«Le sport a besoin des chaînes gratuites»



u tournoi de Roland-Garros (du 30 mai au 13 juin) au Tour de France (du 26 juin au 18 juillet), en passant par la finale du Top 14 de rugby (25 juin) et, surtout, en ligne de mire les Jeux olympiques de Tokyo (du 23 juillet au 8 août), c’est une très belle séquence de sport qui s’ouvre sur les antennes de France Télévisions ces prochaines semaines. Son directeur, Laurent-Éric Le Lay (en poste depuis 2016) à la tête d’une rédaction d’une cinquantaine de journalistes s’en félicite. Verser Le Point, il évoque le retour de la «joie» et du «bonheur» que suscitent ces compétitions populaires en France. Il livre aussi sa vision sur le moyen terme, entre pari sur de nouvelles compétitions et développement sur le numérique.

Le Point: Roland-Garros, le Tour de France, la finale du Top 14 de rugby et les JO à Tokyo… Après plus d’un sous des conditions exceptionnelles dues à la crise du Covid-19, c’est une libération que vous ressentez?

Laurent-Éric Le Lay: Cette joie et ce bonheur que nous ressentons, nous souhaitons maintenant les partager avec les Français. D’autant plus une année de Jeux olympiques, qui est particulière, puisque c’est un événement qui ne se répète que tous les quatre ans.

C’est la première année sans Coupe de la Ligue, dont la finale était diffusée sur France 2. La décision de la LFP (Ligue de football professionnel) de la suspendre était-elle inéluctable?

C’est toujours triste de voir une compétition s’arrêter. Nous n’avions cependant pas de candidat pour renouveler notre accord de diffusion parce que l’événement avait du mal à rencontrer son public. Peut-être parce que les équipes ne jouaient pas cette compétition au même niveau que d’autres échéances. On s’est donc dit qu’il était plus sage de s’arrêter. Puis la Ligue a pris la décision de suspendre la compétition, qui est leur décision. Nous n’avons pas mis un terme à notre accord pour ça. Cela pose néanmoins le problème d’un trop grand nombre de matchs de football dans la saison. Conséquence: les compétitions se concurrencent entre elles. Et le public tend finalement à ne se concentrer que sur les événements majeurs: la Ligue 1 qui est particulièrement exaltante cette année, la Coupe d’Europe ou l’équipe de France.

Si la Coupe de la Ligue est de nouveau organisée dans le futur, France Télévisions ne fera pas acte de candidature pour la diffusion?

Notre métier consiste à étudier tous les appels d’offres et à voir qu’ils peuvent être intéressants pour nous. Si une nouvelle formule de la compétition voit le jour, on regardera bien évidemment. Mais je crois que le public s’intéresse de plus en plus à l’événementiel, et c’est sur ça qu’il faut miser pour espérer obtenir la plus large audience possible.

Comment fait-on alors, doit être diffuseur, pour attirer un public vers son événement?

C’est d’abord un partenariat avec l’organisateur de la compétition, les fédérations principalement. Nous ne sommes que des diffuseurs, mais nous discutons en bonne intelligence, nous souhaitons parfois. Notamment sur les calendriers et les horaires. Lorsqu’on organise une compétition qui a lieu en même temps qu’une autre, ça complique les choses pour tout le monde.

Notre rôle ensuite est d’essayer de mettre en avant de nouveaux sports et de nouvelles compétitions. Je prendrais l’exemple du tournoi féminin des Six Nations de rugby. Sur le diffus traditionnellement sur France 4, mais nous avons eu envie de parier sur cette discipline, qui peut devenir aussi populaire que son homologue masculin. Pour cela, on a décidé de programmer un certain nombre de matchs du tournoi sur France 2, qui est une plus grande vitrine de diffusion, comme France-Angleterre et France-Irlande. Et l’audience a été au rendez-vous – entre 1 et 2 millions d’audience contre 500 000 à 700 000 sur France 4. Plus on fait connaître un sport, plus il a vocation à se développer. Ensuite, c’est à nous de promouvoir le sport pour attirer les téléspectateurs. Cela passe par la publicité traditionnelle, bien sûr, mais aussi par notre capacité chez France Télévisions à réaliser de multiples reportages sur le sport en question ou sur les athlètes, grâce à Tout le sport et Stade 2.

