« Courrier International » est né il y a 30 ans et l’actualité mondiale donnait plus d’espoir


Courrier international

La Une du numéro 1 de Courrier International, le 8 novembre 1990.

Quand Courrier international est né, le 8 novembre 1990, un an jour pour jour après la chute du mur de Berlin, l’actualité mondiale bouillonnait mais donnait plus de signes d’espoir aujourd’hui. C’est vrai, nous étions à la veille de la première frappe sur l’Irak de Saddam Hussein. Mais la Chine de Deng Xiaoping s’ouvrait, tout comme l’URSS de Gorbatchev, les tigres asiatiques étaient en pleine croissance, l’Amérique et ses marchés communs du nord au sud avançaient à grands pas. L’Europe aussi, sous l’impulsion du couple formé par Kohl et Mitterrand qui la couvaient d’un regard parental, main dans la main. Et puis deux mois plus tard, Hannah, espoir de tous les espoirs, naissait, quelques jours après le déclenchement de la Tempête du désert.

Trente ans plus tard, l’anniversaire de Courrier international est marqué par le résultat déprimant de l’élection du président de la première puissance mondiale, sur fond de montée en puissance de partis d’extrême-droite en Europe et de dirigeants autoritaires, populistes au pire sens du terme dans des pays puissants: la Chine, la Russie, la Turquie, l’Inde, le Brésil, la Grande-Bretagne, Israël … En trois ans, le monde a changé, tout comme les médias, avec le développement du Net et surtout des réseaux sociaux qui rendent plus difficile (mais encore plus passionnant) l’exercice des journalistes de Courrier.

Courrier international, une des rares créations récentes d’hebdomadaires d’actualité, est aussi né un après la création du World Wide Web. Fondé par des passionnés des nouvelles technologies, ce journal a été l’un des premiers à être produit en «PAO», c’est-à-dire grâce à l’informatique, et à être accessible sur le Net. Mais il faudra attendre 15 ans de plus pour que Facebook et Youtube bouleversent en profondeur le paysage médiatique mondial.

Selon Philippe Labarde, fondateur et directeur de La Tribune à l’époque des premières années de Courrier, ce titre de presse répondait à une triple question du lecteur à propos de l’actualité des pays étrangers: comment parlent-ils de l’actualité internationale, de quoi parlent-ils chez eux et comment parlent-ils de nous. Pour faire ce travail en 1990, il nous suffisait de dépouiller la presse «de référence», disons plutôt «de qualité» de tous les pays, de sélectionner les articles et de les traduire en français en y ajoutant des éléments de contextualisation, notamment des informations sur la source choisie. C’est grâce à cet exercice que nous pouvions, souvent en avance sur la presse française, identifiant les tendances de l’actualité internationale. Et puisque les élections américaines sont le sujet du moment, rappelons que c’est Courrier international qui, en novembre 1991, a fait la première Une française (voire européenne) sur un illustre inconnu (grâce au magazine La nouvelle république): Bill Clinton, qui un an plus tard sera élu président des États-Unis.

Mais pour répondre à cette triple question du lecteur, si bien formulée par Labarde, la lecture de la presse traditionnelle, même de qualité, n’est plus suffisante. Pour comprendre les tendances de l’actualité, il faut aujourd’hui tenir compte des réseaux sociaux et de l’incroyable multiplication des sources à laquelle on assiste depuis une quinzaine d’années. Pour faire simple, suivre la politique américaine uniquement à travers le New York Times, le Washington Post ou le Los Angeles Times en donnerait une vision faussée au lecteur et le priverait du regard prospectif qui est un des atouts d’un média comme Courrier international.

La traduction en français des grands médias mondiaux reste encore aujourd’hui un vrai service. Les lecteurs et journalistes français n’ont jamais été doués pour les langues, même s’ils ont fait beaucoup de progrès ces trente dernières années. Au début des années 90, Jean Boissonnat, «patron de l’Expansion»Alors premier magazine économique français m’avouait que, grâce à Courrier international, il pouvait enfin lire le Financial Times et L’économiste! Mais, à une époque où il est si facile de traduire instantanément un article en ligne, c’est sur la sélection des sources innombrables et des informations qu’il faut faire porter l’effort.

Une des pistes pourrait être celle de la multiplication de ce que nous appelions les “vigies”, ceux qui sélectionnent et proposent des articles à Courrier, donc le développement d’une forme plus participative de la sélection, utilisant les réseaux sociaux. Une autre serait celle de l’intelligence artificielle, comme par exemple celle mise en œuvre par «Flint», la start-up française de Benoît Raphaël. Elle pourrait être utile, à la fois dans la qualification des sources, celle des «vigies», la sélection des informations utiles qui circulent sur le Net et les réseaux sociaux, ou encore celles des signaux faibles de l’actualité.

Enfin, si les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle peuvent contribuer à une amélioration sensible du service rendu au lecteur en ligne, le papier reste indispensable à Courrier international, j’ose encore le dire aujourd’hui. C’est d’ailleurs vrai pour tous les médias qui publient des articles longs et fouillés et qu’on lit du début à la fin. Après deux ans d’existence, nous avions demandé à Ipsos de faire une étude de notre lectorat pour comprendre comment améliorer le journal. J’avais été très surpris d’apprendre qu’un lecteur sur deux lisait Courrier une semaine sur deux (et que leur rubrique préférée était « La France vue de l’étranger »). Mais ne leur posait pas la question de la quantité d’articles ou celle de leur longueur, nos abonnés étaient formels: rien ne devait changer. Ils préféraient continuer d’empiler des numéros du journal non déballés que de renoncer à une sélection riche et exigeante d’articles de la presse mondiale. Pourvu que ça dure!

Courrier international, aujourd’hui au sein du groupe Le Monde aux côtés de Télérama, de la Vie et du HuffPost, est toujours vivant et même prospère. Né dans un moment exceptionnel de l’actualité mondiale, il n’est jamais aussi lu que quand les événements internationaux secouent la planète. À en juger par ce qui se passe aujourd’hui, il a de beaux jours et même de belles années devant lui.

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