Le sport du futur, créé à Montréal


À partir du mont Royal, roulez sur l’avenue du Parc, en direction nord, pendant trois kilomètres. Après le chemin de fer, tournez à gauche dans la rue Beaubien. Stationnez votre véhicule.



Alexandre Pratt
Alexandre Pratt
La Presse

Bienvenue au milieu de nulle part. Dans un quartier tristounet. Une enclave industrielle d’un autre siècle, où des édifices en briques brunes côtoient des stationnements vides. Franchement pas le secteur le plus inspirant en ville. Difficile d’imaginer que dans un de ces bâtiments anonymes, des Québécois développent un des projets les plus originaux, innovants et fascinants du moment.

Réinventer les plateaux sportifs.

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PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Le plateau du jeu Grille, développé par l’entreprise montréalaise Moment Factory

Nous sommes vendredi après-midi. J’ai rendez-vous avec les cerveaux du projet, chez Moment Factory. Le nom vous dit quelque chose? C’est l’entreprise montréalaise qui a illuminé le pont Jacques-Cartier. La basilique Notre-Dame. Le parc de la Gorge-de-Coaticook. C’est aussi elle qui a créé le contenu multimédia de la tournée de Madonna, en 2012. Ses employés sont des magiciens de la lumière et des projections.

Jean-François Larouche, directeur de la création, vient de m’accueillir. Nous nous connaissons déjà. Dans une autre vie, nous avons travaillé ensemble sur le lancement de La Presse +. C’est un homme brillant, allumé, enthousiaste. Une machine à idées. Il me guide vers le laboratoire dans lequel ses collègues et lui testent leurs prototypes.

J’imagine une salle immense. Hyper haute technologie. Comme dans James Bond. Remplie de savants comme Q, qui testent des gadgets sur des mannequins filés de la tête aux pieds. Mais non. C’est plutôt une petite pièce. Sombre. Simple. Presque vide. Il y a une table. Un ordinateur. Des projecteurs au plafond. Trois murs sont cachés par des rideaux noirs. Sur l’autre mur, il y a un écran. En fait, ça ressemble à une petite salle de cinéma, sans les fauteuils.

Puis soudainement, sous mes pieds, le plancher s’illumine.

«Woah! C’est quoi, ça? »

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Le plancher s’illumine sous les pieds des joueurs.

Je me retrouve debout, dans un cercle turquoise. Entouré de six pastilles de couleurs différentes. Chaque pastille représente un jeu développé par Moment Factory: Grille, Polygone, Éclaireur, Cible, Point chaud et Bip Bip. Pour activer un jeu, m’explique Jean-François, je dois me déplacer sur la pastille correspondante. Je choisis Grille. Lorsque mes deux pieds sont dans le cercle vert, le téléchargement démarre. Comme par magie.

Je scrute le plancher. Pas de fil. Pas de capteur. Juste du béton.

C’est quoi, le truc? «Le capteur est caché en haut, dans un coin de la salle», m’explique Jean-François. Il n’a pas le temps de finir ses explications que déjà, le jeu est prêt. Il m’invite à lui faire face. Nous serons adversaires.

Grille est super simple. C’est comme le tennis de table. Sauf que la balle est virtuelle, et les raquettes sont dirigées par les pieds.

Ça commence vraiment mollo. Niveau: enfant de 5 ans. Mais rapidement, la balle accélère. Puis il y en une deuxième. Puis des effets spéciaux. Je cours partout. Après deux minutes, je me démène comme Tom Hanks sur son piano géant dans le film Gros.

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Partie de Grille, le premier jeu développé par Moment Factory

« Grille, c’est le premier jeu qu’on a développé, raconte Jean-François. On avait un petit prototype broche à foin. On l’a testé dans un parti d’entreprise. Ç’a été la fureur! Sur un remis de l’énergie là-dedans. On en a fait une version plus grosse, plus solide. Sur la mise en ligne. Ça a fait un tabac. On s’est dit: «Il faut remettre le projet de l’avant.» On s’est donc mis à faire d’autres jeux. »

Comme Polygone. Une copie de Grille – mais pour plus de joueurs. Entre trois et huit. C’est franchement amusant. Facile d’imaginer le succès qu’aurait ce jeu auprès d’enfants ou d’ados dans un cours d’éducation physique. Suivent Point chaud (un parcours à obstacles), Bip Bip (un cours aller-retour), Éclaireur (un parcours avec un parcours à mémoriser) et mon préféré, Cible, dans lequel il faut capter le plus grand nombre possible de balles avec ses pieds, tout en évitant des pièges.

