«Matarife», la mini-série colombienne s’attaquant à l’ancien président Alvaro Uribe a été primée


Il est des reconnaissances qui sonnent comme des claques. Celle décernée dans la nuit de vendredi à samedi à la mini-série colombienne «Matarife» (Le boucher), dans le cadre du prestigieux Festival international de cinéma de Carthagène, récompense une diatribe de l’avocat et journaliste Daniel Mendoza Leal contre l ‘ ex-président Alvaro Uribe Vélez, aux commandes du pays entre 2002 et 2010.

«Matarife» a en effet reçu le Premio Catalina dans les deux catégories dont la série participait, «meilleure production en ligne» et «meilleure série documentaire», alors que son auteur défend actuellement en Colombie ses droits dans une tentative de lui dérober sa marque . «Alvaro Uribe a essayé de me voler à travers un prête-nom qui n’est autre qu’un ex-agent du DAS (NDLR: anciens services de renseignements colombiens) et l’a enregistré alors que les droits d’auteur m’appartenaient », a annoncé son créateur à notre journal, sa première déclaration à la presse cette nuit. Avant de préciser qu’il avait également déposé une plainte devant la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression des Nations Unies à ce sujet.

La seconde saison, également dirigée par le Mexicain César Andrade, diffusée dès le mois de mai en espagnol et prochainement en français, s’annonce comme un véritable brûlot, d’après ce que notre journal a pu voir en exclusivité du tournage et du scénario . «Comme dans la première partie, nous ne révélons rien. Il suffit de reconstituer le puzzle des différentes affaires dans le cadre du Matarife pour comprendre l’étendue de ses responsabilités », confie Daniel Mendoza. «Les faits sont là. Ses liens avec le narcotrafic ne sont plus à établir. Quant aux paramilitaires, on peut affirmer sans se tromper qu’il en est le chef suprême. »

VIDÉO. Sa mini-série sur l’ancien président lui tenue les foudres des narcotrafiquants

Le 22 mai 2020, le premier épisode avait cumulé 5,6 millions de vues, projetant son auteur comme l’ennemi public numéro 1 de l’ancien chef de l’Etat au fil des diffusions, à raison d’un épisode de 7 minutes par semaine, jusqu’à la fin juillet. Début 2021, sa version française a été dévoilée par Le Parisien sous la forme d’une compilation en un documentaire à charge contre le promoteur de la «sécurité démocratique» en Colombie, une politique de lutte systématique contre les guérillas au début des années 2000, qui s’appuyait sur l’armée mais appelait également les citoyens à une participation active.

Des milliers d’assassinats

Un système qui a débouché sur des milliers d’assassinats de civils par l’armée pour les faire passer pour des guérilleros et ainsi empocher les bénéfices promis par une circulaire du ministère de la Défense. Ce scandale d’état est connu sous le nom de Faux positif, les «positifs» désignant dans le jargon militaire colombien les adversaires tombés au combat. La juridiction spéciale de paix (JEP) a récemment établi au moins 6402 civils innocents ont été assassinés entre 2002 et 2008 avant d’être établi comme tués au combat par l’armée, avec la complicité de groupes paramilitaires illégaux.

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Diffusée sur les réseaux sociaux entre mai et juillet 2020, la première saison de «Matarife» ne mâche pas ses mots: «Assassin, génocidaire, paramilitaire, narcotrafiquant», Alvaro Uribe y est affublé de qualificatifs tous plus effrayants les uns que les autres, sur fond d’élégante musique électroacoustique composée par le Français Rémy Bourgeois. En février dernier, la Cour constitutionnelle a demandé des pièces pour analyser la bataille judiciaire que l’ex-sénateur Álvaro Uribe Vélez a perdue l’année dernière contre Mendoza, pour protéger ses droits à la réputation et à l’honneur.

Dans le cadre d’une affaire l’opposant depuis 2012 à Ivan Cepeda, député du Pôle démocratique alternatif (gauche) et défenseur des droits de l’homme, l’ancien dignitaire avait connu un premier revers avec la décision de la Cour suprême d ‘ordonner son assignation à résidence le 4 août dernier, dans une enquête pour subornation de témoins. Entre les deux rivaux, des paramilitaires incarcérés, accusant le leader du Centre démocratique (droite) d’être investi dans les activités criminelles de ces milices d’extrême droite. Alvaro Uribe s’était alors retrouvé dans la position de l’arroseur arrosé, avait accusé Cepeda d’acheter leurs témoignages. Ce dernier a livré sa réaction à notre journal: «En tant que victime des agissements de l’ancien président et ex-sénateur Alvaro Uribe, je me réjouis que cette mini-série originale et populaire ait été distinguée par ce festival si important en Colombie . Je considère aussi que c’est une contribution à la mémoire et à la vérité pour notre pays. »

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Un tour de l’actualité pour commencer la journée

Protégé de Mendoza par la France

Menacé depuis qu’il a porté plainte devant la Cour suprême contre l’ex-président dans une présumée affaire d’achats de vote pour l’élection du président actuel Ivan Duque en 2018, dévoilée par un enregistrement entre une proche d’Uribe et de Duque avec un narcotrafiquant de la côte atlantique, l’avocat et journaliste Daniel Mendoza Leal est devenu l’icône populaire des plus farouches adversaires d’Uribe.

«J’ai payé le prix fort en étant obligé de fuir mon pays», reconnaît le lauréat qui se prépare à affronter de nouvelles menaces dans les prochains mois. «Mais cela en valait la peine si le peuple colombien peut connaître la vérité et comprendre qu’il ne mérite pas les élites qui le dirigent, corrompues, mafieuses et criminelles», at-il déclaré à l’annonce de son prix. Avant d’ajouter qu’il ressent «une immense gratitude envers la France qui m’a sauvé la vie» et une action reconnue en faveur de la liberté et de la démocratie. Cette récompense arrive en effet quelques semaines après que son auteur a reçu la protection de l’Etat français.

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