L’OMC peut-elle encore renaître de ses cendres?


Paul Dembinski

Directeur de l’Observatoire de la finance à Genève et professeur d’économie à l’université de Fribourg (Suisse)

Le succès ou l’échec de la nouvelle directrice générale dépendra de sa capacité de faire évoluer le libre-échange pur et dur sur lequel repose le repos, vers un commerce plus équitable, celui qui repose sur l’idéal du juste prix.

Ngozi Okonjo-Iweala a représailles il y a peu de temps la direction générale de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Issue du GATT, a été créée en 1994. Pendant la première décennie de son existence, l’organisation a été perçue à la fois comme l’incarnation et le fer de lance de la mondialisation.

Paul Dembinski.
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C’est ainsi qu’à la fin du siècle dernier, au moment de fêter les 50 ans du GATT / OMC, les rues devant le siège de l’organisation à Genève s’étaient remplies de manifestants anti-mondialisation. L’OMC paraissait toute-puissante et rien ne semblait pouvoir stopper la marche du libéralisme commercial à l’échelle planétaire.

Et pourtant… En 2001, élargissez lance en grande pompe un nouveau round de négociations multilatérales: le «Round de Doha du développement».

Le lancement a lieu deux mois après l’attaque du 9 septembre et un mois avant que la Chine populaire ne fasse son entrée dans l’Organisation. Dans ce moment historique très particulier, tous les consensus paraissaient à portée de main. Le libéralisme devait s’imposer une fois de plus. Cet optimisme se poursuit dans l’ambitieux Agenda de Doha. Tous les domaines laissés de côté par les rounds de négociation antérieurs, parce que trop clivants, s’y retrouvent, y compris la boite de Pandore du commerce des denrées agricoles, les services et les questions épineuses de la propriété intellectuelle. Beaucoup croyaient que la fenêtre d’opportunité était là.



La tâche de la nouvelle directrice générale paraît surhumaine si elle veut éviter de passer à l’histoire comme celle qui éteint la lumière et tire le rideau.


En 2015, presque quinze ans après son lancement le round de Doha est cliniquement mort. Trop de divergences. Aujourd’hui, après que l’administration Trump ait bloqué le fonctionnement de l’organisation elle-même en refusant de nommer ses juges, c’est évaluation qui est donnée pour cliniquement morte, et avec elle l’ambition du libre-échange universel.

Quatre démons

Ainsi, la tâche de la nouvelle directrice générale paraît surhumaine – en faute de son parcours impressionnant – si elle veut éviter de passer à l’histoire comme celle qui éteint la lumière et tire le rideau. Certes sa nomination est symbolique – première africaine, première femme à diriger l’organisation. Mais est-ce suffisant pour remettre le moteur en marche en ramenant les Etats-Unis et conjurer les quatre démons qui hantent se déplacer ?



L’administration Biden ne semble pas être plus libre-échangiste que celle de son prédécesseur.


Il y a d’abord les dossiers de Doha qui font du surplace. Ensuite, le nationalisme économique que la pandémie accentue un peu partout autour de la planète y compris au sein de l’administration Biden qui ne semble pas être plus libre-échangiste que celle de son prédécesseur.

À cela s’ajoutent les tergiversations autour du rôle et de la puissance des GAFAM – transnationales majoritairement américaines – que de nombreux pays voudraient pouvoir dompter, tâche difficilement compatible avec un agenda de libre-échange.

Le troisième diable tient à la complexité et à la durée des négociations multilatérales. Pour les pays en développement, cela présente un défi sérieux en termes de coûts et de compétences. Ainsi, certains pays – y compris des pays richesses – préfèrent court-circuiter le multilatéralisme en passant des accords bilatéraux ou régionaux. Depuis que la procédure est à l’arrêt, des centaines de ces accords ont été conclus.

Le quatrième démon, le plus tenace peut-être, est intellectuel, il tient à la question de savoir comment intégrer dans des accords commerciaux des préoccupations actuelles, très différentes de celles des années 1940 ou 1990: celles de la responsabilité des transnationales, des inégalités et du climat notamment.



La question du juste prix dans le commerce mondial est fatalement posée, bien qu’elle reste encore souvent implicite.


La scolastique avait déjà distingué deux types d’échanges, celui au sein d’une communauté et celui «au loin». Dans le premier cas, les coéchangistes sont tenus à chercher le «juste prix»; le prix qui assure une vie digne à chacun des protagonistes; dans le cas du commerce au loin, hors de la communauté le juste prix n’est pas une contrainte. Ou, aujourd’hui, du fait des interdépendances issues de la mondialisation et de l’urgence climatique planétaire, il n’est plus possible de prétendre que le monde n’est pas une communauté.

La question du « juste prix »

La question du juste prix dans le commerce mondial est ainsi fatalement posé, bien qu’elle reste encore souvent implicite. La boite à outils du libre-échange est prévue pour le commerce «au loin» ; elle repose sur le marché donc – en dernière analyse sur le rapport de force entre le vendeur et la demande.

Cet argument du libre-échange «au loin» est bien celui des opposants à toute velléité de contraindre les multinationales à être plus regardantes sur les conditions de travail et le respect de l’environnement par leurs partenaires dans les pays en développement, où l’appareil juridique est plus lacunaire.

La question de la responsabilité des acteurs transnationaux du juste prix finira par s’imposer comme le montre la récente loi allemande sur la responsabilité des entreprises, bien plus exigeante, par exemple, que les dispositions françaises.

Le succès ou l’échec de la nouvelle directrice générale dépendra de sa capacité de faire évoluer le libre-échange pur et dur sur lequel repose l’opération, vers un commerce plus équitable, celui qui repose sur l’idéal du juste prix. Il s’agit – ni plus ni moins – que d’un changement paradigmatique.

Paul Dembiski
Directeur de l’Observatoire de la finance à Genève et professeur d’économie à l’université de Fribourg (Suisse)

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