Alors que la France retourne aux urnes, la gauche de Mélenchon peut-elle priver Macron de majorité ?


Dans la foulée de la course à l’Élysée, les élections législatives françaises sont souvent considérées comme un appendice à la course présidentielle, un spectacle parallèle conçu pour donner au président fraîchement élu une majorité de travail. C’est une hypothèse que le vétéran de gauche Jean-Luc Mélenchon entend briser alors qu’il mène une coalition de gauche rajeunie dans la bataille, visant à forcer le président Emmanuel Macron à une « cohabitation » inconfortable.

Quelques semaines à peine après la réélection de Macron à la présidence, les électeurs français retournent aux urnes au cours des deux prochains dimanches pour renouveler l’Assemblée nationale du pays – l’épilogue d’un cycle électoral prolongé rendu suspensif par le refus obstiné d’un homme de céder.

À la fin du premier tour présidentiel du 10 avril, Mélenchon – un gauchiste fougueux qui a raté de peu le second tour – a semblé tirer sa révérence alors qu’il concluait un discours de concession émouvant en appelant les jeunes à prendre le relais. Ses derniers mots – « faites mieux» (« faire mieux » ou « réussir là où j’ai échoué ») – a alimenté la spéculation selon laquelle l’infatigable militant de la gauche dure pourrait enfin jeter l’éponge.

Au final, les discours sur la « retraite » de Mélenchon n’ont duré que neuf jours.

Au moment où Macron a écrasé Marine Le Pen – pour la deuxième fois – lors d’un second tour présidentiel déséquilibré le 24 avril, Mélenchon avait déjà fait irruption dans le ring, défiant la coutume et le protocole pour revendiquer le poste de Premier ministre pour lui-même. À cette fin, il a exhorté les électeurs à donner à son parti la majorité aux élections législatives, souvent qualifiées de « troisième tour » de l’élection présidentielle française à deux tours.

Peu importe le fait que seuls les présidents nomment les Premiers ministres en vertu de la constitution française – pas le parlement, ni le peuple, encore moins soi-même. L’appel impétueux de Mélenchon aux électeurs de « (l’élire) Premier ministre » a repoussé le septuagénaire au cœur du débat politique, écartant de fait la revanche imminente entre Macron et Le Pen. Cela garantissait également qu’il dominerait la préparation des élections législatives tout comme il dirigeait la dernière ligne droite de la campagne présidentielle.

Élections législatives françaises
Élections législatives françaises © FRANCE 24

« Jean-Luc Mélenchon a réussi un coup de presse extraordinaire », a déclaré Pascal Perrineau, professeur de sciences politiques à Sciences-Po Paris. « Demander aux Français de l’élire Premier ministre peut sembler absurde, mais c’était une stratégie extrêmement judicieuse. Cela lui a permis à la fois de supplanter Le Pen en tant que principal adversaire de Macron et de se présenter comme le pilier d’une gauche remaniée.

Le coup de presse a été bientôt suivi d’un autre tour de force, que même les critiques ont salué comme un coup de maître. Dans les jours qui ont suivi la réélection de Macron, Mélenchon et son équipe ont conçu ce que beaucoup considéraient comme un exploit impossible : une large alliance de la gauche française profondément fracturée, unie autour d’une plate-forme politique commune et présentant un seul candidat dans chacun des 577 circonscriptions.

À quelques jours du premier tour des élections législatives du 12 juin, cette coalition vote au coude à coude avec le bloc de Macron, faisant craindre au parti au pouvoir qu’il ne parvienne pas à obtenir la majorité absolue qu’il semblait garanti de gagner seulement il y a des semaines.

Une gauche renaissante

Tout comme il a aidé Macron dans la course présidentielle, le système de vote à deux tours de la France est susceptible de favoriser les candidats du parti au pouvoir lors du second tour des élections législatives le 19 juin, leur discours centriste étant idéalement positionné pour attirer le soutien de la gauche ou de la droite, selon l’adversaire. Reste que le pari de Mélenchon a permis de redessiner la carte politique et de modifier les rapports de force.

La récente élection présidentielle a marqué l’émergence de trois camps de poids à peu près égal : un bloc de centre-droit gravitant autour du président sortant, un bloc d’extrême droite dominé par Le Pen et une gauche dispersée qui a tenté – et échoué de peu – d’empêcher une 2017 Macron contre Le Pen match revanche. Paradoxalement, c’est ce dernier bloc qui a rebondi ces dernières semaines, bousculant l’idée reçue selon laquelle le vainqueur de la présidentielle a forcément l’élan.

