Entre le portefeuille et la planète


L’électeur moyen n’hésite pas : entre tous les grands enjeux — immigration, vitalité du français, éducation, programmes de soutien —, il semble bel et bien préférer qu’on lui parle de baisses de taxes ou d’impôts, ou d ‘un chèque à lui faire parvenir.

Par exemple, en 2015, Justin Trudeau a promis une nouvelle allocation canadienne pour enfants, ce qui, outre la lassitude après neuf ans de gouvernement Harper, a annulé à son élection. Le fait qu’il ait respecté cet engagement n’avait pas été oublié lorsqu’il a été reporté au pouvoir en 2019. Le gouvernement caquiste, qui a envoyé un chèque à presque tous les Québécois en début d’année, joue lui aussi de cette formule. Cela participe à son succès.

Pour les idéalistes qui lisent les programmes des partis et tentent de suivre les promesses électorales du jour, il y a là de quoi se creuser la tête. À quoi bon tous ces efforts si, au final, seul le portefeuille compte réellement ?

C’est particulièrement vrai à ces élections-ci, où l’on voit monter les taux d’intérêt, les prix à l’épicerie et le coût des loyers. L’économie est donc devenue le sujet de l’heure, déclassant même notre préoccupation éternelle pour le système de santé.

Surtout, elle se traduit dans l’ombre la question environnementale, qui est pourtant la grande tragédie de ce siècle. Une étude publiée jeudi dans la revue La science énumère les nombreux « points de basculement » qui guettent la planète si nous continuons sur la réalité actuelle et dépassons les objectifs de l’Accord de Paris, soit une hausse des températures de 1,5 degré par rapport à l’ère préindustrielle. C’est encore l’alarme qui sonne et que l’on ne veut pas entendre.

Mon collègue Philippe J. Fournier l’a bien fait de voir cette semaine en décortiquant la question du dernier sondage Léger qui portait sur les enjeux de la campagne électorale. Les répondants se montraient extrêmement insatisfaits de la gestion du dossier de l’environnement par le gouvernement Legault, mais cela n’avait aucun effet sur les intentions de vote.

Autant dire qu’on s’en va dans le mur, et plus rapidement que prévu, qu’on le sait, mais qu’on ne tient pas à être freinés. Accros à notre mode de vie même s’il est délétère, comme des toxicomanes qui ne supportent pas l’idée du manque. Le sevrage n’est pas pour demain.

Mais peut-être faut-il considérer la chose autrement ? Peut-être que les électeurs distribuent leurs sujets de préoccupation en fonction des paliers de gouvernement ? Et que pour eux, l’environnement est un enjeu si vaste, avec des intérêts si variés et des lobbys si puissants, qu’il vaut mieux l’appréhender à l’échelle humaine pour avoir le sentiment de vraiment agir ?

Ce qui ramène au niveau local et explique qu’aux récentes élections municipales, une nouvelle génération sensible à la question a été élue. Depuis novembre dernier, une soixantaine de municipalités conseillers du Québec compétentes des maires ou des écologistes, selon les estimations du mouvement Vague écologiste au municipal, un organisme de promotion des questions environnementales à ce palier décisionnel.

C’est particulièrement remarquable dans les grandes villes. Québec, Longueuil, Laval et Sherbrooke se sont joints à l’approche verte prônée par la mairesse Valérie Plante et son parti Projet Montréal, réélus l’automne dernier. Et si Gatineau n’a plus la même équipe à sa tête, le souci environnemental y est resté incontournable tant les inondations et les tornades ont frappé la quatrième ville du Québec ces dernières années.

Dans toutes ces villes, en se souciant de l’aménagement du territoire, afin de réduire les îlots de chaleur et de prévenir les catastrophes ; on déploie des pistes cyclables, on entend mieux structurer le transport collectif et on encourage les marcheurs ; on veut contrer l’usage du plastique, promouvoir le commerce local, favoriser les bâtiments verts, pousser plus loin les méthodes de récupération… Les projets ne manquent pas. Et tous ces élus forment un formidable contrepoids au gouvernement pour l’inciter à partager leurs préoccupations.

Je m’en réjouis, mais rapidement je me retrouve encore à m’interroger. Est-ce que cette vague de nouveaux élus provient vraiment d’une conscience citoyenne qui veut voir des résultats sur le terrain, comme je le supputais plus haut ? À moins que ce ne soit dû au fait que moins de gens votent au municipal : un désolant 38,7 % pour l’ensemble du Québec, et encore moins pour Laval, Gatineau et Longueuil… On pourrait donc poser l’hypothèse que ce sont les plus conscientisés qui, en 2021, se sont déplacés pour voter, ce qui a entraîné un renouveau inattendu dans la donne politique.

Et est-ce que la plus grande participation aux élections québécoises ou fédérales expliqueait qu’un enjeu aussi perturbant et exigeant que l’environnement n’arrive pas à devenir prioritaire, au point où un gouvernement — et c’est vrai à Québec comme à Ottawa — peut sous-performer dans ce domaine sans en subir les conséquences ? Faut-il alors croire qu’un faible taux de participation peut avoir de bons effets sur la société ?

Misère que j’ai mal à la démocratie quand je pose une telle question ! Et que je souhaite plutôt que les chefs prennent leurs responsabilités et convainquent les électeurs que le dérèglement climatique est un problème aussi urgent que la lutte contre l’inflation !

Et je vois déjà s’esquisser le sourire des cyniques, avec des réalistes qui soupirent derrière !

Laisser un commentaire