Sans parfum et sans reproche ? Pas toujours !


Géraldine Savary est enseignante-chercheuse en analyse sensorielle dans le domaine des arômes, parfums et cosmétiques, et Catherine Malhiac est enseignante-chercheuse à l’Unité de recherche en chimie organique et macromoléculaire, toutes deux à l’Université Le Havre Normandie, en France .

Tout le monde utilise des produits cosmétiques au quotidien. Crèmes, gels, shampoings, produits solaires et capillaires… ils sont en effet indispensables pour nettoyer, protéger et entretenir notre peau, nos dents ou nos cheveux. Au-delà de cet usage esthétique, ils participent également à notre santé en limitant le vieillissement prématuré des tissus, ou, pour ce qui est des crèmes solaires, en nous protégeant contre les rayons UVA et UVB du soleil, si dangereux pour notre peau.

Néanmoins, une vraie prise de conscience s’est faite ces dernières années concernant ces produits omniprésents.

Des études ont, par exemple, permis de suspecter certains de contenir des perturbateurs endocriniens. Ces préoccupations poussent de plus en plus de consommateurs à privilégier les produits qui mettent en avant des arguments rassurants : absence d’allergènes, de parfum, 100 % naturels, etc.

De fait, les cosmétiques contiennent souvent de nombreux ingrédients — ce qui peut soulever des questions. Ainsi, une simple crème hydratante peut en compter plusieurs dizaines : des agents hydratants, des corps gras, des tensioactifs, des conservateurs, des matières actives… et des parfums.

Quel effet ont les parfums ?

Les parfums sont généralement conçus à partir de divers composés : des molécules naturelles ou synthétiques associées à des extraits végétaux, tels que les huiles essentielles, assemblées pour créer un parfum agréable.

Privilégier les ingrédients naturels est une tendance actuelle forte dans ce domaine. Parmi les plus utilisées, on trouve des huiles essentielles de lavande ou d’orange douce, qui sont composées de molécules telles que le linalol ou le limonène.

Pourquoi cette précision ? Parce que ces deux molécules naturelles ne sont pas, contrairement aux idées reçues, sans danger. Leur utilisation est d’ailleurs réglementée dans les produits cosmétiques, car elles sont allergènes — le linalol peut provoquer des réactions de type eczémateux. Leur présence doit être indiquée sur les étiquettes des produits cosmétiques.

Ce n’est pas parce qu’une molécule est d’origine naturelle qu’elle est anodine ! Si elle est utilisée, c’est qu’elle a un effet… Tout est question de quantité.

Le plus simple ne serait-il donc pas de privilégier un produit cosmétique non parfumé — et sans allergènes ?

Des cosmétiques sans parfum ?

Il faut que les produits reviennent sur les rôles des parfums ajoutés à nos soins. En compte trois principaux :

  • Créer une odeur et une sensation agréables. Lorsqu’on applique une crème sur notre visage, et donc près de notre nez, il est plus agréable d’y associer une odeur plaisante… Il y a aussi des odeurs rattachées à une marque précise, qui véhiculent une valence positive. C’est le cas du parfum emblématique des fameuses crèmes au pot bleu.
  • Amplificateur d’efficacité du produit. Certains parfums ont un caractère apaisant ou vitalisant qui peut intensifier leur action. Il peut être cognitif ou physiologique — par exemple produire un effet apaisant sur le rythme cardiaque.
  • Masquer l’odeur des autres ingrédients. Certains extraits de plantes utilisés comme actifs antiâges ont des odeurs désagréables et peuvent difficilement être employés seuls.

Lorsque l’on rencontre au point un produit sans parfum, on perd donc ces trois effets.

Mais un produit sans parfum ajouté est-il pour autant sans odeur ? Contient-il moins de composés chimiques ? Les choses ne sont pas si simples…

En réalité, un produit auquel on a enlevé son parfum va conserver une odeur. Elle sera intense, mais pas totalement absente.

Sans parfum… mais pas sans odeur !

Les odeurs sont dues à des composés volatils capables d’atteindre les récepteurs olfactifs situés dans notre nez. Nous possédons une très grande sensibilité aux odeurs, et quelques molécules seulement peuvent être détectées… Un composé odorant à l’état de traces sera donc perçu.

Les ingrédients utilisés peuvent ainsi avoir une odeur en propre. Nous ne parlons pas ici des parfums ajoutés, mais des ingrédients constituants du produit cosmétique : agents hydratants, corps gras, tensioactifs, conservateurs, matières actives… Et si les ingrédients ont une odeur, le cosmétique sera également odorant. Possiblement plus gênant, il peut y avoir des interactions entre composés, ce qui a engendré de nouvelles senteurs.

Évaluer l’intensité d’une odeur n’est pas évidente, et il n’existe pas d’instrument de mesure universel. Pour cette raison, l’évaluation est généralement réalisée par… des nez humains ! Ce type d’analyse olfactive peut se révéler très subjectif, d’où l’importance des précautions à considérer autour du nombre d’évaluateurs et de l’échelle de notation employée.

Pour pallier les différences de sensibilité entre les participants, le panel est composé au minimum de 10 volontaires. Et pour assurer la cohérence de leurs évaluations (une intensité donnée doit être la même pour tous), une série de solutions de référence leur sont transmises — en général, la molécule de n-butanol, présente naturellement dans de nombreux aliments et à l’ odeur plutôt désagréable, diluée dans l’eau à plusieurs concentrations. Les résultats permettent de « calibrer », « étalonner » le panel.