« L’extrême droite est divisée, Le Pen a montré peu d’appétit pour les élections législatives, la droite dominante est pratiquement inaudible, et le camp de Macron a très peu à dire à part attaquer Mélenchon – ce qui est un peu maigre pour une plate-forme politique », a déclaré Michel. Wieviorka, sociologue et professeur à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS).

« Mélenchon est le seul à avoir dynamisé cette campagne et son bloc de gauche est actuellement la force avec un élan de son côté », a ajouté Wieviorka.

Mélenchon prend la parole lors d'une réunion avec ses alliés socialistes et verts à Poitiers, dans l'ouest de la France, le 2 juin 2022.
Mélenchon prend la parole lors d’une réunion avec ses alliés socialistes et verts à Poitiers, dans l’ouest de la France, le 2 juin 2022. © Yohan Bonnet, AFP

Connu sous l’acronyme un peu maladroit « Nupes » (pour Nouvelle Union Populaire, Éécologique et sociale), la coalition de la gauche est d’une ampleur sans précédent, englobant le parti de Mélenchon La France insoumise (France insoumise, ou LFI) ainsi que les Verts, les communistes, les socialistes et d’autres petits groupes. C’est aussi la première alliance de ce type à graviter autour de la gauche dure, plutôt que des socialistes plus modérés, ce qui conduit les critiques à déplorer la « soumission » du centre-gauche à Mélenchon Insoumis.

Étonnamment, la coalition Nupes comprend des ennemis acharnés qui ont passé une grande partie de la campagne présidentielle à fustiger le vétéran de gauche plutôt que Macron. Les différences personnelles et politiques ont nourri les soupçons que le bloc n’est guère plus qu’une alliance de convenance. Quoi qu’il en soit, la capacité à les lier ensemble marque un revirement spectaculaire pour Mélenchon, qui avait auparavant assumé une grande partie du blâme pour les divisions paralysantes de la gauche.

« Les Nupes sont peut-être un équipage hétéroclite mais il a donné de la visibilité et de l’élan à une gauche moribonde », écrit le quotidien de gauche. Libération dans un éditorial mardi. « Jean-Luc Mélenchon a beau ne pas réaliser son rêve de devenir Premier ministre, il a réussi à construire une opposition qui écrase toutes les autres. »

Parler des chances de la gauche

Mélenchon a souligné à plusieurs reprises que son ambition de Premier ministre n’était pas un « rêve » – mais une perspective crédible. Il a choisi de ne pas se représenter à l’Assemblée nationale, abandonnant son siège à Marseille. Au lieu de cela, il a choisi d’être partout à la fois, organisant des rassemblements électoraux et des conférences de presse dans tout le pays pour susciter le soutien aux candidats Nupes.

À chaque étape, Mélenchon a évoqué les perspectives de la coalition, sans doute conscient qu’un manque de confiance en ses propres espoirs présidentiels – couplé au fait que les sondeurs ont sous-estimé son score final de 5 points – pourrait bien lui avoir coûté une place dans le second tour du 24 avril.

« Si les gens pensent que nous pouvons gagner, ils iront voter en masse », a-t-il déclaré à plusieurs centaines de personnes lors d’une étape de campagne à Paris la semaine dernière. La victoire de Nupes est « très probable », a-t-il déclaré quelques jours plus tard dans la banlieue lyonnaise. À chaque occasion, il a détaillé les propositions politiques de la coalition, qui comprennent la restauration d’un impôt sur la fortune supprimé par Macron, l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans et la hausse du salaire minimum de 15 %.

Le gauchiste Jean-Luc Mélenchon demande aux électeurs français de l’élire Premier ministre


Pendant ce temps, ses collaborateurs ont défendu la décision peu orthodoxe de Mélenchon de revendiquer le poste de Premier ministre, soulignant la nécessité de donner de la visibilité aux élections à une époque d’abstention croissante et de désaffection des électeurs. Comme l’a dit son directeur de campagne Manuel Bompard, l’idée est de « donner aux électeurs un objectif clair et lisible pour rendre cette élection pertinente ».

Un « accident » électoral

L’omniprésence du leader de LFI sur la campagne électorale a fortement contrasté avec la discrétion de Macron et celle de son entourage, dont sa première ministre nouvellement nommée, Elisabeth Borne.

Alors que Mélenchon bricole rapidement une large coalition et une plate-forme ambitieuse pour les élections législatives, Macron hésite longuement sur la composition de son cabinet remanié. Lorsqu’il a finalement pris sa décision, il a rapidement demandé à ses nouveaux ministres de faire profil bas et d’éviter les incidents de campagne.

