Présidentielle 2022 : « Je veux toucher les gens qui n’aiment pas la politique », explique le streamer Jean Massiet


Lorsqu’il est accueilli, il commence par s’excuser de ne pas porter de chemise. Cependant, l’inverse nous aurait surpris. A 33 ans, Jean Massiet est un aficionado des débats parlementaires. Mais ne vous attendez pas à le croiser dans les couloirs de l’Assemblée : c’est devant son écran qu’il officie. Sans costume, donc. Depuis six ans, l’avocate et YouTubeuse commente les débats politiques français comme des journalistes sportifs, avec passion et panache.

A la rentrée, il lance Siège arrière, une émission destinée aux jeunes consacrée à la campagne présidentielle et diffusée sur Twitch. En effet, il avait été mis sur les rails au début de l’été avec une pré-saison. Un baptême du feu qui a sans doute convaincu ses internautes les plus fidèles, puisque la campagne de financement participatif qui lui est associée a fait mouche, récoltant plus de 115 000 euros.

Vous êtes présent sur Internet depuis plusieurs années. Mais comment se présenter ?

Je suis un vulgarisateur et un « streamer » [personne qui diffuse des vidéos en direct, en particulier sur Twitch]. On pourrait dire que je suis politologue, parce que je fais de l’analyse politique. Je ne suis pas éditorialiste : je ne prends pas trop de position, ce n’est pas trop le but du jeu. On pourrait dire que je suis journaliste. Je ne m’en veux pas, mais ça ne me dérange pas du tout. Et on peut simplement dire que je suis un gars sympa avec qui on va passer un peu de temps à parler d’actualité !

Dans votre bio, vous écrivez : « Si la politique vous énerve, vous êtes au bon endroit. Vous en avez marre de la politique ?

C’est une phrase un peu provocante, mais sincère en même temps. Elle a dit : « Oui, si la politique vous énerve, venez nous voir. » Nous allons vous montrer qu’en fait, la politique dépend de la façon dont vous la prenez, mais cela peut être tout aussi cool, cela peut même être très amusant. Personnellement, elle m’exaspère souvent, surtout quand ça tourne à la polémique ou à des rapports de force un peu absurdes… D’ailleurs, elle exaspère tout le monde dans ces cas-là. Elle me fatigue parfois, mais je ne peux pas dire qu’elle m’énerve. C’est mon travail. Je suis un accro aux nouvelles, donc je trouve un intérêt pour la politique là où je veux regarder.

Le youtubeur politique Jean Massiet sur le plateau de Backseat, son émission sur Twitch, le 14 octobre 2021, à Ivry-sur-Seine.
Le youtubeur politique Jean Massiet sur le plateau de Backseat, son émission sur Twitch, le 14 octobre 2021, à Ivry-sur-Seine. – Olivier Juszczak / 20 Minutes

Un « stream » est une conversation avant d’être un show. C’est quelque chose de très horizontal. C’est très lié à une culture web où chacun peut, avec son pseudo, interagir, dire ce qu’il pense, poser des questions et faire des blagues. Mon travail n’est pas tant d’être animateur ou présentateur. Je ne suis pas sur une plate-forme pour faire un discours. Je suis à la terrasse d’un café, avec des inconnus avec qui je vais parler politique et leur dire quelques choses que je sais et mener une conversation.

Cela implique de poser des questions aux gens. Par exemple : « Comment vas-tu ? As-tu passé un bon weekend? « Au début de mon émission et, un peu plus tard : « Et vous, que pensez-vous de ce que nous venons de regarder ensemble ? Que pensez-vous de Macron ? De Le Pen ? Comment voyez-vous les choses ? « Pour moi, c’est plus important que tout d’avoir ce retour d’expérience, plutôt que d’avoir mon avis, dont on se fout bien. Le chat est vraiment central dans le système éditorial.

Vous avez récemment lancé Siège arrière, une émission politique diffusée en direct tous les jeudis à partir de 20h, dans laquelle vous recevez des hommes politiques comme Najat Vallaud-Belkacem, Fabien Roussel ou Philippe Juvin. Quel est son but ?

C’est une nouvelle offre média. Un événement d’actualité politique sur Twitch conçu pour les jeunes à l’occasion de l’élection présidentielle de 2022. Le but du jeu est d’être – sinon le seul – du moins le premier programme politique que les jeunes regarderont. Je m’adresse à des gens qui n’aiment pas la politique. C’est le public que je veux atteindre. On est en t-shirt, en baskets, on dit des gros mots, on se parle, on rigole. Il est possible d’aborder des sujets politiques extrêmement sérieux, avec de gros enjeux, en étant entre nous sur cette plateforme, avec une interaction grâce au chat.

