Vaccins contre le Covid-19 : comment l’UE et les laboratoires négocient-ils ?

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Actualité


28.01.2021

Barthélémy Gaillard

Engagées depuis plusieurs mois déjà, les discussions entre l’Union européenne et les laboratoires soulèvent de nombreuses questions économiques, juridiques, politiques et éthiques. Comment se déroulent les négociations des contrats pour l’achat de doses de vaccins signés entre l’UE et les laboratoires ? Et que disent-elles du rapport de force que les deux parties entretiennent ?

Le flacon de vaccin Pfizer/BioNTech, actuellement utilisé en Europe, a fait l'objet d'une controverse et d'intenses négociations entre la Commission européenne, les Etats membres et le groupe pharmaceutique qui le produit - Crédits : Geneviève Engel / Parlement européen

Le flacon de vaccin Pfizer/BioNTech, actuellement utilisé en Europe, a fait l’objet d’une controverse et d’intenses négociations entre la Commission européenne, les Etats membres et le groupe pharmaceutique qui le produit – Crédits : Geneviève Engel / Parlement européen

CE QUE VOUS ALLEZ APPRENDRE DANS CET ARTICLE 

Au nom des Etats membres, la Commission européenne a engagé 2,15 milliards d’euros pour réserver 2,275 milliards de doses auprès de six laboratoires.

Si ces négociations menées au niveau européen ont permis d’obtenir des prix et un encadrement juridique avantageux, elles posent néanmoins la question du contrôle démocratique des termes des contrats.

Depuis le lancement des campagnes de vaccination le 27 décembre, plusieurs problèmes d’approvisionnement surviennent, forçant la Commission européenne et les Etats membres à mettre la pression sur les laboratoires pour leur faire respecter leurs engagements.

Avec la mise en place d’une stratégie vaccinale européenne le 17 juin 2020, la Commission européenne a endossé la responsabilité de garantir aux citoyens de l’Union un accès rapide et sûr au vaccin contre le Covid-19. Pour ce faire, elle a donc choisi de financer la recherche privée, en se plaçant comme mécène et financeur des projets initiés par des laboratoires privés.

Cette stratégie repose sur le principe du contrat d’achat anticipé (CAA). De l’argent frais est mis à disposition de laboratoires dont les programmes de recherche sont jugés assez crédibles et avancés pour s’engager financièrement auprès d’eux. En contrepartie de cet investissement, les laboratoires s’engagent de leur côté à fournir en priorité les doses de vaccin produites aux pays européens.

Si la Commission européenne finance la recherche, ce sont en revanche les Etats membres qui doivent acheter les doses une fois la production de vaccins engagée. Cela signifie néanmoins que si l’une ou l’autre des recherches financées venait à ne pas aboutir ou si le vaccin trouvé n’était pas autorisé à être mis sur le marché, les fonds investis seraient perdus. Partant de ce principe, la Commission européenne a donc d’ores et déjà signé des contrats avec six laboratoires ou groupes pharmaceutiques, pour un total de 2,275 milliards de doses potentielles.

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Combien de doses la Commission européenne a-t-elle précommandé ?

Dès l’été 2020, la Commission européenne a engagé des discussions avec les différents laboratoires engagés dans la recherche d’un vaccin. Semaines après semaines, ces contacts ont donc permis de signer six contrats, dont voici le détail.

  • 27 août : contrat avec AstraZeneca (dont le candidat vaccin est efficace à 70 %) pour 300 millions de doses (plus 100 millions de doses supplémentaires si besoin).
  • 18 septembre : deuxième contrat avec Sanofi-GlaxoSmithKline (GSK) pour 300 millions de doses.
  • 8 octobre : contrat avec Janssen Pharmaceutica, la filiale belge du laboratoire américain Johnson & Johnson pour 200 millions de doses, avec une éventuelle deuxième livraison de 200 millions de doses supplémentaires.
  • 11 novembre : nouveau contrat avec Pfizer/BioNTech (vaccin efficace à 90 %) pour 200 millions de doses plus 100 millions en option. Le 8 janvier, pour assurer l’approvisionnement des Etats membres, la Commission européenne leur a à nouveau précommandé 200 millions de doses, plus 100 millions optionnelles.
  • 17 novembre : contrat avec le laboratoire allemand CureVac pour 235 millions de doses et jusqu’à 180 millions de doses additionnelles si besoin.
  • 25 novembre : contrat avec l’Américain Moderna (dont les tests cliniques indiquent une efficacité à 94,5 %) pour 160 millions de doses supplémentaires.

