Le sud de la France est un bastion de Marine Le Pen, mais a-t-il atteint un plafond ?


A huit mois de la prochaine élection présidentielle française, il est possible que le concours de 2022 se résume une nouvelle fois à un choix entre Emmanuel Macron et la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen.

Pour accéder au second tour, comme elle l’a fait en 2017, Le Pen s’appuiera sur les fiefs de son parti dans le nord et le sud du pays. En particulier, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, dite PACA, où le Rassemblement National (anciennement Front National) s’est patiemment imposé comme une force au cours de nombreuses années.

PACA est composé de six départements : Alpes-de-Haute-Provence, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Hautes-Alpes, Var et Vaucluse. Il comprend les grandes villes comme Marseille, Nice et Toulon, ainsi que celles à forte portée symbolique ou culturelle comme Avignon et Cannes.

C’est en 1995 que le Front National remporte pour la première fois trois villes importantes de la région lors des élections municipales : Toulon, Orange et Marignane, ajoutant Vitrolles en 1997. Les villes tombent à l’extrême droite en raison d’une combinaison de mauvaise gestion historique et de dissidence croissante, bien que certains soient depuis revenus à des fêtes plus traditionnelles.

Lors de l’élection présidentielle de 2017, Le Pen a remporté le premier tour avec 28 % des voix en PACA, tandis que Macron est arrivé troisième. Le Pen a perdu le deuxième tour contre Macron, gagnant 45% des voix contre 55% pour Macron.

Ces moments électoraux ont permis au Rassemblement national de s’implanter solidement dans la région, de s’appuyer, de consolider ses réseaux, d’embaucher plus d’employés, d’attirer des bénévoles, de s’impliquer dans les organismes locaux et de se forger une image plus respectable.

Le vote anti-immigrés

Comment l’extrême droite s’est-elle si bien implantée dans le sud ? Plus que toute autre question, le vote se fédère autour de la question de l’immigration qui agrège la quasi-totalité des électeurs du Rassemblement national, quels que soient leurs désaccords sur d’autres sujets comme l’économie. Mes recherches ont montré à quel point ce point a été crucial pour renforcer le soutien à l’extrême droite dans cette région depuis 2000.

Le terme « immigration » doit être analysé dans sa complexité pour l’électorat en PACA. Elle est fortement liée aux marqueurs identitaires culturels, culturels, économiques ou historiques de la région. Et contrairement à d’autres régions de France, il existe en PACA une forte corrélation entre les zones à plus fort taux d’immigration et celles où le vote d’extrême droite est important.

L’autre point clé réside dans le rejet de l’islam sous ses formes les plus visibles chez les électeurs d’extrême droite, notamment les femmes qui portent le voile et la présence de boutiques halal.

Rassemblement de soutien à Marine Le Pen (RN) le 19 juillet 2019 à Le Thor, près d’Avignon, en vue des élections européennes de mai 2019.
Clément Mahoudeau/AFP

Certains – notamment les électeurs plus âgés – ont le sentiment que l’identité provençale, qui ne se limite pas au département de la Provence mais traverse la région, est perturbée par les vagues migratoires.

Les rapatriés d’origine française qui ont quitté l’Algérie après son indépendance, bien que n’étant pas un bloc électoral homogène, sont une composante importante du vote d’extrême droite en PACA, en raison de leur rejet historique de Charles de Gaulle qu’ils considèrent comme ayant « renoncé » Algérie. Aujourd’hui cette communauté vieillit et le traumatisme historique s’estompe peu à peu, mais les connexions ont laissé leur empreinte et leurs votes vont souvent à l’extrême droite.

Rassemblement Les électeurs nationaux sont réceptifs au lien souvent établi entre immigration et délinquance par les chefs de parti. « Le crime est la conséquence de l’immigration », affirmait Marine Le Pen en 2018, un argument désormais largement utilisé à propos de l’immigration et du terrorisme

Cet électorat reste aussi en partie convaincu par les propos du père de Marine et fondateur du parti Jean Marie Le Pen, qui a été conseiller régional en PACA et a parlé des immigrés prenant des emplois aux « Français ». Mais l’argument est moins présent aujourd’hui au vu de deux éléments : d’une part, Marine Le Pen relie désormais l’emploi à la question plus large de la mondialisation, qui selon elle détruit des emplois ; de l’autre, les expressions « islamistes » et « migrants » sont venues remplacer les termes « arabes ou immigrés » utilisés dans le passé.

Certes, au sein du parti, l’idée suprémaciste blanche du « grand remplaçant » reste séduisante, mais il n’est plus question de singulariser les « Arabes », car les immigrés de la deuxième génération anciennement classés comme tels sont désormais perçus comme des potentiels. électeurs d’extrême droite.

Politique de respectabilité

Alors que dans certaines régions du pays, Le Pen et son parti sont considérés comme un anathème même pour ceux de droite, en PACA la relation entre la droite traditionnelle, Les Républicains, et le Rassemblement National est plus poreuse.

C’est dans ce contexte que Thierry Mariani, qui a fait toute sa carrière politique à la droite de la politique française, est devenu un candidat incontournable du Rassemblement national. Après avoir suggéré aux Républicains d’envisager des accords avec le parti de Le Pen en 2018, ce natif d’Orange a fini par rejoindre la liste du Rassemblement national pour les élections européennes de 2019. Il était tête de liste électorale de PACA aux élections régionales de 2021.

Jean-Paul Garraud (à droite) et Thierry Mariani (à gauche), anciens membres du parti Les Républicains, annoncent qu’ils rejoindront les listes du RN aux élections européennes de mai 2019.
Bertrand Guay/AFP

Mariani est bien connu et bien enraciné dans la région, notamment dans le Vaucluse : il a longtemps été conseiller général du département et a été maire de Valréas. Dans les années 1990, il a été conseiller régional de PACA puis a été ministre des transports sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

En tant que tête de liste électorale aux élections régionales, Mariani a offert au Rassemblement national un vernis de respectabilité, s’inscrivant dans un processus de réhabilitation du parti initié par Marine Le Pen depuis qu’elle est devenue leader en 2011.

Mariani n’a pas remporté la PACA comme prévu lors des élections régionales de 2021, qui ont été marquées par des taux d’abstention record, mais par sa seule présence, il a contribué à un sentiment croissant que l’extrême droite n’est plus tabou ou repoussante en France.

Pourtant, son échec donnera au Rassemblement national une pause de réflexion avant le scrutin présidentiel de 2022. Le parti a-t-il atteint un plafond de succès électoral ? D’autres partis ont-ils réussi à trouver un moyen de l’empêcher de gagner au second tour des élections ?

Marine Le Pen reste une sérieuse candidate aux prochaines élections présidentielles. Mais il semblerait que la concurrence se durcisse pour le Rassemblement National. Il y a la candidature d’Éric Zemmour, qui menace de déborder le parti d’extrême droite. Ensuite, il y a Florian Philippot, l’ancien directeur de campagne de Le Pen, qui surfe désormais sur la vague du mouvement anti-passe-santé, ainsi que son traditionnel rival, Nicolas Dupont Aignan. Les rangs des challengers d’extrême droite se remplissent et risquent de diviser le vote de Le Pen en France.

Quant à PACA, si la région reste un bastion du Rassemblement national, ce n’est pas la base indispensable que beaucoup pensaient avant les élections régionales.

Il semble que les points de faiblesse se multiplient pour Le Pen.

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