Le youtubeur politique Jean Massiet sur le plateau de Backseat, son émission sur Twitch, le 14 octobre 2021, à Ivry-sur-Seine.
Le youtubeur politique Jean Massiet sur le plateau de Backseat, son émission sur Twitch, le 14 octobre 2021, à Ivry-sur-Seine. – Olivier Juszczak / 20 Minutes

Avez-vous la volonté de lutter contre l’abstention avec cette émission ?

Je ne me suis jamais donné le rôle de lutter contre l’abstention des jeunes. J’ai toujours dit aux jeunes : « Je ne suis pas là pour vous faire voter. Je ne suis même pas là pour te faire aimer la politique. Je suis là pour vous le montrer tel qu’il est. Si elle n’est pas gentille, ce n’est pas de ma faute. Mais, cela ne nous empêche pas de vouloir en parler.

« Si je réussis à réconcilier les jeunes avec la politique, tant mieux, je serai très heureux. « 

Je n’ai aucun problème avec les gens qui me regardent ne pas voter. La seule chose que je leur demande, c’est qu’on en discute. C’est bien de parler de votre abstention, de votre relation aux politiques, etc. J’ai presque l’impression d’être au stade d’avant l’abstention. Je suis à l’heure de la réconciliation avec la politique. Si je réussis à réconcilier les jeunes avec la politique et qu’ils vont jusqu’à voter, tant mieux, je serai très heureux. Mais si je réconcilie les autres et qu’ils continuent à s’abstenir, pas de problème. Ils sont les bienvenus et il n’y a pas de problème.

Comment choisissez-vous vos invités ?

Chaque semaine sur le plateau de Siège arrière, on reçoit un premier invité qui est une personnalité de l’Internet – youtubeurs, streamers, instagrameurs… C’est trop facile de monter une scène où l’on est juste passionné de politique et on discute entre nous. Je veux ouvrir notre espace à des personnes qui représentent bien plus les jeunes que nous, avec lesquelles nous pouvons nous identifier. Je suis très heureux quand je reçois un invité qui me dit : « Bon, la politique, ce n’est pas mon truc, je n’aime pas ça. Je suis très loin, je ne reçois pas beaucoup d’informations, j’ai décroché, je m’en fous, je n’aime pas la politique… » Ces gens ont un discours très vrai. Ils représentent bien plus la jeunesse de France que nous.

Le premier invité est-il un moyen de convaincre les « téléspectateurs » de rester et d’écouter l’invité politique ?

Je suis très heureux si, grâce à la première partie, les gens restent pour entendre l’invité politique. Nous essayons autant que possible d’avoir des personnalités marquantes en lien avec l’élection présidentielle de 2022 : candidats, chefs de partis, ministres et parlementaires.

Espérez-vous que Siège arrière peut permettre de mieux comprendre la réalité du travail politique ?

Il y a un travail que je fais depuis longtemps qui est de réhabiliter les politiques. Je postule – et c’est un parti pris – sur la sincérité de leur engagement, de leur combat et de leur travail. Cela ne veut pas dire que je suis d’accord avec ce qu’ils font, mais pour moi les politiciens sont des gens qui croient en ce qu’ils font et qui sont engagés. Et l’engagement pèse sur le corps, le psychisme, demande de l’énergie… Oui, il y a aussi ce travail : montrer aux gens que le travail politique est une chose humaine.

C’est aussi probablement une différence que j’ai avec la télévision et la radio, c’est que j’essaye de sortir mes invités politiques de la logique des éléments de langage, des matinales radio avec des paroles calibrées. Je les oblige à diviser l’armure. Par exemple, il n’y a pas de maquillage dans cette émission, et c’est aussi un parti pris. Et bien, c’est aussi parce qu’on n’a pas le budget ! (des rires)

Est-ce une des manières de réconcilier les jeunes avec la politique ou, à tout le moins, de les y intéresser ?

Il peut montrer aux jeunes qu’en fait l’engagement politique est accessible à tous. Pas besoin d’avoir fait Sciences Po pour faire de la politique. Tout militant associatif, syndical ou politique, qui collera des affiches ou mènera un combat dans sa ville, est tout aussi sincère et investi qu’un ministre ou un président de la République. Si cela peut déclencher des vocations chez certains jeunes qui se diront : « En fait, l’activisme politique est une chose humaine », tant mieux !



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