Élection française : les jeunes des minorités expriment leurs frustrations avant le vote | Nouvelles des élections


Paris, France – Un manque d’enthousiasme est palpable pour la prochaine élection présidentielle en France. Des affiches représentant les candidats dans le centre de la capitale sont recouvertes de graffitis ; d’autres sont arrachés aux murs comme si leur simple présence était une provocation.

Le désintérêt est en partie dû au sentiment général que le président Emmanuel Macron obtiendra un second mandat et que cette course électorale n’a pas présenté de nouveau candidat charismatique.

Alors que le taux de participation aux élections françaises est généralement constant, oscillant autour de 80 % environ, le pays a des habitants vieillissants, les jeunes (18-29 ans) représentant 19 % de la population.

Un peu plus des deux tiers d’entre eux ont voté aux deux tours des élections de 2017 et, selon un sondage, le même pourcentage a indiqué que le pouvoir d’achat était sa principale préoccupation.

Al Jazeera s’est entretenu avec cinq jeunes Français issus de minorités et leur a demandé leur avis sur l’élection à venir, qui tiendra son premier tour le 10 avril.

Ils ont exprimé leur frustration face au manque de vision politique des candidats et ont déclaré que la plupart de leurs préoccupations n’avaient pas du tout été prises en compte.

Voici ce qu’ils avaient à dire :

Lauren Lolo, 24 ans

Co-fondateur de la Cité des Chancess, une organisation qui promeut l’engagement citoyen des jeunes des banlieues et des quartiers populaires

Lauren Lolo, co-fondatrice de Cité des Chances
Lauren Lolo, co-fondatrice de Cité des Chances [Linah Alsaafin/Al Jazeera]

Je pense que nous n’avons pas suffisamment abordé les droits des femmes et les droits des personnes handicapées. Ils abordent parfois le racisme, mais jamais ce qui l’a causé.

Un mot pour décrire cette élection est le désespoir. Beaucoup de gens pensent que nous connaissons déjà le résultat des élections. Ils ne veulent pas s’impliquer, car ils pensent que même s’ils votent, cela ne changera rien.

Macron a bouleversé toute la scène politique. Avant, c’était clair. Il y avait la droite et il y avait la gauche. À présent? Le chaos.

Il y a différents partis dont nous ne savons même pas où ils se situent. On peine à voir la moindre différence entre certains candidats, notamment sur l’aile gauche. Ils fonctionnent sur leur personnalité et non sur un programme ou un agenda. C’est vraiment triste. Cela profite aux vieillards qui font de la politique depuis le plus longtemps.

Malheureusement, nous n’avons pas mille choix, alors je voterai pour Jean-Luc Mélenchon, comme un vote utile. Il est en tête de la gauche dans les sondages mais je n’aime pas trop sa personnalité. Il est vieux et il a eu beaucoup de scandales à l’époque. Il devrait céder sa place à quelqu’un d’autre, puisqu’il s’est déjà présenté trois fois à la présidence.

Lors de la visite de mon organisme dans les « quartiers populaires », nous avons demandé à 250 jeunes quels enjeux les préoccupent le plus. Une chose qui revenait souvent était l’éducation, le chômage des jeunes, l’absence de perspectives d’avenir. Celles-ci ne sont pas vraiment abordées par les candidats.

Mustapha Boina, 23 ans

Etudiante en Sciences Politiques à l’Université Paris Nanterre

Mustapha Boina, étudiant en sciences politiques à l'université ou à Nanterre [Linah Alsaafin/Al Jazeera]
Mustapha Boina, étudiant en sciences politiques à l’Université Paris Nanterre [Linah Alsaafin/Al Jazeera]

C’est la première fois de ma vie que je suis dans cette position de ne pas savoir ce que je vais faire. C’est parce qu’il n’y a pas de programmes concrets ou de visions ni de la gauche ni de la droite. Nous avions l’habitude d’avoir des programmes et des agendas, une idée claire de ce pour quoi les candidats se présentent.

Rester dans l’Union européenne est important pour moi. C’est la vision du monde, c’est la façon dont nous sommes connectés aux autres pays de la région. C’est à la base de tout. Nous ne pouvons pas avoir un président qui est contre l’Europe.

Je ne peux pas supporter de voir encore cinq ans de Macron, cependant. Je n’étais pas partisan de Macron en 2017. Je pensais qu’il dirigerait un gouvernement centriste et qu’il rassemblerait au moins les Français derrière lui.

Mais la politique de Macron est clairement à droite. Il a divisé le pays et le peuple français et créé tout cet environnement qui a profité à la montée de l’extrême droite. C’est très dangereux. S’il y a un Eric Zemmour candidat à la présidence aujourd’hui, c’est grâce à Macron.

Marine Le Pen peut gagner. Pour la première fois, elle peut réellement gagner et j’en ai vraiment peur.