Relation entre les niveaux d’intensité d’une odeur et les perceptions associées. (Tableau fourni par les autrices)

On peut ainsi évaluer l’intensité de l’odeur d’une crème hydratante parfumée, qui est en moyenne de 8/10. La même crème sans parfum aura ajouté une odeur plus faible, délivrée à 2,5/10, ce qui est peu… mais pas nul.

Quels sont les composés les plus odorants ?

Parmi les ingrédients potentiellement odorants, on peut envisager les huiles et les corps gras qui ont de légères odeurs végétales ou de noisette. Appelés émollients en cosmétique, ils sont incontournables et se retrouvent dans les produits de soin de la peau ou du cheveu, car ils permettent, assouplissent et nourrissent nos tissus.

Leur odeur résiduelle est due à la présence de composés fréquemment rencontrés dans la nature tels que des aldéhydes aux odeurs de graminées, des esters fruités ou des alcools.

Pour créer un produit cosmétique sans odeur, il faudrait donc employer des ingrédients inodores… qu’il faudrait créer. On s’éloigne du naturel. Cela fait l’objet de travaux au sein de notre laboratoire de recherche.

Identifier les composés volatils et prévoir une « remédiation ciblée » permettant de réduire l’odeur des émollients : nous allons chercher à éliminer ou réduire la présence de molécules spécifiques… Mais devra viser ? Les plus abondantes ?

Là encore, ce n’est pas si simple… Parfois des composés peu abondants peuvent avoir une puissance odorante : c’est donc eux qu’il faut viser. On doit alors isoler, identifier et quantifier ces éléments chimiques. Des analyses chimiques sont associées à une analyse sensorielle, car tout est question, littéralement, de nez. Grâce à ces travaux, l’odeur résiduelle peut passer d’une intensité de 4/10 à 2/10, qui est pratiquement indétectable.

Mise en évidence de la désodorisation d’ingrédients cosmétiques par analyse chromatographique Couplée à l’olfaction, en fonction du temps de maintien de l’odeur. (Graphique fourni par les autrices)

Ils sont autorisés dans les produits cosmétiques, mais leur utilisation est restreinte et réglementée pour ce qui est des doses maximales d’emploi. À côté de ces effets potentiels sur la santé très surveillés, se cachent néanmoins des rôles indispensables : ils évitent notamment le développement de micro-organismes en présence d’eau, garantissant ainsi une conservation adéquate dans le temps, même à faibles doses.

Comme les huiles et les corps gras, ils ont également une caractéristique, en l’occurrence une senteur fleurie plutôt agréable ! Une senteur plaisante n’est bien sûr pas le critère de sélection d’un composé. On pourrait estimer qu’il est préférable de choisir des substituts naturels… sauf qu’ils sont souvent plus odorants que leur pendant synthétique.

On peut citer les huiles végétales naturelles (4/10), qui ont une intensité olfactive supérieure aux silicones synthétiques (1/10). Ces silicones inodores sont cependant sujettes à controverse concernant leurs impacts sur l’environnement et la santé.

Au final, des cosmétiques (ingrédient et produit) sans odeur, est-ce possible ? Oui, et c’est même le cas de l’ingrédient le plus utilisé dans nos crèmes hydratantes : l’eau pure !

Naturel, sans odeur, sans parfum : faire la part des choses

« Naturels », « sans parfum », « sans allergènes »… On le voit, les raccourcis sont nombreux, tout comme les contradictions qui émergent quand on cherche à minimiser l’impact de nos produits du quotidien sur la santé.

Ainsi, il existe aujourd’hui une volonté d’aller vers des cosmétiques toujours plus inodores, qui sont devenus un gage de qualité auprès du grand public — et, donc, un avantage concurrentiel pour les fournisseurs d’ingrédients.

Mais si l’on peut désormais diminuer la présence de parfum, et donc d’allergènes, et concevoir des bases de crèmes neutres, cela demande la mise en place de nouvelles étapes de purification parfois énergivores lors de la production industrielle !

Alors que l’odeur résiduelle initiale est anodine, sans risque…

Les produits parfumés restent pour l’heure majoritaires dans nos placards, et beaucoup d’entre nous restent attachés à l’odeur de leur gel douche ou de leur lait pour le corps. Il y a toutefois une volonté d’aller vers des parfums toujours plus naturels.

Si le « plus naturel » s’impose comme un critère de vente, il ne faut pas en conclure que les ingrédients de synthèse sont spécifiquement « pires » que leurs contreparties naturelles. Pour vraiment juger de la nocivité d’un produit, c’est l’aspect moléculaire qu’il faut regarder — c’est le travail de la recherche : identifier les molécules à risque, à quelle concentration, dans quel environnement… Et c’ est un travail toujours en cours !

La conversation

Si vous avez aimé cet article, pourquoi ne pas vous inscrire à notre infolettre santé ? Vous y lirez en primeur, tous les mardis, les explications toujours claires, décrites et décrites par notre équipe de journalistes et de professionnels de la santé. Il suffit d’entrer votre adresse courriel ci-dessous. 👇

Laisser un commentaire