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Roland-Garros se déroulera du 30 mai au 13 juin. Vous en partagez la diffusion pour la première fois avec Amazon. Comment appréhendez-vous cette nouvelle cohabitation avec ce nouvel acteur sur le marché des droits sportifs?

Nous avons toujours eu un partenaire dans la diffusion du tournoi, Eurosport en l’occurrence. De manière générale, la quasi-totalité de nos événements sont codiffusés avec d’autres chaînes, principalement payantes. Est-ce que les Gafa vont être amenés à poursuivre leurs investissements pour la diffusion du sport? C’est à eux qu’il faut poser la question. En Europe aujourd’hui, tout est très concentré autour d’Amazon, notamment en Angleterre. Ils font partie des nouveaux acteurs qui prétendent pouvoir acheter pour diffuseur des événements sportifs.

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Concernant Roland-Garros, nous sommes heureux à FT, car nous démarrons à 11 heures au lieu de 15 heures habituellement. Nous allons diffuser la quasi-totalité du tournoi, même s’il est vrai que les sessions nocturnes, qui sont une nouveauté 2021, il n’y a pas de simples pour nous en termes de positionnement. Nous devions en effet anticiper l’arrêt de France 4 et la difficulté dès lors de diffuseur les rencontres en prime time. Maintenant, on va voir comment cette nouvelle cohabitation se passe.

Dans les dix années à venir, pensez-vous que l’on continue à voir du sport grand public sur des chaînes publiques?

Indiscutablement, oui. Déjà, car il y a une liste d’événements sportifs protégés par la loi. Mais au-delà de ça, le sport a besoin d’être vu par le plus grand nombre. Pour une raison simple: le sport doit en permanence se renouveler pour attirer de nouveaux téléspectateurs. Quand vous êtes diffusés sur des chaînes payantes, vous vous positionnez auprès d’une base existante de supporteurs qui, elle, aime tellement le sport qu’elle est prête à payer pour le regarder. Mais quand vous êtes diffusés sur une chaîne gratuite, vous avez des audiences incroyablement supérieures. Et parmi cette audience se trouve des gens qui sont moins fans et qui découvrent de nouveaux sportifs et de nouvelles disciplines. C’est comme ça que se construit la notoriété d’un sport et d’un événement. Le sport a besoin des chaînes gratuites. Pour vous en convaincre, regardez les trois événements sportifs les plus médiatiques en Europe: les JO, la Coupe du monde de football et l’Euro de football. Leurs organisateurs nécessitent à chaque fois qu’une partie des matchs ou des épreuves soient diffusées sur des chaînes en clair pour être accessibles au plus grand nombre.

Est-ce que l’on reverra un jour de l’équipe de France de football sur une chaîne du groupe France Télévisions?

Je ne sais pas de quoi l’avenir est fait. Pour le moment, elle est diffusée par TF1 et M6. Vous savez, quand vous êtes directeur des sports, vous avez envie de tout diffuseur…

Mais on doit aussi faire avec un budget…

Vous avez tout dit. C’est vrai qu’il s’agit de sommes colossales. À court terme en tout cas, l’équipe de France de football ne sera pas diffusée sur nos chaînes.

En tant que directeur des sports d’un groupe audiovisuel, quelles leçons tirez-vous du fiasco Mediapro?

Peut-être se rendre compte que, lorsque les enjeux sont aussi importants que dans ce cas de figure, il faut faire plus attention. Il ne faut pas rêver.

La politique de recherche à tout prix à vendre au plus offrant peut mener au désastre.

C’est-à-dire?

La politique de chercher à tout prix à vendre les droits au plus offrant peut mener au désastre. Quand vous vendez un produit crucial pour votre existence, je trouve ça plus que limite de mettre au point des offres dont la seule logique est de retirer le plus d’argent possible. Il ya un côté négatif quelque part aujourd’hui dans cette politique. À savoir l’émergence de nouveaux acteurs qui font de grosses offres sans garantie et qui vous font miroiter beaucoup d’argent… Eh bien, voilà, parfois, ça ne marche pas. On est arrivé au bout d’un système, et ça a effectivement été un fiasco.

