait afficher la face cachée de la ligne de but. « Normalement, tout doit fonctionner automatiquement. Si le ballon est entré, l’unité centrale du système récupère les données enregistrées par les caméras et envoie dans la seconde un signal vers la montre de l’arbitre. Elle vibre en cas de but », précise-t-elle. Voilà pour la théorie.

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Des décisions parfois prises « au pif »

Dans la pratique, « le système perd parfois la trace du ballon ». Il n’arrive plus à le modéliser et la montre de l’arbitre ne vibre pas. « Il suffit qu’il y ait un peu de brouillard, que la luminosité soit trop faible ou trop intense, ou qu’il y ait simplement beaucoup de joueurs au même endroit pour que ça puisse planter », avance Suzana Castaignede. Installés dans une voiture-régie garé près du stade, les opérateurs de Goal Control bénéficient alors d’une solution pour faire croire à l’arbitre que tout fonctionne bien. Une technique aussi aléatoire qu’inquiétante, que Goal Control appelle le « trigger » (déclencheur) manuel « .

« Quand il s’aperçoit que la montre ne réagit pas, pourrait la faire vibrer lui-même en l’air sur son clavier. Il faut le faire en moins de deux secondes, sinon l’arbitre comprend qu’il y a un problème . Mais dans un temps aussi réduit et face à des situations litigieuses, les décisions sont parfois prises au pif « , souligne l’ex-employée. Selon L’Équipe, qui a pu avoir accès à des rapports de matchs réalisés par des opérateurs de Goal Control, ce dispositif de secours a été utilisé lors d’une demi-douzaine de rencontres de Ligue 1 en 2016, sans que les arbitres doivent être tenus au courant .

Pas d’expérience de Hawk-Eye

Recrutée par Goal Control en 2015 pour son expérience dans l’informatique, Suzana Castaignede assure également que les opérateurs sont en mesure de modifier les animations 3D des actions de jeu envoyées aux diffuseurs TV. « Grâce à des logiciels, il est possible de modifier la position du ballon virtuel. On peut faire entrer dans le mais un ballon qui n’a pas franchi la ligne et, donc, fabriquer des buts à la main », témoigne-t- elle. Il est ainsi facile d’imaginer les manigances que peut engendrer un tel système et les éventuelles pressions ne pouvant faire l’objet des techniciens de Goal Control.

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En mai 2015, la LFP avait surpris cette boîte privée pour mettre en place la technologie de la ligne de but en France. Créée en 2012, Goal Control est loin d’avoir l’expérience de Hawk-Eye, sa principale concurrente fondée en 1999 et qui s’est fait un nom en développant l’arbitrage vidéo dans le tennis, puis en équipant trois grands championnats européens (Premier League, Serie A et Bundesliga) de la ligne de but. « On se disait qu’il ne fallait pas que Hawk-Eye détienne le monopole en Europe », se justifiait en décembre dernier dans L’Équipe Frédéric Thiriez, qui était alors aux commandes de la Ligue.

« Une vaste escroquerie »

Thiriez avait aussi mis en avant un argument financier: « Ils nous proposaient un prix (environ 2 millions d’euros par an) plus intéressant. « Si la première saison du partenariat entre la Ligue et le Contrôle des buts s’est déroulée sans trop d’accrocs, les bugs ont commencé à se multiplier dès l’exercice suivant, en 2016-2017. » Certains couacs sont aussi passés inaperçus aux yeux du grand public. La direction de Goal Control s’arrangeait pour les présenter à la Ligue comme des incidents isolés. Il suffisait parfois de dire que le système avait été victime d’un petit court-circuit et ça passait « , se rappelle Suzana Castaignede.

La ligne de but est censée indiquer à l'arbitre, via sa montre, si le ballon a ou non franchi la ligne de but.

La ligne de but est censée indiquer à l’arbitre, via sa montre, si le ballon a ou non franchi la ligne de but.

REUTERS / Wolfgang Rattay

Il a fallu attendre ses premières révélations, dans un entretien accordé en août à L’Équipe, pour que Goal Control se retrouve dans une position délicate. « Je n’en pouvais plus d’assister à une vaste escroquerie et de devoir me taire. On nous promettait que le système allait s’améliorer, mais il n’y avait aucun changement. J’en ai eu marre et j’ai contacté la Fifa et la Ligue. La LFP m’a assuré qu’elle souhaitait me rencontrer, puis j’ai eu droit à un silence droit « , raconte Suzana Castaignede, qui a alors décidé de se tourner vers les médias, non sans subir des pressions.

Deux nouveaux bugs en coupe

« Goal Control n’a pas hésité à me proposer de l’argent pour que je ne balance rien », soutient-elle. Contactée par L’Express, la société n’a pas encore répondu à nos questions. Pas plus que la LFP, qui se montrait de plus en plus agacée par les ratés de la ligne de but ces dernières semaines. « La technologie doit être absolument infaillible », avait demandé sur RMC le président de la Ligue Didier Quillot, le 17 décembre, au lendemain du match de Ligue 1 entre Troyes et Amiens. Ce jour-là, la montre de François Letexier avait vibré à tort en première mi-temps pour accorder un mais aux Troyens.

Persuadé que le ballon n’était pas entièrement entré dans les cages, l’arbitre avait pris la bonne décision en déjugeant la ligne de but et en annulant le mais. Deux nouveaux bugs sont intervenus mercredi lors des rencontres Angers – Montpellier et Amiens – Paris. La montre de Nicolas Rainville n’a pas vibré sur le mais du Parisien Adrien Rabiot et il a fallu l’intervention de l’assistance vidéo, testée cette année en Coupe de la Ligue, pour valider le but. À Angers, la montre de Ruddy Buquet a quant à elle vibré sur une frappe pourtant manquée du défenseur montpelliérain, Daniel Congré.

Sous contrat jusqu’en 2019, Goal Control devrait prochainement présenter un nouveau système à la Ligue, qui aura trois options face à elle: continuer avec la société allemande, se tourner vers son rival Hawk-Eye ou stopper (au moins momentanément) son expérience de la ligne de but.

Rodolphe Ryo


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