Le 17 décembre, la Commission européenne a également conclu des discussions préliminaires avec le laboratoire américain Novavax, sans qu’un contrat ne soit pour l’instant signé. Elles portent sur un stock de 100 millions de doses, plus 100 millions supplémentaires. Le 12 janvier, l’exécutif européen a annoncé que des négociations étaient aussi en cours avec le laboratoire franco-autrichien Valneva, pour un stock de 30 millions de doses, plus 30 millions supplémentaires en option.

A quel prix les a-t-elle obtenues ?

Alors que le prix des doses de chaque vaccin demeurait un secret jalousement gardé par la Commission (voir plus bas), la ministre belge chargée du Budget Eva de Bleeker a publié par erreur les tarifs négociés auprès de chaque laboratoire. Le prix à l’unité varie de 1 à 9 selon les groupes pharmaceutiques. De fortes disparités qui s’expliquent notamment par les conditions de conservation plus contraignantes pour les deux derniers candidats vaccins ainsi que par le lieu de production choisi.

  • Johnson & Johnson: 7 euros
  • Pfizer/BioNTech: 12 euros

Vaccination contre le Covid-19 en Europe : où en est-on ?

Dans quel cadre juridique ces contrats ont-ils été signés ?

  • Dans le cadre d’une autorisation de mise sur le marché conditionnelle

Si les deux vaccins actuellement en circulation dans l’UE, ceux de Pfizer/BioNTech et Moderna, ont été mis sur le marché deux à trois semaines plus tard qu’au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, cela s’explique par le cadre juridique qui leur a été appliqué. En effet, à l’inverse de ce qui a été convenu à Londres ou à Washington, qui ont délivré des procédures de mise sur le marché d’urgence, la Commission européenne a pour sa part accordé une autorisation de mise sur le marché conditionnelle.

Bien que plus souple que la procédure standard, l’autorisation de mise sur le marché conditionnelle demeure plus exigeante que la procédure mobilisée par le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Un élément qui poussait l’eurodéputé LREM et président de la Commission de l’Environnement de la Santé publique et de la Sécurité alimentaire Pascal Canfin à souligner le 12 janvier que l’UE avait, certes, mis plus de temps que les autres grandes puissances à autoriser la mise sur le marché des premiers vaccins, mais qu’elle avait « obtenu non seulement les meilleurs prix, mais aussi le meilleur encadrement juridique« .

Bien que le détail des contrats ne soit pas encore connu, la Commission européenne a affirmé qu’elle ne transigerait pas sur le cadre juridique européen et que les laboratoires resteraient responsables en cas d’effets secondaires, contrairement au cadre légal négocié aux Etats-Unis par exemple. Une affirmation qui n’a néanmoins pas encore pu être vérifiée. En effet, seul le laboratoire Curevac a accepté de publier le contrat conclu avec la Commission européenne, en omettant de laisser apparaître les paragraphes concernant ce point. Les autres ont pour l’instant refusé de se soumettre à cet exercice de transparence.

Du côté de la Commission européenne, les seuls détails communiqués à ce sujet précisent que « les contrats d’achat anticipé (CAA) prévoient que les Etats membres indemnisent le fabricant pour les éventuelles responsabilités encourues uniquement dans les conditions spécifiques définies dans les CAA« . Autrement dit, les laboratoires demeurent de manière générale responsables des effets secondaires de leurs vaccins, mais des clauses des contrats signés avec l’UE peuvent les exempter de leur responsabilité dans certaines situations spécifiques.

Malgré le flou qui demeure, plusieurs représentants politiques se sont voulus rassurants sur ce point. Ainsi, en novembre 2020, la ministre déléguée française chargée de l’Industrie Agnès Pannier-Runacher tenait déjà le même discours que Pascal Canfin, à une nuance près : « Les seuls cas dans lesquels l’UE pourrait éventuellement partager la charge, […] ce serait la survenue d’un épisode qui serait nuisible et pas connu, ni par nous, ni par le laboratoire pharmaceutique, […] et pour lequel le laboratoire pourrait démontrer qu’à chaque instant il a fait preuve de transparence« .

  • Dans le cadre du secret des affaires

Au cours des négociations, la Commission européenne n’a donc pas contraint les laboratoires à se prêter au jeu de la transparence. Au nom du secret des affaires, elle a gardé confidentiel le contenu des six accords de pré-commande conclus avec les laboratoires, avant que la ministre belge du Budget ne divulgue par erreur les prix négociés sur les réseaux sociaux. Une source européenne justifie cette confidentialité en arguant que si les laboratoires avec lesquels l’exécutif européen sont actuellement en négociation connaissaient les termes des contrats déjà signés, ils pourraient être tentés d’exiger des conditions similaires, voire plus avantageuses.