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Le jeu Cible, dans lequel les joueurs doivent «gober» des balles avec leurs pieds.

Après 30 minutes d’activité physique, j’ai pris une pause pour aller rejoindre le producteur des jeux, Stéphane Raymond.

«J’ai l’impression, Stéphane, de sortir d’un cours d’éducation physique dans 20 ans.

– Dans 20 ans? Hahaha ! Ça deviendra populaire bien avant ça.

– Ah oui ? Dans combien de temps?

– D’ici deux ans. »

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Moment Factory nourrit de grandes ambitions pour ses plateaux sportifs.

L’entreprise montréalaise a entamé des discussions avec des dizaines de clients potentiels, partout sur la planète. L’intérêt est là. Surtout pour la création de centres de divertissement. Ça pourrait devenir une solution de rechange aux centres de trampoline et de jeux d’évasion.

«Les centres commerciaux essaient de se réinventer, explique Stéphane Raymond. Ces centres veulent avoir une aire de divertissement pour se distinguer. Nos terrains de jeu leur plaisent énormément. Tu n’as pas besoin de beaucoup de technologie. Deux projecteurs, un capteur, un serveur. On doit être 20 à 30 fois moins chers que des Legoland ou des théâtres volants [flying theaters]. »

Un autre marché, plus niché, c’est celui du sport de haute performance, souligne-t-il. «Nous discutons avec un homme qui développe des athlètes olympiques. Il veut utiliser notre technologie pour réussir à identifier rapidement les enfants qui ont des habiletés olympiennes, dans un avenir rapproché. »

Quels habiletés? Pensez aux réflexes. Au temps de réaction. À l’anticipation. À la vitesse de course. À la résistance à l’effort. À la capacité de concentration ou de mémorisation. Toutes les aptitudes quantifiables sur les plateaux développés par Moment Factory.

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Le plateau de Bip Bip, jeu de cours allers-retours développés par Moment Factory

Enfin, il y a le marché scolaire. Son potentiel est inouï. Toutes les écoles des pays développent des gymnases. Ou, du moins, des salles assez grandes pour accueillir un terrain.

L’enjeu? L’argent. Actuellement, chaque plateau coûte dans les six chiffres. Ça représente un très gros investissement pour une école ou un collège. «Près de 70% du coût, c’est du matériel physique [hardware], comme les projecteurs, explique Stéphane Raymond. Plus sur va progresser dans le temps, moins ce sera cher. »

Dans l’avenir, ce sera à la portée des écoles. Ou d’un groupe de 10 écoles, qui pourront se mettre ensemble pour partager un terrain. Ce n’est pas complexe à monter et démonter. Une fois que le capteur et les projecteurs sont calibrés, tu peux jouer.

Stéphane Raymond, producteur des jeux chez Moment Factory

Les premiers tests réalisés par Moment Factory auprès d’enfants sont par ailleurs encourageants. Sans surprise, les jeunes adorent. Parce que les exercices sont simples. Ludiques. Pas besoin d’être fort. Ni de savoir nager, patiner, dribler ou lancer un javelot. Autant de barrières qui, dans les cours d’éducation physique, découragent bien des jeunes.

Je rappelle que seulement quatre adolescents québécois sur dix sont prévus comme «actifs». C’est-à-dire qu’ils atteignent le seuil minimal d’activité physique. Chez les filles, c’est encore pire. Seulement une sur trois est active. Si des plateaux interactifs, développés par des gens d’ici, peuvent leur donner le goût de bouger une ou deux fois de plus par semaine, ce sera un grand gain pour tout le monde.

* Au moment de faire ce reportage, le sport à l’intérieur était permis à Montréal.



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