Nawal Sissi, 25 ans

Étudiante en communication en alternance travail-études

Nawal Sissi, étudiante en communication
Nawal Sissi, étudiante en communication [Linah Alsaafin/Al Jazeera]

C’est chaotique. J’ai l’impression qu’on ne voit que les mêmes candidats, les mêmes visages et que les gens n’ont pas vraiment accès aux informations liées à ce pour quoi les candidats se présentent. J’ai parcouru les propositions des différents candidats, et j’ai eu ce sentiment qu’il n’y avait rien de réel là-dedans. Nous ne comprenons pas vraiment ce qui se passe réellement.

À l’école, on ne vous a jamais appris à vous intéresser à la politique et à la comprendre. Je me sens vraiment perdu. Je ne sais pas où commencer.

Si je ne vote pas pour Mélenchon, quelles sont les autres alternatives ? Si je vote pour quelqu’un d’autre, ils interdiront mon foulard. Je n’ai pas d’autres options. Mais je ne vois pas moi-même ce qu’il représente.

Tout le monde autour de moi pense que Macron va gagner, alors ils ne voient pas l’intérêt de voter.

Il y a autre chose qui est important pour moi, c’est l’identité française. Il ne faut pas avoir une définition aussi stricte et figée de l’identité française. Il devrait s’agir d’inclusion et de mise en valeur de cette société multiculturelle.

Aïvy Rahman, 23 ans

Diplômée en droit international et stagiaire à l’Office français de protection des réfugiés (OFPRA)

Aïvy Rahman travaille à l'Office des Réfugiés (OFPRA)
Aïvy Rahman travaille à l’Office français de protection des réfugiés (OFPRA)​ [Linah Alsaafin/Al Jazeera]

Je suis très énervé. J’ai super peur et j’ai le sentiment que personne ne prend cette élection au sérieux, surtout la jeune génération, ce qui m’attriste le plus.

C’est une campagne électorale très chaotique. Il y a trop de candidats sur l’aile gauche. D’une part, je reproche aux jeunes de ne pas voter, mais d’autre part, je comprends pourquoi ils ne votent pas. Pourquoi seraient-ils intéressés par une campagne aussi chaotique ? On n’entend que polémiques sur polémiques… des phrases absurdes.

La pauvreté est ma principale préoccupation. Je viens d’une famille à faible revenu. Et quand j’entends les propositions lancinantes de Macron sur le RSA, j’ai envie de pleurer.

[Revenu de solidarite active​, RSA, is a form of welfare benefits intended to guarantee a minimum level of income for unemployed people, or workers who have a very low income. Macron proposes limiting the payment of this minimum income to those who can work 15-20 hours a week.]

Mes parents reçoivent le RSA. Ils ont vraiment du mal à trouver un emploi. Ils essaient depuis des années. Quand j’entends ces choses, j’ai envie de pleurer. J’ai l’impression que nous sommes des parasites pour eux. Tout ce que nous voulons, c’est faire partie de cette société.

Je pense que Marine Le Pen va gagner. J’en suis sûr. En 2017, on ne connaissait pas Macron, et on a voté pour lui pour se protéger de Le Pen. Mais cette fois, nous connaissons assez bien Macron et ce qu’il représente. Les gens ne veulent pas s’allier contre Marine Le Pen, car ils ne se voient pas voter pour Macron. Ils sont déçus, énervés. Certains ne voteront même pas.

Certains ont besoin de voir Marine Le Pen à la tête de l’Etat pour se rendre compte à quel point les choses vont mal. J’ai vraiment peur.

Maroan Abdel Meneaam, 21 ans

Étudiante en droit et histoire à Sorbonne Université

Maroan Abdel Meneaam, étudiant en droit et histoire [Linah Alsaafin/Al Jazeera]
Maroan Abdel Meneaam, étudiant en droit et histoire [Linah Alsaafin/Al Jazeera]

Le débat public n’est pas intéressant. Toutes les idées et discussions sociales sont rejetées.

Ça a été stressant, mais en même temps, il n’y a pas de choix plus facile pour moi cette année que de voter pour Mélenchon. Depuis [the presidency of Nicolas] Sarkozy, on n’a parlé que d’austérité, de fortes coupes dans les services publics, dans les écoles, les hôpitaux, partout. Ils nous culpabilisent de vouloir, tout simplement, un hôpital qui fonctionne, ou des écoles publiques avec des enseignants formés… des droits fondamentaux.

Au moins Mélenchon propose autre chose que de mourir à 65 ans.

Le tout Macron étant un bouclier de Marine Le Pen est une arnaque. Nous avons déjà vu cela. C’est aussi un extrémiste. C’est le même type qui propose de saccager l’école publique, d’américaniser le système universitaire et de mettre fin à l’idée française de solidarité. Il veut détruire tout ce qui est à la base de notre système socio-économique.

Je me soucie d’abord de l’éducation, puis de la santé et du pouvoir d’achat. Mais pas à propos de la guerre en Ukraine. Seuls les vieux s’en soucient.

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