Les Kosovars se lassent de frapper aux portes closes de l’Europe


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Pristina (AFP) – De tous les passeports du monde, celui du Kosovo ouvre moins de portes que la plupart, même les portes vers d’autres parties de l’Europe.

« C’est une contradiction d’être appelé Européen alors qu’on n’a pas le droit de voir, de toucher ou de voyager en Europe », a déclaré à l’AFP la journaliste de 27 ans Aulona Kadriu.

« Je ne vois pas pourquoi une population entière devrait être mise en lock-out et isolée. »

Sur les 199 pays classés selon le nombre de destinations que leurs détenteurs de passeport peuvent visiter selon l’indice Henley, seuls 10 offrent moins d’opportunités que le Kosovo. L’ancienne province de Serbie languit en compagnie d’endroits comme l’Afghanistan, la Syrie, le Yémen et la Corée du Nord.

Kadriu a renoncé à voyager en Europe pour le travail ou pour les loisirs, car elle a trouvé les obstacles que les Kosovars doivent franchir trop frustrants.

Les 1,8 million de citoyens de ce pays enclavé sont les seuls habitants des Balkans à avoir besoin d’un visa pour le faire, et ce laissez-passer magique est difficile à obtenir.

« C’est au-delà de l’humiliation, » grommela-t-elle.

« Réserves UE »

Le Kosovo a déclaré son indépendance de la Serbie en 2008 mais n’est pas universellement reconnu.

Le Kosovo a déclaré son indépendance de la Serbie en 2008 mais n'est pas universellement reconnu, avec cinq pays de l'UE parmi les opposants
Le Kosovo a déclaré son indépendance de la Serbie en 2008 mais n’est pas universellement reconnu, avec cinq pays de l’UE parmi les opposants Armend NIMANI AFP

Cinq pays de l’Union européenne figurent parmi les opposants, aux côtés de la Serbie elle-même – avec laquelle les relations restent instables – et de ses alliés russes et chinois.

Ainsi, le petit pays a applaudi lorsque la Commission européenne – l’organe exécutif de l’UE – a décidé en 2018 que les Kosovars devraient être autorisés à voyager librement dans les 26 pays de l’espace Schengen sans frontières en Europe.

Mais les gouvernements de l’UE, qui ont le dernier mot, n’ont pas encore emboîté le pas et quatre ans plus tard, les Kosovars ont toujours besoin de visas et les files d’attente pour les obtenir sont plus longues que jamais.

La retraitée Igballe Kryeziu espère rendre visite à ses enfants en Allemagne, où résident actuellement environ la moitié des 800 000 Kosovars vivant à l’étranger.

Il lui a fallu cinq mois et 200 euros (210 $) de paperasse juste pour obtenir une place dans la file d’attente devant le consulat.

Les permis de travail et d’études sont tout aussi difficiles à obtenir.

L’ambassade de Berlin à Pristina a déclaré avoir reçu plus de 100 000 demandes rien qu’en décembre et janvier. Il n’a la capacité d’émettre que 5 500 en une année complète.

« Bâton mais pas de carotte »

Les organisations caritatives locales pensent que le hold-up est dû aux réserves de la part de poids lourds de l’UE comme la France sur la capacité du Kosovo à lutter contre la corruption et le crime organisé.

Les Kosovars ont toujours besoin de visas pour entrer dans d'autres pays européens et les files d'attente dans les ambassades pour les obtenir peuvent être longues
Les Kosovars ont toujours besoin de visas pour entrer dans d’autres pays européens et les files d’attente dans les ambassades pour les obtenir peuvent être longues Armend NIMANI AFP

Plus de 80 ONG locales ont récemment écrit au président français Emmanuel Macron, dont le pays assure la présidence tournante de l’UE, l’exhortant à mettre fin à « l’isolement des citoyens du Kosovo ».

Les pourparlers entre Pristina et Bruxelles sur les voyages sans visa ont traîné pendant 10 ans, ont-ils souligné – plus longtemps qu’il n’a fallu à la Croatie voisine pour passer de la demande d’adhésion à l’UE à devenir membre à part entière.

Le vice-Premier ministre Besnik Bislimi a déclaré à l’AFP que le Kosovo avait « fait plus que ce qui lui était demandé » pour remplir les conditions qui lui étaient imposées et que le retard était essentiellement « dû à la dynamique entre les différents membres de l’UE ».

L’analyste politique Donika Emini était d’accord.

« Nous avons vu le bâton mais pas la carotte », a-t-elle déclaré.

L’étudiante en architecture Teuta Rexhaj, 22 ans, a dû dire au revoir à son projet d’étudier à l’Université de Vienne.

« Ça a été un vrai coup dur », raconte-t-elle à l’AFP. « J’appartiens à une génération qui n’a pas pu réaliser son rêve européen. »

« Quand je vois d’autres jeunes des Balkans voyager en Europe sans aucune difficulté, je ne peux m’empêcher de penser que le Kosovo est victime de discrimination. »

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