L’ONU ou l’horloge de la vérité par Michaël Darmon


Sécuriser le graal du bon calendrier oblige les conseillers présidentiels à gagner la bataille de l’année

Quand Emmanuel Macron s’est rendu à la tribune onusienne, les conseillers élyséens savaient déjà que le discours était réussi. Pour une seule raison : il était 14 heures à New York, 20 heures à Paris. Outre-Atlantique, chaînes d’information et radios étaient au départ d’éditions spéciales. Les trois coups de table diplomatique de la rentrée présidentielle ont été donnés : Emmanuel Macron, agent spécial de la paix.

C’est parti pour le grand discours de 25 minutes : fustiger la Russie, pointer du doigt les États neutres ou prudents, encourager l’Ukraine. Le bureau a pris pour son rang sous les coups portés par le président français. « Tune in », « poings sur les i » : les cordes vocales présidentielles sont mises à rude épreuve, la colère présidentielle haut perchée. On a même frôlé l’egosillation de la Porte de Versailles en 2017.

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Ludovic MARIN / AFPLa ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna et le président français Emmanuel Macron descendent Park Avenue pour participer à la réunion du Fonds mondial à New York le 21 septembre 2022.

Une fois de plus, le plan directeur de la monarchie républicaine entre en jeu : la maîtrise des horloges, en l’occurrence de leur décalage.

Ceux qui ont connu les coulisses d’une Assemblée générale le disent sans détour : les diplomates qui travaillent sur le discours de l’ONU savent très bien qu’il ne sera suivi que par des diplomates et des journalistes politiques. D’où le seul critère pour juger de son succès : le temps de passage, intéressant pour le public national.

La caisse de résonance médiatique donnera le cachet : « discours important, ton ferme, volonté affichée ». Dans ces moments-là, les dirigeants apprécient les chaînes d’information qu’ils fustigent à tout bout de champ, tant l’information ne semble pas cadrer avec leur « plan com ».

Sécuriser le graal du bon timing oblige les conseillers présidentiels à remporter la bataille diplomatique la plus féroce de l’année. Le chef du commando de l’horloge est l’ambassadeur aux Nations unies, sous pression une semaine par an lorsque « le patron », surnom donné en interne aux présidents de la république, est présent.

Quoi qu’il fasse au cours de l’année, sa cote et le reste de sa carrière dépendent des moments où le président est sur la plate-forme de l’ONU. La dernière semaine de septembre est la « journée terrible » des membres de la cellule diplomatique. En cas de dysfonctionnement, le grand pardon du patron sera difficile à obtenir.

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Du temps des prédécesseurs d’Emmanuel Macron, il y a eu des drames : un discours de François Hollande à 21 heures à Paris. Autrement dit, une trappe.

Une année, durant son mandat, Nicolas Sarkozy a été mal programmé. Les conseillers commencent à proposer un troc avec les autres États : la France pourrait adopter des mesures favorables au voisin contre un changement de lieu sur l’horaire. Quand ils en parlent aujourd’hui, ils avouent un jeu un peu limite : le parquet de France pourrait être engagé pour une question d’ordre de passage sur le podium. Mais, poursuivent-ils, cette méthode n’était acceptable que pour une seule raison : personne ne se souvient d’un discours d’un chef d’État à la tribune de l’ONU.

Une année, durant son mandat, Nicolas Sarkozy a été mal programmé. Les conseillers ont commencé à proposer un troc : la France pourrait adopter des mesures favorables au voisin contre un changement de lieu sur l’horaire

Se livrer à ce petit jeu de mémoire confirme cette affirmation : il est difficile de retenir une formule, une phrase restée dans les mémoires prononcées à cette tribune, sauf peut-être le discours de Yasser Arafat, revolver à la ceinture…

C’est aussi la raison – certainement – pour laquelle les caméras restent le plus souvent proches de l’enceinte : la pièce est régulièrement vide. Hormis les stars Obama, Trump, Biden et aujourd’hui Zelenski, les discours des chefs d’État ne réussissent pas dans la salle de l’ONU, une enceinte que l’on découvre pour la première fois avec émotion et surprise devant les meubles. délibérément dépouillé et parfois décrépi.

Ludovic MARIN / AFP
Ludovic MARIN / AFPLe président rwandais Paul Kagame, le président français Emmanuel Macron et le président de la République démocratique du Congo Felix Tshisekedi

L’ONU a depuis longtemps perdu de son lustre, le temps des décisions historiques et puissantes est révolu. D’autant plus depuis la crise sanitaire. L’institution connaît une version de la grand arrêt, « la grande démission », et le télétravail, qui permet à de nombreux fonctionnaires internationaux de rester dans leur pays. D’où l’ambiance plutôt morose du quartier des Nations Unies, habituellement capitale mondiale de la mondialisation.

Dans les couloirs de l’Assemblée générale de l’ONU, la rentrée scolaire des dirigeants de la planète, la realpolitik est le code dominant. Les démocrates se heurtent à des autocrates et se saluent, prennent des rendez-vous et planifient des visites. Alors que les femmes iraniennes brûlent leurs voiles et défient le régime des mollahs, Emmanuel Macron veut voir le président iranien Raisi. Pour parler du nucléaire ou des violences policières des milices de la morale qui ont tué une jeune femme ?

Le politologue Frédéric Encel a analysé le discours du président français prononcé à la tribune de l’ONU : « Au fond, il a répété ce qui se dit depuis des mois en s’adressant aux anciens pays du tiers-monde qui se sont affranchis des impérialismes en leur faisant remarquer que la Russie , qu’ils soutiennent ou tolèrent, était le nouvel envahisseur en Ukraine. C’est la forme qui a changé », a déclaré l’analyste à France Info. Tout en ajoutant : « Mais fermeté ne veut pas forcément dire efficacité. »

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Tout est ici.

En décrétant la mobilisation partielle des Russes, Vladimir Poutine n’a pas répondu au philippique d’Emmanuel Macron, qu’il a ignoré. Poutine a d’autres chats à fouetter.

Les mauvaises langues de l’opposition fustigent la faiblesse de la diplomatie française, dont l’influence serait réduite « à celle d’un timbre-poste ». On serait tenté de répondre qu’un timbre-poste est indispensable au début d’une missive.

Mais force est de constater que cette Assemblée générale de l’ONU, la première en personne après trois ans de visioconférences, restitue un panorama international inquiétant : la guerre en Ukraine monte toujours d’un cran, l’affrontement sino-américain est toujours actif. , l’extrême droite a remporté les élections en Suède, elle s’apprête à prendre le pouvoir en Italie.

Au Moyen-Orient, le Liban souffre en négociant secrètement un accord de zone gazière maritime avec Israël. Dans le territoire des Accords d’Abraham, nous respirons. Et si la prochaine Assemblée générale des Nations unies se délocalisait dans cette région en plein changement positif ? Cela permettrait à l’Union européenne de s’y intéresser de plus près et de prendre la mesure de l’immense erreur stratégique qu’elle a commise en ignorant ce changement de paradigme qui frustre les Palestiniens. Autre avantage : pour le président français, le décalage horaire est moins important que depuis New York.

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