Le duel présidentiel Macron-Le Pen laisse froid les jeunes électeurs de gauche de Mélenchon


Dimanche, l’extrême gauche français Jean-Luc Mélenchon n’a pas réussi à se qualifier pour le second tour de la présidentielle, laissant la porte-drapeau d’extrême droite Marine Le Pen défier à nouveau Emmanuel Macron pour le poste le plus élevé de la France. Mais chez les 18-25 ans, c’est Mélenchon, 70 ans, qui a remporté la soirée avec 29 % des suffrages. Ce que feront ensuite ses partisans sera critique le 24 avril. FRANCE 24 a rencontré des étudiants au nord de Paris qui ont voté pour Mélenchon. Aucun n’était désireux d’aider à réélire Macron, même contre l’extrême droite.

« Macron ou Le Pen, on est foutus de toute façon. Pour ma première élection, j’espérais mieux », songeait Esteban, une main dans la poche, l’autre appuyée contre une borne Vélib de vélos en libre-service aux portes de Paris 8- Université Saint-Denis, au nord de la capitale française. Lors du premier tour de scrutin de dimanche, le jeune homme de 18 ans a voté pour Mélenchon. « C’était le vote le plus proche de mes convictions. Je ne vais pas vous mentir : ça me fait perdre espoir en un monde meilleur, ou du moins avec plus de progrès social », a-t-il déploré après la courte défaite de son candidat.

L’étudiant en cinéma attend un professeur qui a fait venir sa classe malgré le mouvement de grève en cours, sans rapport avec le concours dramatique de l’Élysée. L’entrée de l’université est bloquée par une chaîne de poubelles reliées entre elles. Il est 14 heures et les étudiants en piquetage ont quitté leurs postes du matin. L’école avait décidé de fermer pour la journée de toute façon. Les affiches et flyers dans les poubelles éclairent les revendications des grévistes : « La présidence de l’université refuse d’inscrire les étudiants fuyant la guerre en Ukraine. Il reste encore 23 étudiants sans titre de séjour que l’école refuse d’admettre !

L'entrée de l'Université Paris 8 barricadée avec des poubelles le 11 avril 2022, à Saint-Denis, au nord de Paris.
L’entrée de l’Université Paris 8 barricadée avec des poubelles le 11 avril 2022, à Saint-Denis, au nord de Paris. ©France 24

« Scrutin blanc ou vote Le Pen »

L’ami d’Esteban, Bruno (pseudonyme), veut lui aussi parler. Il saute pour terminer les phrases de son ami. Étudiant de 18 ans originaire de Paris, Bruno est issu d’une famille très sensible à la politique, a-t-il expliqué. « Mon grand-père était un membre communiste de la Résistance française et mon père était imprégné de cette culture », se vantait-il. « Je ne veux surtout pas revoir Macron au pouvoir, alors pour le second tour j’hésite entre voter blanc (essentiellement un vote contestataire) et voter Le Pen. Marine Le Pen est meilleure que Macron sur les questions sociales. » Et Macron, après tout, a mis en place des ministres qui menaient des politiques d’extrême droite », a déclaré Bruno, accusant le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin de répression radicale.

Esteban est d’accord. Il en veut au titulaire de revenir sur ses promesses environnementales. « Il y avait encore un autre rapport [by the Intergovernmental Panel on Climate Change] disant récemment que nous avions trois ans pour agir contre le changement climatique », a-t-il expliqué. Aucun des deux électeurs ne pouvait s’identifier aux positions des candidats du second tour sur les questions environnementales.

LE DÉBAT
LE DÉBAT ©France 24

« Cependant, je trouve le protectionnisme que propose Marine Le Pen plus intéressant que l’ultra-libéralisme de Macron », a déclaré Bruno. Avoir un leader du Rassemblement national d’extrême droite comme président de la France ne lui fait pas peur, a-t-il expliqué. « La politique d’immigration zéro ne marche pas, elle ne s’applique pas. C’est évident. Même Macron n’a pas réussi à aller jusqu’au bout des expulsions. Ce sera comme pour Donald Trump – saviez-vous qu’il a expulsé moins de migrants que Barack Obama? »

« Je vais devoir reprendre la plate-forme de Le Pen »

« Je n’aime pas Macron et les faveurs qu’il rend à ses potes en cachette, comme à ses amis de McKinsey », a déclaré Esteban, citant le cabinet de conseil que le gouvernement français a engagé pour ses services, non sans controverse, ajoutant encore un autre ligne à la longue liste de griefs de l’élève.

