Les effets invisibles des activités humaines sur la nature


Les auteurs sont tous rattachés à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Maxime Thomas y est docteur en sciences de l’environnement ; Hugo Asselin, professeur titulaire, directeur de l’École d’études autochtones et titulaire de la Chaire Desjardins en développement des petites collectivités ; Mebarek Lamara, professeur et directeur de la maîtrise en écologie à l’Institut de recherche sur les forêts (IRF) ; et Nicole Fenton, professeure d’écologie végétale et directrice de l’IRF.

Les discussions tenues lors de la récente COP15 sur la biodiversité de Montréal ont permis, encore une fois, de mettre en lumière les conséquences des activités humaines sur la faune et la flore. De nombreuses espèces sont forcées de migrer, voient leurs populations décliner ou, pire, sont en voie d’extinction. Par exemple, les populations de caribou forestier (Rangifer tarandus) sont en déclin en raison de la dégradation de leurs habitats par les coupes forestières.

Cependant, les conséquences des activités humaines ne sont pas toujours visibles. Avant d’être poussées au déclin, certaines espèces peuvent s’adapter aux perturbations de leur habitat, mais jusqu’à un certain point. C’est notamment le cas des plantes, qui n’ont pas l’option d’éviter les perturbations de leur environnement en se favorisant, et doivent donc subir les conséquences des activités humaines.

Nos travaux en écologie forestière, réalisés à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), nous permettent de faire la démonstration des effets invisibles des activités humaines sur la flore boréale.

S’adapter, mais pas sans conséquences…

La capacité d’adaptation des plantes est une arme à double tranchant. D’un côté, elle permet de retarder le déclin des populations dû aux activités humaines. De l’autre, elle peut nous conduire à sous-estimer les conséquences des activités humaines sur l’environnement. Ni vu ni connu !

Lorsqu’une espèce s’adapte aux perturbations de son habitat, ses propriétés nutritionnelles et médicinales peuvent changer. En effet, les plantes produisent des composés chimiques en réaction aux perturbations de leur habitat. Certains de ces composés peuvent avoir des effets nocifs sur la santé des personnes qui consomment les plantes. Les toxines contenues dans les graines de l’if du Canada et dans les feuilles du kalmia à feuilles étroites en sont de bons exemples en forêt boréale.

D’autres composés sont, au contraire, recherchés pour leurs vertus pour la santé humaine. Par exemple, les antioxydants, très prisés dans l’alimentation pour leurs effets bénéfiques sur la santé, ont comme fonction première de protéger les plantes du soleil et de divers polluants. On peut penser notamment aux polyphénols contenus dans certains petits fruits de la forêt boréale, comme le bleuet et la canneberge.

… en particulier pour les communautés autochtones

Les personnes dont l’alimentation est constituée de plantes sauvages sont particulièrement touchées par les changements de composition chimique induits par leur adaptation aux perturbations. C’est le cas des communautés autochtones, qui cueillent des dizaines d’espèces sur leurs territoires traditionnels pour usages alimentaires et médicinaux.

Pour étudier les conséquences de l’adaptation des plantes sur leurs propriétés chimiques, nous avons réalisé un projet en partenariat avec trois communautés autochtones du nord-ouest du Québec. Les membres de ces communautés nous ont proposé de travailler sur le thé du Labrador, en raison de son importance culturelle pour la consommation et de ses usages médicinaux. Les feuilles de thé du Labrador sont utilisées sous forme d’infusion pour traiter de nombreux maux tels que l’arthrose, le diabète ou les problèmes rénaux. Leurs vertus sont attribuées aux antioxydants présents en grande quantité dans les feuilles : les flavonoïdes.

Le thé du Labrador est une plante de sous-bois de 30 à 120 cm de hauteur. Il se trouve dans les environnements forestiers humides du Canada et du nord des États-Unis. (Photo : Maxime Thomas, fournie par l’auteur)

Des perturbations aux effets contrastés

Les membres des communautés rencontrés nous ont fait part de leurs inquiétudes concernant les conséquences de deux perturbations humaines sur leurs territoires : le passage de lignes de transport d’hydroélectricité et l’exploitation de sites miniers. Les lignes de transport d’hydroélectricité créent une ouverture artificielle dans la forêt, qui surexpose les plantes au soleil. Les sites miniers ont généré quant à eux une pollution aux métaux lourds. Dans les deux cas, le thé du Labrador s’adapte en ajustant sa production de flavonoïdes.

Les plantes sous les lignes de transport d’hydroélectricité sont bien plus exposées au soleil que dans la forêt avoisinante. (Photo : Maxime Thomas, fournie par l’auteur)

Après avoir analysé la composition chimique de plantes de thé du Labrador échantillonnés sur les territoires des trois communautés autochtones, nous avons trouvé un effet contrasté des perturbations humaines. D’un côté, les plantes sous les lignes de transport d’hydroélectricité produisaient davantage de flavonoïdes pour se protéger du soleil. De l’autre côté, les plantes près des sites miniers produisaient moins de flavonoïdes, en raison d’une dégradation de leur émis par les métaux lourds.

Avant de conclure que les plantes sous les lignes de transport d’hydroélectricité sont meilleures pour la santé, il faut prendre en considération d’autres facteurs. Par exemple, des produits chimiques potentiellement bénéfiques pour la santé humaine, tels que le triclopyr ou le glyphosate, peuvent être utilisés pour entretenir ces lignes de transport.

L’analyse des flavonoïdes ne fournit qu’une partie de l’histoire, et d’autres mesures, notamment de la teneur en polluants des plantes, doivent être réalisées pour avoir un portrait complet des effets des perturbations sur les propriétés des plantes.

La biodiversité est importante pour le fonctionnement des écosystèmes, et aussi pour les services qu’elle rend aux humains. Les peuples autochtones présentent des connaissances pointues sur les plantes et leur environnement, qu’on aurait avantage à valoriser.

Les perturbations humaines associées à la fois aux plantes, les bénéfices qu’elles fournissent et les savoirs autochtones qui en dépendent.

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