Ça va, les toxiques?


Je suis parfois toxique. En tout cas, j’ai le potentiel de l’être. Comme tout le monde. Parmi mes trois enfants, j’en ai un naturellement plus gentil que les autres. Il me semble plus altruiste. Dans sa personnalité, il y a quelque chose d’assez équilibré qui paraît aimer la paix. Pas la paix qu’on lui fout, la paix autour de lui. Il est bien quand tout le monde est bien. Mais même celui-là, le plus sensible de mes canetons, celui qui ne ferait pas de mal à une mouche et aurait plutôt tendance à lui tricoter une maison, a le potentiel, lorsqu’il le veut, d’être toxique. D’appuyer soigneusement sur les boutons de son frère pour le faire exploser de colère, de se faufiler dans la chambre de sa sœur pour lui voler ses toutous préférés et se venger d’un affront récent. Mon point, c’est que même les êtres qui ont sur une épaule un ange plus gros que la moyenne ont également, de l’autre côté, un démon. Aussi petit soit-il.

On peut être toxiques. Mais certains en font un business. Un modèle d’affaires. Certains sont marchands de bile. Ils veulent qu’elle se répande telle de la mélasse et envahisse nos rues comme lors de l’accident de janvier 1919, à Boston. Ils ont besoin d’engluer leurs alentours, de mener en sémant l’inconfort. En restant des agents du chaos, alimentés par d’anciennes colères revanchardes, ils se sont donnés pour mission de ne jamais tomber du côté des bons. Ceux qu’ils voient comme des pleutres. Des mous. Des faibles. Ceux qui osent exposer une vulnérabilité, des émotions, de l’empathie, leur souffrance. Quelle vieille manière de faire les choses. Être occupé ne fait pas de nous des lâches, mais des vivants. Après, c’est un choix. Chacun choisit de traiter sa colère et ses vieilles plaies comme il le veut. Mais en faire payer le prix aux autres et s’en faire même une carrière me paraît une belle perte de temps et de potentiel.

L’acidité comme modèle, faut dire que ça marche. Plus c’est exagéré, plus c’est négatif, belliqueux, de mauvaise foi, plus ça tenue attention. Plus ça nous fait crier, nous défendons, plus ça ratisse large. Il est difficile de rester indifférent à ce genre de personnages, on ressent vite le besoin de défaire leurs arguments boboches, de contrer avec des faits leur fiel raciste, sexiste ou tout simplement faux-cul. De se battre. Et pendant qu’on se bat, malheureusement, leur formule marche.

Pourtant, il n’y a pas grand-choisi d’autre à faire. Parce qu’à la longue, la culture d’entreprise, la culture des médias, la culture sociale changeante. De la même manière que les femmes ont fini, grâce au mouvement #moiaussi, par briser le silence qui entourait leurs agressions sexuelles et les abus tolérés dans une culture trop machiste, il commence à y avoir un ras-le-bol des comportements présents dans les sphères du pouvoir et les entreprises. Est-ce que ça se rendra aux médias? J’imagine. Il doit tout simplement y avoir une autre façon de faire. Il ne s’agit pas de rêver à une société sans débats, sans critiques, sans dénonciations, une sorte de langage beige qui acquiesce à tout pour ne froisser personne, mais de reconnaître les formes de dialogue qui retardent le groupe et le progrès social.

À un moment donné, c’est assez. Si tu es Piers Morgan ou Donald Trump et que tu te promènes dans la société en ayant toujours erré dans les sphères du pouvoir où personne (surtout pas une femme) ne te remettait en question, que tu n’as jamais appris à faire face à la critique, si tu as l’intelligence et la maturité émotionnelle d’un enfant de deux ans parce que tu es incapable d’une quelconque introspection et que tu n’as aucune idée de comment faire la part des choses et apprendre de tes erreurs … Eh bien la société et tes collègues n’ont pas à faire les frais du fait que tu n’es pas capable d’aller en thérapie. Jusqu’à maintenant, ce genre d’hommes (mais mon Dieu que le narcissisme toxique n’est pas que masculin) étaient à l’abri de tout, parce que leur manière de se taper sur le coffre tels des primates étaient considérés comme un signe de force. Mais j’espère qu’on passera à autre chose. Que les entretiens d’embauche ne sont plus compte uniquement de l’intelligence cognitive, mais aussi de l’intelligence émotionnelle et sociale. Surtout quand ton boulot, c’est d’avoir une tribune et d’être payé pour ta pensée. J’espère que, comme dans le cas de Piers Morgan – qui a perdu sa job parce que ses collègues ont fini par lui dire (en ondes!) Que c’était épuisant de subir son fiel en silence jour après jour -, la gratte passera chez nous. Il arrive un moment où c’en est trop. Faites-vous soigner, les toxiques.

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