Le sport dans nos sociétés


Par Francis Eyquem, Grayan-et-l’Hôpital (33)

Après Boris Cyrulnik et Pascal Picq, c’est au philosophe André Comte-Sponville que l’INSEP a demandé de réfléchir sur la place du sport dans notre société et qui, dans Sud Ouest Dimanche du 18 avril 2021 nous explique pourquoi, selon lui, «Le sport n’est pas prioritaire dans la vie».

Les domaines de recherche des trois intervenants étant très étendus sur s’attendait à fréquenter des systèmes de pensée qui nous conseillent à mieux appréhender ce «phénomène social et culturel total» qu’est le sport et en conséquence, mieux comprendre le monde dans lequel on vit.

C’est un choix dont on mesure l’enjeu et qui pouvait présenter sa pertinence.

J’écarte d’emblée l’idée qu’il serait impératif d’avoir pratiqué un sport ou une activité sportive pour répondre à cette question. Pas plus que le recours à des philosophes, historiens, sociologues, physiologistes, enseignants, entraîneurs spécialistes du sport et du corps serait nécessaire pour exprimer des points de vue. La distance peut permettre à une pensée curieuse et exigeante d’utiliser d’autres savoirs afin de s’interroger sur un objet pour lequel on n’a pas d’inclinations particulières.

J’entrevois cependant une limite, celle qui consiste à considérer qu’une opinion est égale en dignité à une connaissance.

J’avoue que je suis déconcerté par les réponses fournies par André Comte -Sponville qui me semble-t-il à quelques facilités ou convictions immédiates sans grand fondement. En effet même si la réponse concernant la longévité de Churchill peut nous sembler amusante, elle n’est certainement pas liée au «no sport» pas plus que le whisky qu’à son amour du cigare. Il y a dans cette réponse une ironie et une indifférence qui masquent, je le crains, un certain mépris.

N’appartenant pas par ailleurs à ceux qui désirent que le sport est une évidence partagée, hors du jeu politique, je suis déçu par les propos qui sont tenus dans cette interview car on pouvait s’attendre à un questionnement plus fertile voire à des remises en cause du sport au profit de contre-modèles qui pourraient être défendus. Ici rien de cela.

En premier lieu on peut être étonné que «le sport» ne soit pas défini car celui-ci ne va pas de soi. En effet le sport aujourd’hui est un terme polysémique qui recouvre des réalités différentes qui offrent même d’une façon succincte une double approche à la fois sémantique et historique.

Le mot sport provient de l’ancien français «desport» qui veut dire s’ébattre, s’amuser. D’un point de vue sémantique il y aurait donc une relation intime entre l’exercice et le jeu au sens de divertissement.

Historiquement le sport naît en Angleterre au XIXe siècle avant de se diffuser en France et en Europe. Sa naissance est intimement liée à l’éthique protestante d’où va émerger le capitalisme industriel, commercial et financier de cette première puissance. Cette genèse est par ailleurs liée à l’histoire des classes sociales anglaises, aristocratie en tête, et aux premières formes de classe ouvrière. Le sport va trouver de larges échos en France parmi les lycéens et les étudiants nourris d’anglomanie et qui ont besoin de dépense physique. Longtemps réservées à une élite aristocratique et bourgeoise, les pratiques sportives vont progressivement pénétrer les classes moyennes pour gagner ensuite la classe ouvrière qui a été retrouvée en partie des stratégies patronales dont le mais n’était pas sans arrière-pensées.

On est surpris de lire que le sport est assimilé au courant hygiénique. En effet, les années cinquante la santé ont été opposées à l’exploit sportif. Il serait trop long ici de revenir sur l’histoire de cette relation qui ne peut se résoudre à une formule aussi peu nuancée qu ‘« il est vrai que cette valorisation du sport et de la santé me fatigue un peu ». Je ne résiste pas à rappeler au spécialiste de Montaigne que celui-ci, atteint de la maladie de la pierre pratiquait l’équitation pour échapper à la douleur.

