La France sous pression en Nouvelle-Calédonie


Le rôle précieux de la France dans l’Indo-Pacifique est sous pression, alors qu’elle poursuit ses propres plans pour régler l’avenir de la Nouvelle-Calédonie au mépris apparent des pratiques locales de ses communautés autochtones kanak, sapant ainsi un processus de 30 ans pour la paix et la stabilité dans le territoire et sans doute dans la région au sens large.

Le 12 décembre, le dernier des trois votes pour l’indépendance doit avoir lieu en vertu de l’Accord de Nouméa de 1998, l’un d’une série d’accords qui ont mis fin aux graves troubles civils liés à l’indépendance dans les années 1970 et 1980. Ces protestations comprenaient un boycott d’un référendum en 1987 et ont abouti à un échange sanglant dans une grotte de l’île d’Ouvéa au cours duquel 21 personnes ont été tuées. La France a engagé des négociations, acceptant de transférer de nombreuses responsabilités à de nouvelles institutions de gouvernance locale, sur la promesse du processus référendaire en trois parties actuellement en cours. L’accord précise « la pleine reconnaissance de l’identité kanak » et « le lien entre le droit coutumier et le droit civil français ».

Les 30 ans de paix en Nouvelle-Calédonie dont la région a joui, dans un voisinage mélanésien par ailleurs troublé, reposent sur la mise en œuvre largement réussie des compromis difficiles par la France, les partis indépendantistes et les partis loyalistes pro-français. Avec des dispositions spéciales permettant aux seuls résidents de longue date de voter aux élections locales et à ces référendums, au profit des Kanaks autochtones qui constituent l’essentiel des soutiens à l’indépendance, la force relative des partis indépendantistes s’est accrue au sein du gouvernement collégial. Les deux premiers votes d’indépendance en 2018 et 2020 ont vu leur soutien passer de 43,3% à 46,7%, avec des taux de participation record bien supérieurs à 80%. On s’attendait donc à ce que ce vote décisif final soit serré.

Les dirigeants indépendantistes, tout en préférant un vote plus tardif pour augmenter leurs chances de dépasser les 50 % et d’accéder à l’indépendance, s’étaient opposés à la décision de la France d’organiser le vote le 12 décembre. Le vote peut avoir lieu à tout moment avant octobre 2022. La France a le pouvoir statutaire de décider de la date et a clairement pris en compte le calendrier des élections présidentielles et législatives nationales françaises en avril et juin 2022.

Pourtant, les partis indépendantistes considéraient cette décision comme favorisant les loyalistes, qui préféraient une date plus rapprochée pour consolider leur mince majorité et faire bouger l’économie stagnante.

Ensuite, la variante Covid-19 Delta a frappé. Jusqu’en septembre, en raison des pratiques des collectivités locales plus strictes qu’en métropole, le territoire avait enregistré relativement peu de cas de Covid et aucun décès. Depuis le 6 septembre, 279 personnes sont mortes parmi la petite population de 270 000 habitants ; la plupart étaient des Kanaks. La culture kanak implique de longs rites de deuil communautaire et les autorités coutumières ont déclaré une période de deuil de 12 mois.

Les dirigeants indépendantistes ont demandé le report du référendum étant donné l’effet du deuil sur la campagne et la participation électorale. Lorsque la France a persisté, ils ont appelé à la « non-participation pacifique », dans une démarche qui rappelle leur boycott de 1987.

Le troisième et dernier référendum était censé être celui qui unissait la plupart des Néo-Calédoniens dans un vote final décisif et promis de longue date sur leur avenir. Au lieu de cela, le vote du 12 décembre est susceptible d’être l’une des lignes bien rangées d’un nombre beaucoup plus restreint de votes, avec au mieux un silence inquiétant de la part de ceux qui soutiennent l’indépendance. Il ne serait pas étonnant que le résultat final, comme en 1987, dépasse les 98 % en faveur du maintien en France mais, comme alors, avec un faible taux de participation.

La France soutient qu’un tel vote serait tout à fait légal. Mais les 15 experts des Nations Unies et l’équipe du Forum des îles du Pacifique dirigée par le Fidji Ratu Inoke Kubuabola seront dans une position difficile car ils observent ce vote pour sa légitimité politique et juridique.

Les dirigeants indépendantistes, dont le président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, Rock Wamytan, se sont rendus à New York pour plaider leur cause le 9 décembre devant le Comité de décolonisation de l’ONU. Ils ont un soutien régional. Le groupe de fer de lance mélanésien a déjà demandé le report du référendum au sein de ce comité. Le Premier ministre du Vanuatu Loughman, le leader indépendantiste de la Polynésie française Oscar Temaru et de nombreux anciens dirigeants du Pacifique de Mélanésie, de Micronésie et de Polynésie ont exprimé leur inquiétude, ce dernier dans une lettre au président français Emmanuel Macron.

Les gouvernements des îles du Pacifique savent que les actions de la France dans la région peuvent avoir des conséquences déstabilisantes. Ils ont monté une campagne internationale s’opposant à ses essais nucléaires dans la région et dénonçant sa mauvaise gestion des demandes de décolonisation dans ses possessions du Pacifique dans les années 1970 et 1980, conduisant avec succès le gouvernement français à changer ses habitudes.

Lorsqu’il a présenté la vision indo-pacifique de la France, depuis Nouméa en 2018 et Papeete en 2020, Macron a défini le rôle de la France comme fondé sur sa souveraineté dans les deux océans. Les documents stratégiques français ont souligné la présence souveraine de la France. À Papeete, Macron a évoqué la protection que la France pourrait offrir aux petits États insulaires isolés du Pacifique.

Pour continuer dans cette voie, la France doit assurer les dirigeants régionaux qu’elle s’engage pleinement à mettre en œuvre la lettre et l’esprit des engagements solennels qu’elle a pris en Nouvelle-Calédonie dans le cadre de l’Accord de Nouméa, en tant que présence souveraine résidente comprenant les pratiques culturelles locales.

En tant que pays du Forum des îles du Pacifique et allié stratégique, l’Australie s’attendrait également à ce que la France supervise un référendum pacifique, transparent et crédible conformément à l’Accord de Nouméa.

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