Ce couple d’artistes français réalise des portraits qui transforment leurs sujets en créatures sacrées et sublimes


Madonna, Jean-Paul Gaultier, Kylie Minogue, Dita von Teese, Rose McGowan, Isabelle Huppert et Catherine Deneuve – les stars les plus emblématiques de leur époque sont toutes passées sous l’objectif de Pierre Commoy, 71 ans, et les coups de pinceau de Gilles Blanchard, 67 ans. , qui retouche et embellit chaque photo en appliquant de la vraie peinture sur toile, ayant ainsi inventé Photoshop sans ordinateur avant même que l’édition numérique n’existe. Travaillant selon un mode opératoire original, chacune des créations de Pierre et Gilles est une pièce unique. Ils font poser leurs modèles – amis, célébrités et inconnus – dans des décors sophistiqués qui peuvent prendre jusqu’à 10 jours à fabriquer à la main de A à Z, à partir des objets qu’ils ont sous la main ou qu’ils se procurent, après avoir réalisé des dessins au crayon sur papier. Une fois la photo prise et imprimée numériquement sur toile, commence alors le long processus de peinture pour affiner et sublimer l’image, exécutée sur un chevalet au rez-de-chaussée de leur appartement sous une verrière lumineuse. Pierre explique pourquoi ils sont passés au numérique : « Nous tournons en numérique, plus en argentique. Avec le numérique, on peut voir l’écran et contrôler la photographie en temps réel. La technologie numérique nous permet de collaborer directement avec le modèle. Travailler dans le cinéma était devenu compliqué car le matériel n’est plus aussi facilement disponible qu’avant – il faut le commander en ligne. Après avoir pris la photo, nous travaillons ensuite sur les couleurs, l’impression et la peinture à la main. Nous ne sommes donc pas contre la modernité : nous vivons dans notre temps, et nous aimons allier techniques modernes et anciennes.

Le vrai couple est inséparable depuis leur première rencontre fatidique en 1976 lors de la soirée d’ouverture d’une boutique Kenzo à Paris. Après plusieurs mois de vie commune, ils décident de créer ensemble des images, leur première série étant celle de leurs amis faisant des grimaces sur des fonds aux couleurs vives, inspirés des photomatons. Déçu par les résultats, Gilles commence alors à les peindre. Dans les années 1980, ils étaient des habitués du Palace, du Bus Palladium et du Sept, boîtes de nuit fréquentées par la foule gay, la royauté de la mode et les pop stars, tombant ainsi par hasard sur leurs modèles, rien qu’en sortant. Tout s’est fait naturellement au fil des rencontres, des amitiés et de l’envie de travailler les uns avec les autres. Ils ont alterné travail de commande – réalisation d’images pour la presse gay et pochettes d’albums de musique – et pièces personnelles, et n’ont jamais eu à appeler un acteur ou un chanteur en particulier pour poser pour eux. En fait, c’est leur célèbre portrait du chanteur et compositeur français Étienne Daho en marinière rayée blanc et bleu marine avec une perruche sur l’épaule qu’ils ont réalisé pour son album La Notte, La Notte en 1984 qui a véritablement lancé leur carrière. Aujourd’hui, des artistes et même des inconnus les contactent via les réseaux sociaux pour leur servir de modèles, ou ils les contactent eux-mêmes. Fascinés par les personnages forts, par l’originalité et la différence au lieu de la beauté, par des personnes magnifiques d’une manière étrange, inédite et surprenante, ils s’intéressent autant à la personnalité de leur modèle qu’à l’image qu’ils projettent.

Immédiatement reconnaissable, l’univers de Pierre et Gilles regorge de fleurs artificielles, banderoles, nuages ​​de coton, fausses étoiles, oiseaux, boules de Noël, talismans, bibelots, jouets, couronnes et halos de lumière. A cheval entre le profane et le sacré, la légèreté et la mélancolie, leurs œuvres kitsch aux couleurs saturées évoquent émotions et rêves. S’inspirant de leur enfance, du cinéma, de la musique, des fêtes foraines, des ciels étoilés, des fées et des saints, elles ont une esthétique singulière explorant les frontières entre histoire de l’art et culture pop. Ayant toujours travaillé à domicile, les compositions de Pierre et Gilles ont gagné en complexité et en sophistication au fil du temps. Partant d’un petit studio où ils ne pouvaient réaliser que des portraits stylisés et rapprochés sur des fonds monochromes rappelant l’esthétique pop art des sérigraphies d’Andy Warhol, ils ont ensuite déménagé dans un appartement plus grand à Bastille, où ils ont construit des décors entiers à la main, superposant des premiers plans et arrière-plans. En parlant de la nature artisanale de leur travail, même le cadre photo de l’œuvre finale est conçu par les artistes eux-mêmes. Aujourd’hui, leurs images prennent vie dans leur atelier de 60 m² situé au sous-sol de leur duplex du Pré-Saint-Gervais en banlieue parisienne, rempli d’une petite scène, de projecteurs, de maquettes et de cartons d’accessoires. Ils travaillent sans arrêt, car faire une image prend du temps. Nécessitant entre 15 jours et trois semaines pour réaliser un portrait, ils en produisent 12 à 15 par an. Leurs créations racontent leur histoire et illustrent toute une époque, chaque modèle incarnant un rôle, jouant un autre personnage que le leur. Il y a quelque chose d’éternel dans leurs œuvres, car ils métamorphosent leurs sujets en créatures sacrées et sublimes, immortalisées à jamais.

Sans être des militants purs et durs dans l’âme, Pierre et Gilles expriment subtilement leur engagement social et écologique et leurs messages d’engagement pour la liberté et la tolérance à travers leurs œuvres, abordant des sujets tels que l’identité, la sexualité, la politique, la religion et l’immigration, y compris le printemps arabe et le mariage pour Tous les mouvements. Observateurs passionnés de la société et de ses maux, leur activisme n’est pas manifeste dans leur art, mais se révèle comme un courant sous-jacent. Leur Les Naufragés série de jeunes hommes endormis ont parlé de la crise du sida qui a coûté la vie à de nombreux artistes. « L’actualité a toujours été présente dans notre travail, qui a évolué au fil du temps, en fonction des contradictions de notre monde », commente Pierre. « Au début, notre vision était plus positive : nous parlions de bonheur, de belles choses, de rêves, tout en nous inspirant de la culture populaire. Plus nous vieillissons, plus nous trouvons le monde de plus en plus sombre. L’épidémie de sida dans les années 1980 nous a beaucoup transformés ; notre travail est devenu plus profond. C’est pourquoi il est important pour nous d’être artistes, de répondre à cette dureté : nous essayons de voir le monde sous un meilleur jour. Pour nous, l’art fait bouger le monde.

Laisser un commentaire