« Cette stratégie discrète s’est retournée contre nous », a écrit le Journal du dimanchele principal quotidien français du dimanche, ajoutant que « le silence assourdissant du gouvernement s’est transformé en chambre d’écho » pour des incidents dommageables : d’abord les accusations d’agressions sexuelles portées contre un ministre, puis le chaos qui a entaché la finale de football de la Ligue des champions près de Paris fin mai , ternissant l’image de la France dans le monde.

Les sondages récents ont servi de signal d’alarme pour le parti au pouvoir, incitant les appels à prendre au sérieux le vote parlementaire. Mardi, un sondage du groupe Ifop a suggéré que la coalition Ensemble (Ensemble) de Macron remporterait entre 250 et 290 sièges, probablement en dessous des 289 nécessaires pour une majorité. La coalition Nupes a fait des gains importants avec 170-205 sièges, selon le sondage. Un autre sondage réalisé par Ipsos mercredi place le camp au pouvoir entre 275 et 315 sièges.

Le palais de l’Élysée est également alarmé par les résultats des élections anticipées dans les circonscriptions d’outre-mer qui sont normalement considérées comme des sièges sûrs pour les candidats de Macron. Après le premier tour de scrutin, le parti au pouvoir était en tête dans la plupart des domaines, mais a dû faire face à un défi beaucoup plus fort de la gauche par rapport à il y a cinq ans, indiquant des tours de scrutin inconfortablement proches la semaine prochaine.

« Nous prenons [the threat] au sérieux parce que dans les médias et dans les sondages, la seule personne qui existe, en dehors de la majorité présidentielle, c’est Jean-Luc Mélenchon », a déclaré Aurore Bergé, députée du parti au pouvoir, à la télévision France 2, décrivant l’alliance de gauche comme la seule alternative « forte et crédible » au gouvernement. Son collègue Patrick Mignola, du parti MoDem allié à Macron, a fait part de ses craintes d’un « accident électoral » lors des élections législatives à deux tours.

Contrebalancer les pouvoirs du président

Parler d’un éventuel « accident » reflète la tendance enracinée à considérer les élections législatives comme un appendice à la course présidentielle – un rituel presque procédural conçu pour donner au président une majorité viable. Selon les mots d’Olivier Véran, le ministre des Affaires parlementaires, ne pas donner la majorité à Macron à l’Assemblée nationale représenterait une « déstabilisation majeure de la politique dans notre pays pour les années à venir ».

C’est précisément le scénario que visent Mélenchon et ses alliés, espérant décrocher une majorité de sièges et forcer Macron à nommer un gouvernement de gauche. Aucun sondage n’a encore prédit un tel résultat. Les analystes disent que c’est hautement improbable, mais pas impossible. Les sondeurs appellent à la prudence, soulignant que même de petites différences de participation pourraient faire basculer les résultats dans un sens ou dans l’autre.

Les législateurs du parti La France insoumise de Mélenchon se sont classés parmi les critiques les plus féroces du gouvernement au cours de la dernière législature.
Les législateurs du parti La France insoumise de Mélenchon se sont classés parmi les critiques les plus féroces du gouvernement au cours de la dernière législature. © Ludovic Marin, AFP

La France n’a pas eu de président et de majorité parlementaire de différents partis depuis 1997-2002, lorsque le président de droite Jacques Chirac a fini par devoir travailler avec le Premier ministre socialiste Lionel Jospin après avoir convoqué des élections anticipées malavisées. Un changement constitutionnel en 2000 visait à empêcher de telles « cohabitations » en déplaçant les élections législatives immédiatement après les élections présidentielles.

Depuis lors, les électeurs français ont invariablement donné à leurs présidents une majorité parlementaire, renforçant l’idée que les votes parlementaires sont censés confirmer le verdict présidentiel. De tels précédents signifient qu’une majorité pour Macron est « probable mais pas automatique », a averti Wieviorka, ajoutant que les électeurs avaient également exprimé le souhait « de ne pas laisser libre cours au président au parlement ».

Alors que Macron a finalement battu Le Pen lors du second tour présidentiel, sa victoire a été ternie par le taux de participation le plus bas en un demi-siècle. Seul un électeur inscrit sur cinq a soutenu le président sortant au premier tour le 10 avril – un indicateur plus précis de son soutien à travers le pays. Un sondage réalisé par le groupe BVA la semaine dernière a révélé que seuls 35 % des électeurs souhaitaient que Macron ait une majorité parlementaire, ce qui reflète la nature fortement fracturée de l’électorat.

« Le camp de Macron est toujours le plus susceptible de gagner les élections législatives », a ajouté Wieviorka. « Mais les sondages suggèrent également que les électeurs français ne sont pas intrinsèquement opposés à une » cohabitation « et à un parlement qui contrebalance les pouvoirs du président. »



[affimax]

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