Le parquet financier français a ouvert le 31 mars une enquête préliminaire contre le cabinet de conseil américain pour possible fraude fiscale. Mais aucun étudiant ne réserve son jugement entre-temps. « Il ne laisse rien au hasard », a déclaré Esteban à propos de Macron. « C’est quelqu’un qui cherche à profiter de tout. »

Alors qu’il est certain de ne pas voter pour Macron, Esteban commence à exprimer des doutes sur le fait de voter pour Le Pen au fil de la conversation. « Je devrai de toute façon prendre la tribune de Marine Le Pen pour voir quel bulletin je mets dans l’urne », a-t-il déclaré.

Esteban est à l’aise pour parler politique avec sa mère, qui enchaîne les petits boulots dans le sud de la France. « Ma mère est comédienne. Elle a plus de 50 ans, mais elle est serveuse, aide à domicile. Elle sert les déjeuners dans les cantines scolaires pour gagner un salaire car elle avait des problèmes pour [the unemployment insurance agency] de reconnaître son statut d’intérimaire du spectacle, explique-t-il d’un air inquiet. Elle a voté pour Mélenchon et elle votera blanc au second tour.

« J’irai quand même aux urnes »

Cependant, tout le monde ne partage pas la politique de leurs parents. Lilou, dix-neuf ans, pour commencer. En attendant devant l’université son professeur de cinéma, elle a expliqué pourquoi elle avait choisi Mélenchon au premier tour, initialement pour ses propositions environnementales. « Dans ma famille, les votes étaient toujours tenus secrets. Mais je pense que mes parents ont voté pour Macron », a-t-elle déclaré, avant d’hésiter. « Quel candidat a proposé d’augmenter le minimum de retraite ? » elle a demandé. Le sujet est à l’avant-plan dans la famille de Lilou ; tout repose sur la pension de son père. « Ma mère a arrêté de travailler à 25 ans pour élever ma sœur, mon frère et moi », raconte-t-elle.

Lilou, étudiante en cinéma, sait qu'elle votera blanc au second tour.
Lilou, étudiante en cinéma, sait qu’elle votera blanc au second tour. ©France 24

Pour Lilou, un souci c’est l’argent. « Macron veut que les étudiants paient pour l’université, pour augmenter les frais d’inscription. Ce ne sera pas possible », a-t-elle déclaré. Bien que cette proposition ne figure pas clairement dans le programme de campagne de Macron, elle lui a été attribuée en janvier après des propos qu’il a tenus lors d’une conférence de présidents d’université, disant : « nous ne pourrons pas rester à long terme dans un système où l’enseignement supérieur a pas de prix pour la quasi-totalité des étudiants ». Le commentaire a déclenché de vives réactions des syndicats étudiants, après quoi le titulaire est revenu sur ses propos. « Quand on veut lutter contre l’insécurité économique des étudiants, on n’augmente pas les frais d’inscription », a-t-il déclaré plus tard dans le mois. Mais à entendre Lilou le raconter, les craintes demeurent.

Une chose est sûre : Lilou ne votera pas pour Macron. « Je vais quand même aller aux urnes. C’est important. Mais comme je n’aime aucun des candidats, je préfère ne pas participer à ce vote. Je voterai en blanc », a-t-elle expliqué.

S’accrocher aux espoirs de gauche pour le parlement

Plus d’étudiants arrivent à l’extérieur de l’université fermée. Un groupe doit assister à une conférence politique sur la prévention des inégalités, qui se déroulera à l’extérieur sur une place voisine.

Avant de rejoindre le reste du groupe, une étudiante a partagé sa déception avec un journaliste. Elle a voté pour Mélenchon et a déclaré qu’elle refusait de voter pour Macron lors du second tour du 24 avril. « Ce serait lui donner une légitimité, alors qu’il n’arrive pas à faire obstacle à la montée de l’extrême droite. Bien au contraire », a-t-elle soutenu. « Je lui en veux pour sa politique de plus en plus répressive, pour les violences policières auxquelles il n’a pas pu mettre fin, pour sa ligne méprisante contre les plus pauvres », a-t-elle déclaré.

Le joueur de 21 ans préfère ne pas participer au vote du second tour. Mais elle est anxieuse pour les élections législatives qui suivent : les électeurs français retournent aux urnes les 12 et 19 juin pour élire les députés de leur chambre basse à l’Assemblée nationale. « Je m’accroche aux législatives pour obtenir une majorité de gauche. Je n’aurai aucun soulagement avant d’être sûre qu’on pourra contrer le pouvoir du futur président », a-t-elle déclaré, avant de se tourner vers ses amis.

Cet article a été traduit de l’original en français.

Élection présidentielle française
Élection présidentielle française ©France 24

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