Les footballeurs font-ils de «beaux» petits vieux, docteur Nicolas Bélot? . sport


Après avoir posé la question à différents footballeurs, l’avis d’un spécialiste nécessaire. Prolongation est donc allé à la rencontre de Nicolas Bélot, chirurgien orthopédiste et traumatologue à l’IRCOMS de Cesson-Sévigné, spécialisé dans la chirurgie du genou et de la hanche. Entretien.

Les footballeurs, pros ou amateurs, sont-ils plus exposés aux blessures que les autres?

Bien sûr que oui. Le football représente près de 25 à 30% des ruptures du ligament croisé antérieur, juste après les traumatismes liés à la pratique du ski. Je ne pratique plus aujourd’hui que la chirurgie du sport et la chirurgie prothétique du genou et de la hanche, exclusivement. Cette année a été un peu particulière car le Covid-19 a limité la pratique sportive, entre confinements, arrêt de championnats, fermeture des stations de ski, si bien qu’il y a eu nettement moins de traumatismes graves du genou. Ceci étant, mon activité prothétique me permet de voir les conséquences à long terme des traumatismes de genou. Beaucoup de patients sont d’anciens sportifs, beaucoup ont joué au pied et un nombre important de lésions ligamentaires ou méniscales à un moment dans leur vie sportive. Les sports-pivot exposent les pratiquants aux blessures et ces lésions seront le plus souvent à l’origine d’une évolution arthrosique à long terme, même si on opère.

photo blessure de jimmy cabot contre le fc nantes.  © franck dubray / ouest france

Bénédiction de Jimmy Cabot contre le FC Nantes. © Franck Dubray / Ouest France

«Voir un footballeur professionnel traverser une carrière sans se blesser devient exceptionnel»

Toute la semaine, Ouest-France et Prolongation vous emmènent à la rencontre d’anciens footballeurs professionnels, depuis la retraite. Quotidien, séquelles, nostalgie… Les footballeurs font-ils de «beaux» petits vieux?

ÉPISODE 1. Romain Danzé, lundi 17 mai.

ÉPISODE 2. Étienne Didot, mardi 18 mai.

ÉPISODE 3. Patrick Delamontagne, mercredi 19 mai.

ÉPISODE 4. Pascal Olmeta, jeudi 20 mai.

ÉPISODE 5. Entretien avec le chirurgien Nicolas Bélot, vendredi 21 mai.

Voyez-vous plus de sportifs aux genoux abîmés, à opérer?

Globalement oui. Le sport a pris une place importante dans la vie des gens. Les bienfaits de l’activité sportive sur la santé sont indéniables. Les gens ont eu plus de temps libre avec les 35 heures et les RTT, et ils ont pris conscience de l’intérêt d’une activité sportive sur le bien-être, la prévention des cancers notamment. Malgré, l’activité pratiquée n’est pas toujours cela adaptée. Il y a certainement de la place pour une meilleure approche de la pratique sportive et un rôle important à donner aux encadrants pour la prévention des blessures. Bien sûr, tout dépend de l’énergie que l’on rencontre dans la pratique du sport. Aujourd’hui, on le voit bien: ça court de plus en plus vite, ça saute de plus en plus haut, les cadences d’entraînements et de compétitions sont plus élevées qu’il y a quelques années, et certainement excessives même en dehors de la sphère du très haut niveau. Il est donc normal de voir plus de blessures. Pour revenir à nos footeux, je dirais que voir un footballeur professionnel traverser une carrière sans se blesser devient exceptionnel. Et c’est aussi de plus en plus le cas dans le cadre d’une pratique amateur. Ils ont presque tous intégrés qu’ils se bénissent un jour, soit les croisés, soit les ménisques.

«Se rompre le ligament croisé antérieur est une blessure grave qui se banalise, oui»

«Se faire les croisés» serait devenu presque banal. C’est pourtant une blessure grave?

Oui, et plus grave que ce que l’on pense, surtout si la prise en charge initiale n’est pas appropriée. Sur une image du footballeur professionnel qui se rompt les croisés et qui reprend la compétition six ou sept mois plus tard. Banalise la blessure, et on ne voit pas les conséquences à long terme. Combien ont dû être réopérés? Combien ont aujourd’hui une arthroplastie de genou et à quel âge? La rupture du ligament croisé antérieurement est une blessure grave qui se banalise, oui, malheureusement.

photo rennes - monaco: faitout maouassa se tord de douleur.  © philippe renault / ouest-france

Rennes – Monaco: Faitout Maouassa se tord de douleur. © Philippe Renault / Ouest-France

Que donner les résultats de la chirurgie?

Les résultats de la chirurgie ne sont pas trop mauvais, on peut le dire, mais on n’arrive pas encore à contrôler toutes les laxités. Le pronostic est surtout fonction du type de lésions et des lésions associées, méniscales, ostéochondrales… Si on a croisé isolé, peu de laxité et une chirurgie qui se passe bien, alors la discussion d’avoir un bon résultat est important. Si on a un croisé avec des lésions méniscales majeures non réparables, des lésions cartilagineuses, une laxité rotatoire importante, là ça devient plus difficile et ce sont des genoux qui ne font pas de «jolis vieux» pour reprendre votre expression. Donc, dans le type de blessure, le niveau de lésions est à prendre en compte. Les genoux «réparés» développeront de l’arthrose quasiment à 100% au-delà de vingt ou vingt-cinq ans. Arthrose qui peut, cependant, être bien tolérée.