Une stratégie désapprouvée par de nombreuses ONG. L’une d’entre elles, Corporate Europe, a même déposé un recours auprès de la médiatrice européenne Emily O’Reilly. Cette dernière a annoncé qu’elle allait ouvrir une enquête sur les raisons qui avaient mené la Commission européenne à entretenir une telle opacité sur les discussions avec les laboratoires. Emily O’Reilly va ainsi dans le sens de certains députés européens spécialistes des politiques de la santé tels que Véronique Trillet-Lenoir (Renew Europe), membre de la commission Environnement, Santé publique et Sécurité alimentaire, qui affirmait déjà le 16 novembre dernier : « Nous sommes attentifs à la transparence sur ces contrats et demandons que leur prix, le site de production des vaccins, la règle sur la propriété industrielle qui les régit et la responsabilité juridique des laboratoires soient communiqués de manière transparente« .

Concernant le respect du secret des affaires, un fonctionnaire de la Commission européenne indique que la stratégie de l’exécutif est en train d’évoluer. Bruxelles pousse pour rendre public le contrat d’achat anticipé passé avec AstraZeneca dans l’espoir de forcer le laboratoire pharmaceutique à respecter le calendrier initial de livraison de doses aux pays européens. En effet, le laboratoire britannique, dont le candidat vaccin devrait bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché conditionnelle de la part de l’Agence européenne des médicaments le 29 janvier, a annoncé quelques jours avant l’échéance qu’il réduirait ses livraisons de 40 % pour le premier trimestre, alors même qu’il maintient le niveau des stocks alloués au Royaume-Uni. Une déclaration qui a provoqué la colère des institutions européennes, et de la commissaire européenne à la Santé Stella Kyriakides en particulier.

La transparence des résultats des essais cliniques, une autre question centrale en matière de contrôle démocratique

Si l’Agence européenne des médicaments publie, depuis 2016, systématiquement les rapports sur les produits pharmaceutiques dont elle étudie la mise sur le marché, la députée écologiste Michèle Rivasi voudrait pour sa part pousser plus loin encore la démarche de transparence : « Il faut se servir de cette période où de fortes sommes d’argent public sont investies pour obtenir plus de transparence sur les données cliniques. Pour l’instant, l’Agence européenne des médicaments les divulgue seulement a posteriori. Or nous les voulons avant, pour que des experts indépendants puissent également juger de leur validité« , déclarait-elle le 16 novembre.

Pour étayer son propos, l’eurodéputée invoque l’exemple du Remdesivir, médicament contre le Covid-19 dont la Commission européenne a commandé 500 000 traitements auprès du laboratoire Gilead le 7 octobre 2020. Une semaine après la signature du contrat, l’OMS avait en effet estimé que le traitement avait « peu ou pas d’effet » sur les personnes atteintes par le Covid-19 et même déconseillé son usage, affirmant qu’il y avait « une possibilité d’importants effets secondaires« . Face à ces expériences passées et ces inquiétudes, un fonctionnaire de la Commission européenne assure que l’Agence européenne des médicaments « publiera beaucoup plus de données qu’elle ne le fait d’ordinaire« , notamment sur les « alertes de sécurité sur les effets secondaires« .

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Comment la Commission européenne et les Etats membres s’assurent-ils du respect des engagements des laboratoires ?

Les contrats signés et les campagnes de vaccination engagées, la Commission européenne et les Etats membres cherchent désormais à s’assurer que les laboratoires respectent les engagements pris. Car les possibilités de litige sont nombreuses, en témoignent les récentes tensions qui ont émaillé les relations entre l’Europe et les laboratoires.

  • La primeur sur les livraisons

La demande exponentielle en vaccin contre le Covid-19 place de fait les laboratoires en position de force face aux puissances qui leur passent commande. Ce constat pose une question : à qui les groupes pharmaceutiques ayant signé des contrats avec plusieurs grandes puissances mondiales accordent-ils réellement la priorité ? Sur ce point, l’exemple de Sanofi illustre bien la problématique. Sanofi ayant pris des précommandes prioritaires des Etats-Unis comme de l’UE, qui bénéficiera réellement de la primeur lorsque la production sera engagée à la fin de l’année 2021 ?