La définition du sport fait l’objet d’un enjeu car les recherches nous révèlent que le sport recouvre un espace très large avec des facteurs très divers: l’effort physique, la compétition, la performance, le caractère éducatif, le jeu, l ‘aspect aliénant, le spectacle, le risque, le désir de progrès, la gratuité, la santé… Il est toujours admis qu’il existe dans la diversité des pratiques un noyau commun qui serait: l’effort physique.

Ainsi le sport ne se réduit pas au sport professionnel pas plus qu’à la pratique compétitive et ce sport-là aurait mérité que l’on s’y attarde. Aussi curieux que cela puisse paraître, pratiquer la marche: c’est faire du sport! – Le sport de compétition sacrifie tout au mais à la victoire… Argument contestable que l’on entend et qui laisserait croire que «Seule la victoire est belle». Le sportif peut-être animé aussi par une autre espérance: la manière de faire.

– Le foot est sportivement imparfait parce qu’il ne peut supporter la maxime: que le meilleur gagne

En cours à pied vous n’entendrez jamais que le moins bon a gagné. Encore un lieu commun. La course n’échappe pas à l’incertitude et comme le pied n’échappe pas au hasard, ce qui est, il est vrai, humainement réconfortant.

Enfin la démocratisation, la féminisation, la multiplication des pratiques sportives qu’elles soient hédonistes, d’entretien, de griserie, et de défi où le plaisir peut-être présent ne serait-elles pas de nature à éclairer la pensée et à nous faire aimer la vie?

À la question: Pourquoi selon vous le sport est-il finalement quelque chose de secondaire?

C’est en philosophe qu’il a répondu et la réponse ne manque pas d’être déroutante.

L’essentiel touche à l’esprit plus son corps. Je pense que tout philosophe mettra plus haut la vie de l’esprit que la vie du corps…

Et de rajouter: même s’il est matérialiste comme moi.

La précaution qu’il prend en rappelant son matérialisme ne dissipe pas ma gêne. La question du corps et de l’esprit ici est importante car je pensais que la phénoménologie, les sciences humaines, l’essor des neurosciences cognitives nous avons offert l’occasion d’en finir avec le dualisme philosophique qui remonte à Descartes et à d ‘autres, soutenant l’hypothèse que le corps et l’esprit appartenaient à des royaumes complètement distincts. Peut-on rappeler même si c’est difficile à admettre que toutes les activités physiques agissent sur l’individu dans sa totalité où le corps pensant n’est pas au service de l’esprit car l’être humain est un tout indissociable et que le sport contribue aussi à sa formation physique et intellectuelle.

Au-delà sur envoyé bien que dans les propos du philosophe le problème que pose le sport relève plus particulièrement de sa légitimité culturelle. La culture sportive ne serait-elle qu’un sous-produit de la culture savante?

Pour conclure je ne reproche pas au philosophe d’avoir des préférences, je lui reproche d’exclure celles qui ne lui conviennent pas avec une légèreté bénie.

On connaissait les addictions musicales d’André Comte-Sponville, sa gratitude pour Beethoven, sa vénération pour Mozart, le peu d’atomes crochus pour Schumann qui soit l’ennuie soit l’angoisse. On lui découvre aujourd’hui un goût prononcé pour le classement quand il estime que les Beatles ou les Stones ont apporté davantage à l’humanité qu’Anquetil ou Merckx ou que Pelé et Mbappé car ils ont changé l’histoire de l’art.

Une question me tourmente: serait-il en mesure de nous fournir un classement entre Montaigne, Pascal, Einstein, Galilée, Picasso, Léonard de Vinci? Plus sérieusement ne pourrait-on pas se contenter de revenir à une sagesse plus ordinaire, qui serait d’admirer sans classer. Si je puis me permettre, le classement à tout-va… «me fatigue un peu».

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