Malgré la crise, la Suisse reste très peu endettée et essuie de nombreuses critiques


Le pays qui avait un des niveaux d’endettement les plus bas du monde avant la crise est accusé de ne pas assez soutenir son économie.

La pandémie a fait renoncer l’Allemagne à l’orthodoxie budgétaire, la France débat d’une annulation de la dette détenue par la BCE et les États-Unis injectent des milliers de milliards de dollars dans leur économie. Mais la Suisse, elle, s’arc-bouteille sur la rigueur.

Mercredi, le Conseil fédéral (gouvernement) a finalement desserré les cordons de la bourse, annonçant un doublement des aides d’urgence aux entreprises, portées à 10 milliards de francs suisses (9,3 milliards d’euros) lors d’une conférence où il détaillait son programme de réouverture de l’économie.

Mais en présentant ce coup de pouce aux entreprises les plus touchées par le dernier semi-confinement, le ministre des Finances, Ueli Maurer, a une fois encore répété que la Suisse s’est endettée pour soutenir son économie.

Quelque 10 milliards de dettes vont devoir être amorties « dans les six ans » comme le veulent les règles du frein à l’endettement en Suisse, at-il prévenu, s’engageant à « présenter des pistes » dès qu’il sera possible de faire des projections.

150 millions par jour

Malgré une salve de critiques reprochant au gouvernement de ne pas en faire assez pour soutenir ses entreprises, le ministre des Finances n’a cessé de répéter que la Confédération n’avait pas d’argent.

Depuis le durcissement des mesures sanitaires mi-décembre, le pays s’endette de « 150 millions par jour », soit « 6 millions par heure ou 100.000 francs par minute », at-il répliqué.

En 2020, la Suisse a dépensé 15 milliards de francs pour soutenir son économie, bouclant l’année sur un déficit de 15,8 milliards, selon les comptes provisoires de la Confédération, sa dette augmentante de 15,5 milliards.

Phobie de la dette

Dans les cercles universitaires, les voix se multiplient pourtant, exhortant la Confédération à mettre la rigueur en sourdine pour éviter que la crise ne laisse des cicatrices durables sur tout un pan de l’économie.

La Suisse pourrait être beaucoup plus généreuse « , a report Michael Graff, professeur d’économie à l’École polytechnique fédérale de Zurich, à l’AFP, le pays pouvant, selon lui, élargissement emprunter sans s’inquiéter de sa dette.

Dans une note publiée en janvier, il avait vérifié, chiffres à l’appui, que les finances du pays alpin resteront saines, « même après la crise ». La Suisse est entrée dans cette crise avec un des ratios de dette publique les plus bas au monde, de 25,8% fin 2019. Ce taux d’endettement devrait grimper aux alentours de 35% pour l’année 2020. Par comparaison, la zone euro place la barre à 60%, at-il rappelé.

Selon lui, même si la dette devait augmenter de 10 points de pourcentage, voire 20 points « si les choses étaient bien pires que prévu », ses ratios d’endettement grimperaient aux environs de 35% à 45%, ce qui resterait « extrêmement bas , en comparaison internationale, une fois la crise surmontée « .

Mais la Suisse est un pays extrêmement libéral qui a une phobie de la dette publique « , at-il regretté, y voyant » un trait culturel « .

Après une envolée de sa dette à la fin des années 1990 suite à une grave crise immobilière, la Suisse est redevenue une championne de la rigueur depuis 2003 d’un frein à l’endettement, inscrit dans la Constitution.

« Cette peur de s’endetter a quelque chose d’irrationnel », a cependant confié à l’AFP Cédric Tille, professeur d’économie à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, surtout lorsque les taux d ‘ Les intérêts sont négatifs comme actuellement en Suisse.

Crainte d’une vague de faillites

L’ancien vice-président de la Banque nationale suisse, le professeur d’économie Jean-Pierre Danthine, est lui aussi monté au créneau, estimant que le frein à l’endettement doit « pour l’instant » être « mis en suspens » alors que l’économie vit un choc exceptionnel. Avec les taux négatifs, la Suisse gagne de l’argent en empruntant, et la Confédération peut donc emprunter « tout ce dont elle a besoin pour aider l’économie », avait-il argumenté lors d’un entretien avec la chaine locale Léman Bleu .

Moins touchée par la première vague, l’économie suisse avait jusqu’à présent mieux tenu le coup que les pays voisins. Elle avait pu assouplir plus tôt les restrictions sanitaires, compter sur les exportations de sa puissante industrie pharmaceutique pour limiter la casse et s’appuyer sur un vaste programme de soutien, rapidement mis en place par la Confédération.

Elle avait débloqué 70 milliards de francs pour financer le chômage partiel et des crédits-relais pour aider les entreprises à rester à flot durant le premier semi-confinement de mars et avril 2020.

Après une récession de 8,6% au premier semestre, son PIB a rebondi de 7,2% au troisième trimestre. Mais avec l’explosion des infections, la Suisse avait dû se résoudre mi-décembre à fermer ses cafés, restaurants, établissements culturels, de sport et loisirs, puis ses commerces non essentiels mi-janvier.

Si les magasins, musées et zoos doivent rouvrir le 1er mars, ce dernier tour de vis a fait craindre une vague de faillite chez les PME et a fortement refroidi les espoirs de reprise.

Avec la deuxième vague, il aurait fallu distribuer beaucoup plus tôt des aides à fonds perdus », a regretté Rafael Lalive, professeur d’économie à HEC Lausanne.

Frédéric Bianchi

Laisser un commentaire