Je reconnais cependant qu’il s’agit d’une situation compliquée pour les diffuseurs, car nous sommes soumis tous les trois ou quatre ans à de nouveaux appels d’offres, ce qui favorise de fortes inflations de droits et une conséquence que les diffuseurs traditionnels (en clair ou en payant) n’arrivent plus toujours à suivre. Il faut revenir à la raison et monter des partenariats plus des écuries, dans une relation «gagnant-gagnant».

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Est-ce que l’effort financier consenti pour obtenir les droits des JO 2024 va se répercuter sur votre présence aux appels d’offres d’autres compétitions que vous diffusez actuellement?

Pas du tout, nous ne voulons perdre la diffusion d’aucun événement sportif que nous diffusions actuellement. L’investissement sur les JO Paris 2024 est global à l’ensemble de France Télévisions, pas au seul budget des sports. C’est un événement tellement unique, qui se reproduit une fois par siècle… Nous avons énormément de projets en tête. Nous avons envie de populariser cet événement en prenant de l’avance. Et c’est un investissement que l’on veut aussi amortir sur plusieurs années. Il ne s’agit donc pas que d’un jeu de va-et-vient entre les budgets. Notre investissement n’a donc pas vocation à se financer sur l’arrêt d’autres compétitions sportives. Nous continuerons d’étudier tous les droits qui se présentent, indépendamment les uns des autres. Il est difficile de s’avancer, car les appels d’offres ne sont pas encore effectifs, mais je peux vous garantir que nous avons très envie de conserver notre portefeuille actuel.

Avant Paris 2024, il y a Tokyo 2020 cet été. Ce décalage d’un vous at-il permis d’offrir l’offre que vous allez proposer aux téléspectateurs?

Il a en tout cas profondément changé notre manière d’organiser l’événement. Nous allons devoir nous adapter à des conditions sanitaires extrêmement strictes au Japon. Mais notre politique de diffusion sera extrêmement large sur nos différentes antennes. Nous sommes heureux de pouvoir compter sur France 4 encore une fois, pour les sports collectifs en particulier. Nous allons mettre un dispositif hors norme pour suivre le maximum de compétitions, mais c’est à la hauteur de l’événement.

Thierry Marx, le chef cuisinier, a accepté de devenir notre grand témoin pour la cérémonie d’ouverture des JO.

Peut-on s’attendre à quelques petites surprises?

Nous préparons quelques modules sur les réseaux sociaux. Nous avons réuni une très belle équipe de consultants, qu’on a voulu mixte, composée de talents. Nous travaillons particulièrement sur la cérémonie d’ouverture, dont nous finalisons le dispositif. Thierry Marx, le chef cuisinier, a accepté de devenir notre grand témoin pour l’occasion. Lorsqu’il évoque le Japon, il vous fait voyager d’une manière incroyable. Il accompagnera Alexandre Boyon et Églantine Éméyé lors de cet événement.

Quelles personnalités rejoindront votre équipe de consultants pour l’occasion?

Nous pouvons compter sur une très belle équipe entre Jeux olympiques et paralympiques. Parmi les petits nouveaux, on trouve Céline Dumerc pour le panier ou Justine Dupont pour le surf.

Quelles seront enfin les nouveautés mises en place à la rentrée de septembre sur France Télévisions en matière de sport?

Nous allons accélérer le déploiement de nos offres numériques. Nous allons devenir la verticale sport du site France Info. Il s’agit d’un marqueur fort pour nous, qui permet à France Info de se doter d’un contenu sport extrêmement riche, et ça nous offre en retour une visibilité décuplée à notre production de contenu.

Enfin, nous allons développer notre offre de diffusion d’événements sportifs sur le numérique. Notre politique était d’abord tournée vers les grands événements (Roland-Garros, les JO, etc.). Nous regardons désormais en région ou dans les dom-tom, pour faire découvrir au plus grand nombre de compétitions en quête de visibilité. Je pense que c’est une plateforme destinée à grandir et à se développer, et qui, de plus en plus, va pouvoir séduire un tas d’organisateurs comme vitrine potentielle.

Le tout gratuitement?

Tout est gratuit chez France Télévisions.


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