Patrick Delamontagne n’a jamais vécu de rupture d’un ligament croisé pendant sa carrière. Il dit que cela a sans doute été une chance pour l’après.

Certainement, oui. Si j’ai bien lu, il a quand même deux genoux «pré arthrosiques» sur séquelles de lésions méniscales et un adaptateur dû à sa pratique sportive pour limiter les douleurs. Il ne court plus, ne pratique plus le foot. Ces lésions sont les conséquences d’une pratique sportive, sans aucun doute. Il faudra le réinterroger dans quelques années. À 63 ans, on peut considérer qu’il est jeune.

En tout cas, mis dans le sport, les cadences infernales, les impératifs sportifs et financiers ont accentué le phénomène. Et ce malgré les préparations de plus en plus points, un suivi médical et rééducatif et une hygiène de vie bien plus stricte qu’il y a quelques années. D’ailleurs, on se demande s’il ne faut pas remettre un peu au goût du jour la troisième mi-temps parce que j’ai l’impression qu’ils se bénissent moins à une époque! (sourire).

«Je vois beaucoup de gens de 50 ans qui courent et
qui présente des lésions méniscales dégénératives »

Les techniques opératoires ont évolué?

Oui, beaucoup, notamment avec l’avènement de la chirurgie arthroscopique pour la chirurgie ligamentaire et méniscale. Pour les prothèses, j’utilise aujourd’hui une technologie de planification 3D, des guides de coupe sur mesure fabriqués à partir d’imprimantes 3D, mais aussi des prothèses sur-mesure. C’est un truc assez dingue. Je pense que c’est ça l’avenir et j’espère que cela nous permettra, même pour des prothèses totales, d’avoir des résultats de plus en plus intéressantes. Les genoux opérés dans les années 80-90 ne donnent pas les mêmes résultats que ceux qui sont aujourd’hui et dont on observe le résultat dans vingt ans.

photo patrick delamontagne n'a jamais connu de blessure grave, mais a dû arrêter de jouer au football, à l'âge de 63 ans.  il fait désormais du vélo.  © archives ouest france archives

Patrick Delamontagne n’a jamais connu de blessure grave, mais a dû récemment arrêter de jouer au football, à l’âge de 63 ans. Il fait désormais du vélo. © ARCHIVES Archives OUEST FRANCE

On en revient souvent au courant quand on parle de genoux abîmés. Pas au football.

Oui, ce n’est pas tout à fait la même population. Je vois beaucoup de patients de 50 ans qui courent et qui présentent des lésions méniscales dites dégénératives. Avec le confinement, une bonne partie de la population sportive s’est tournée vers la course à pied. C’est souvent un signe avant-coureur d’arthrose. S’ils lèvent un peu le pied, s’ils adaptent leur activité sportive, ça restera gérable. Leur arthrose est plus localisée, moins sévère, et accessible le plus souvent soit à un traitement conservateur, médical ou arthroscopique, soit à un traitement chirurgical plus lourd (ostéotomie, prothèse uni compartimentage, etc.). Le problème avec les vrais runneurs de cet âge, c’est que quand vous leur conseillez d’en faire peut-être un petit peu moins ou de monter sur un vélo, ça ne passe pas vraiment. Ils sont mordus.

Le passage à la pratique du cyclisme peut-il être une alternative, passé un certain âge?

C’est une très bonne tendance et bien moins traumatisante pour l’organisme et ses «vieux» genoux. Le problème du vélo, s’il en est un, est que c’est bien plus chronophage. Le running, c’est plus simple. On est au boulot, on chausse ses paniers, part courir 45 minutes, une heure, on prend une douche et on revient l’esprit libéré, avec une dépense d’énergie importante.

«C’est comme pour tout, il faut faire du sport avec parcimonie,
en essayant d’écouter son corps »

Les footballeurs font-ils de «beaux» petits vieux?

En tout cas, ils feront des petits vieux qui nécessiteront certainement à un moment donné de leur existence un prix en charge médico-chirurgicale adaptée. Nous allons ouvrir prochainement un centre unique à Cesson-Sévigné, une quasi-révolution dans l’accueil et la prise en charge des patients, au sein d’une structure novatrice centrée sur la santé, le bien-être et le sport. L’idée est d’accompagner les patients tout au long de leurs parcours sportifs et médicaux, en mettant l’accent sur la prévention et la récupération. Rendez-vous en septembre 2022.

Le mieux, c’est d’arrêter le sport, en fait.

(rires) Non, c’est comme pour tout, il faut en faire avec parcimonie, en essayant son corps, en s’adaptant à son âge et à ses capacités physiques. Il faut connaître ses limites et, en cas de blessures graves, avoir un suivi adapté et pas adapter sa pratique sportive. Mais, là aussi, cela dépend du niveau et des impératifs socioprofessionnels. Nous ne sommes pas tous égaux, la capacité à encaisser les charges sportives varie en fonction des individus, tout comme les capacités de chacun à se remettre d’une blessure grave que l’on ait eu besoin ou pas d’une intervention. Et ce n’est pas parce qu’on encaisse facilement qu’on fera un beau vieux pour autant, ni même qu’on sera vieux un jour…



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