Interrogée à ce sujet à la mi-mai 2020, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée française chargée de l’Industrie, s’est voulue rassurante sans totalement répondre à la question : « Le patron de Sanofi France m’a confirmé que le vaccin serait accessible à tous les pays et qu’évidemment il serait accessible aux Français, ce d’autant qu’il a des capacités de production en France« .

Dans les faits néanmoins, les récents problèmes de production rencontrés par plusieurs laboratoires ont par exemple contraint le consortium Pfizer/BioNTech à annoncer qu’il allait ralentir le rythme des livraisons de vaccins anti-Covid, à l’exception de celles destinées aux Etats-Unis, qui bénéficieront du nombre de doses attendu en temps et en heure.

Si le vaccin d’AstraZeneca n’est pas encore autorisé à être mis sur le marché européen, il soulève les mêmes interrogations pour l’Europe. En effet, le laboratoire britannique a annoncé qu’il devrait réduire de 40 % ses livraisons aux pays européens pour le premier trimestre de production, alors même qu’il maintient le nombre de doses livrées au Royaume-Uni. Cette inégalité de traitement n’a pas manqué de faire réagir la commissaire européenne à la Santé Stella Kyriakides : « L’UE a préfinancé le développement du vaccin et sa production, et veut désormais un retour (sur son investissement). L’UE veut savoir combien de doses ont été produites par AstraZeneca jusqu’à présent, où exactement, si elles ont été livrées et à qui« .

Bruxelles a en effet investi 366 millions d’euros sur le développement du candidat vaccin AstraZeneca, une manne financière d’ampleur qui a permis au laboratoire de mener à bien le processus de recherche. Sans que les Etats membres puissent donc bénéficier de son résultat en temps et en heure pour l’instant. Jugeant le nouveau calendrier proposé par AstraZeneca « inacceptable« , la Commission européenne a également annoncé la mise en place d’une nouvelle règle forçant les entreprises produisant des vaccins contre le Covid-19 dans l’UE à signaler toute exportation de leur produit vers des pays tiers. Un moyen de se prémunir d’une fuite de stocks à destination de puissances concurrentes. Ainsi, la question de l’accès prioritaire des Européens aux stocks produits par les laboratoires reste d’actualité. 

  • Le contrôle de l’approvisionnement de Pfizer/BioNTech

Pfizer/BioNTech a annoncé un ralentissement du rythme des livraisons à destination des pays européens en raison des travaux engagés sur l’usine belge de Pfizer, située à Puurs, destinés à augmenter à terme la capacité de production. Le consortium peut se permettre de prendre du retard dans les livraisons dans les prochaines semaines car il s’est engagé à tenir des objectifs de stocks livrés sur une base trimestrielle, et non hebdomadaire. Une réalité juridique qui n’a pas empêché les Etats membres de réagir pour autant. Le procureur général italien a ainsi mis en demeure Pfizer pour le sommer de respecter son engagement initial.

Au niveau européen également, les réactions ne se sont pas fait attendre. La directrice générale de la Santé et de la Sécurité de la Commission européenne Sandra Gallina a déclaré vouloir recueillir le détail des formulaires de commande nationaux remplis par chaque Etat, non mentionnés dans les contrats passés. Cela permettrait de pouvoir déterminer si oui ou non les laboratoires remplissent leurs obligations vis-à-vis des Etats européens, ou si les problèmes rencontrés dans les campagnes de vaccination relèvent plutôt de la compétence des gouvernements.

  • La « controverse des flacons » avec Pfizer/BioNTech

Autre point de litige entre Pfizer/BioNTech d’un côté et les Etats membres et la Commission européenne de l’autre, la controverse sur le nombre de doses disponibles dans un flacon de vaccin Pfizer/BioNTech. Le consortium estimait initialement que chaque flacon contenait cinq doses, tandis que l’Agence européenne des médicaments (EMA) a considéré qu’il était possible – dans certaines conditions précises – de réaliser jusqu’à six injections. Tenant compte de cette nouvelle donne, Pfizer/BioNTech a donc depuis lors prévu de livrer 20 % de flacons en moins pour le même prix, considérant qu’il respecte son engagement contractuel en nombre de doses. Concrètement, Pfizer/BioNTech, qui s’était engagé à fournir 600 millions de doses à la Commission européenne, considère donc n’avoir plus que 100 millions de flacons à livrer, contre 120 millions auparavant. De quoi déclencher une réaction sèche de la part du Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes français Clément Beaune : « Les livraisons se font en flacons. Le sujet du nombre de doses par flacon ne change rien pour l’industriel. Il doit honorer ses engagements« .

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