Ingérences et fake news : comment la lutte contre la désinformation s’organise à l’étranger


Comptes Twitter automatisés malveillants, sites d’informations non vérifiées, fuites de données lors d’élections… A un an de la présidentielle, et après un de fake news sur la pandémie de Covid-19, les menaces de désinformation sont multiples. Pour les contrer, le gouvernement français compte se doter d’une agence nationale de lutte contre les manipulations de l’information provenant de l’étranger, a annoncé mercredi le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), Stéphane Bouillon . Un service qui existe déjà sous de nombreuses formes… à l’étranger.

Composé de 60 personnes, le service français de lutte contre les ingérences numériques surveillera « ce qui est en train de devenir pandémique sur le plan informationnel » et si cela émane d’« un pays étranger ou d’une organisation étrangère qui vise ainsi à déstabiliser l’Etat sur le plan politique », a détaillé Stéphane Bouillon. En d’autres mots, il devra prévenir les attaques numériques et débusquer les fausses informations prenant de l’ampleur sur Internet, notamment dans un contexte électoral, et trouver qui en est à l’origine. Il sera opérationnel à partir de septembre, et travaillera sur les élections législatives en Allemagne ainsi que le référendum d’autodétermination du 12 décembre en Nouvelle-Calédonie pour « en tirer des leçons ».

Cette structure peut ressembler à l’étranger, en certains points, au Global Engagement Center (GEC), qui dépend du ministère des Affaires aux États-Unis. Initialement créé en 2015 pour lutter contre la propagande d’organisations terroristes en ligne (comme l’État islamique), il semble par la suite s’être ouvert à d’autres sujets comme la désinformation russe. En 2020, il a publié un rapport détaillant sur 77 pages l’écosystème de la propagande et des fausses informations ainsi lancées par Moscou.

Sites étrangers, réseaux sociaux et campagnes de com’

Dans ce rapport, le centre analyse par exemple comment une affirmation prétendant que les États-Unis avaient créé le virus du Covid-19 était partie d’un média d’État russe avant d’être amplifiée par les réseaux sociaux ainsi que les médias RT et Spoutnik, et d’autres médias locaux aux intérêts proches de ceux de la Russie, comme « l’Echo du Kazakhstan ». Il aura fallu quatre mois, entre les débuts de l’épidémie en janvier 2020, et les premiers confinements d’avril 2020, pour que la fausse information soit « entièrement diffusée dans l’environnement », détail le rapport.

Le GEC liste également de nombreux organismes et sites susceptibles de répandre des fausses informations, comme Strategic Culture Foundation, Global Research, New Eastern Outlook, News Front, SouthFront, Katehon ou encore Geopolitica.ru. Il surveille, aussi, leur influence sur Facebook, Twitter, Instagram, YouTube ou encore VKontakte, un réseau social populaire en Russie.

Probablement inspiré par l’initiative américaine, le Royaume-Uni a quant à lui fondé la National Security Communications Team (NSCT) en 2018. « C’est une petite entité de professionnels de la communication dont le but est d’améliorer les communications stratégiques liées à la sécurité nationale », résume Joe Devanny, maître de conférences à l’université King’s College de Londres. La NSCT a donc plusieurs fonctions : « contrer les récits qui s’opposent à la politique nationale et amplifier les messages du gouvernement », en voir des campagnes de communication, et, également, s’opposer à la désinformation.

« On a peu de détails disponibles sur le travail du NSCT, comme c’est le cas pour tout ce qui touche aux dispositifs nationaux de sécurité au Royaume-Uni », confie le spécialiste des questions de cybersécurité. Mais « on sait qu’il s’est de plus en plus concentré sur la désinformation autour de la pandémie de Covid-19 », ajoute-t-il. En 2020, le Royaume-Uni a également monté une « Unité de la Contre-Désinformation » au sein du ministère de la Culture et de la Communication, et a récemment révélé la création d’une « Force de Cybersécurité nationale » qui a pu contrer des campagnes de Daech en ligne, selon Joe Devanny.

La Russie au cœur des préoccupations

Toujours en Europe, le Danemark a lui aussi créé en 2017 une « task force » pour « contrer les campagnes d’influence » étrangères, en mobilisant les ministères de la Défense, des Affaires étrangères, de la Justice ainsi que les services de sécurité et de renseignement. Lors de sa création, plusieurs ministres ont expressément désigné Moscou comme sujet principal de préoccupation. « On a vu les tentatives de la Russie d’influencer les élections aux États-Unis et en France », avait déclaré Anders Samuelsen, ministre des Affaires étrangères, faisant référence, par, aux « Macron leaks » survenus le week-end du deuxième tour des présidentielles en 2017.

En Australie, c’est aussi une « task force » désignée à « l’intégrité électorale », qui a été créée en 2018 dans le but spécifique de surveiller les attaques et les ingénieries étrangères lors d’élections. Au cœur des inquiétudes : la propagande de la Chine, et, de nouveau, celle du Kremlin, rappelle alors Reuters.

On l’aura comprend : la Russie est un des principaux responsables de la désinformation étrangère en ligne, aux yeux des pays de l’OCDE. Du côté de l’Union européenne, la « task force » East StratCom, formé en 2015 et forte de 16 membres issus de la communication, du journalisme et des sciences sociales, dénombre aujourd’hui plus de 12 000 cas de « désinformation pro- Kremlin ». Ces cas sont listés sur le site EUvsDisinfo, qui publie de nombreux articles en anglais, français, italien, russe et allemand. Parmi les dernières propagandes débusquées, on trouve les campagnes russes défendant la présence de forces armées à la frontière de l’Ukraine, ou encore les attaques de Moscou contre les vaccins occidentaux contre le Covid-19.

Des agences d’État au rôle délicat

Mais la Russie n’est pas le seul pays à disposer de forces à contrer sur Internet. « Beaucoup d’acteurs gouvernementaux et privés ont utilisé des réseaux de faux comptes en se faisant passer pour des activistes, et des médias afin de traiter l’opinion publique », avait expliqué Camille François, directrice de l’innovation au cabinet d’analyses Graphika, à l’Opinion, en 2020. « Nos derniers rapports, par exemple, révèlent ce type d’activités en Ukraine, et même au cœur des États-Unis avec le réseau de Roger Stone, un proche de Donald Trump », at -elle a ajouté.

La création de ces unités aux formes multiples soulève une question : peut-on vraiment faire confiance à une agence d’État pour déterminer ce qui est de la désinformation ? « C’est certainement une question délicate », reconnaît Joe Devanny. « Améliorer l’impact de campagnes de communication du gouvernement est un objectif légitime, mais il est important de prendre des précautions. Le gouvernement ne devrait jamais être flou sur l’origine d’une information, et préciser quand cela a été financé par lui. La confiance du public peut être améliorée si ces agences sont transparentes sur leurs opérations, si elles mènent une surveillance appropriée, et si elles assument leurs responsabilités », développe-t-il. En France, le SGDSN a promis « la transparence totale » sur ses actions. Hors de question pour son agence de passer pour un outil d’influence en ligne au service de l’exécutif, à un an d’une nouvelle élection présidentielle.



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