L’actualité de la nouvelle noire et du Médoc


30/03/2021 | Yan Lespoux: Presqu’îles- Éditions Agullo, collection Agullo court- préface d’Hervé Le Corre- 185 pages-janvier 2021-11,9 €

Yan Lespoux: Presqu'îles- Éditions Agullo, collection Agullo court- préface d'Hervé Le Corre- 185 pages-janvier 2021-11,9 €

On s’étonnerait que le Médoc n’ait pas plus retenu l’attention d’écrivains, tant sa situation géographique, l’irrédentisme réel ou supposé de ses habitants, et quelques autres caractéristiques que nous découvrons ici, méritant pu depuis longtemps attirer l ‘attention de ceux qui inventent des histoires noires. Annelise Roux par exemple fut l’une des rares exceptions à ce délaissement général. Le recueil de Yan Lespoux, une composition purement médoquine de 33 nouvelles, vient combler avec assez de bonheur ce déficit historique.

Affaire de climat général d’abord: les éléments naturels, la mer, la forêt (encore que celle de pins fut une création du Second Empire), les pratiques traditionnelles comme la chasse surtout et la recherche de champignons, les animaux familiers, le tourisme et ses nombreux et envahissants vacanciers, un habitat dispersé, des petites communautés villageoises et donc des jeunes (ou des moins jeunes) qui s’ennuient dans ce contexte général, sans compter la mise à disposition des étrangers, bref toutes ces données constitutives de l’identité de cette pointe nord de la Gironde, l’auteur sait les intégrer à merveille dans le cursus général de ses courts récits. Plus même, c’est un enchâssement et aussi un combat, car au fond, se présente de contes plutôt sombres, c’est quand même la puissance d’arrêt de ses destinées que sanctionne, favorise ou met à mal cet environnement. Et c’est l’une des premières réussites du recueil que cette fusion -tragique souvent, mais adoucie par la retenue de l’humour-, avec le décor, scandée chaque fois avec une élégance renouvelée. Il faudra aussi relever la galerie des personnages: ils ont en commun d’avoir leur territoire chevillé au corps: comme cette personne du troisième âge conjuguant, pour le pire, le secret d’un site exceptionnel de pousse et sa propre mobilité en berne (Un secret). Les Étrangers même ont l’amour de ce pays; ce n’est pas encore faute de les ostraciser et de se moquer ainsi (les Charentais et les Parisiens, et aussi les Bordelais, – ah les Bordelais, cible favorite des locaux), de leur méconnaissance du terrain: «Quand il vous a repéré, une fois sur deux, il vous demande si vous êtes du coin. Quand vous lui dites que oui, il vous demande si vous n’avez pas vu son chien, un setter irlandais, qui a certainement dû retourner à la voiture, et si, d’ailleurs, tant qu’à faire, vous ne sauriez pas comment il pourrait y retourner lui aussi, sa voiture. », de leur bêtise supposée, comme un reflet en somme de la leur propre. Et puis il y a tous ces types, ces gonzes, qui peinent à survivre de leurs petits trafics divers (Rencontres, Le mirage, Moisson). Si l’empathie de l’écrivain avec ces vies souvent fracassées est évidente, elle se conjugue souvent avec une pointe de démonstration cruelle ou ironique, distance habile avec le sujet. Car la mort rode ici souvent: noyades, coups de feu, règlements de compte. Il n’est pas jusqu’à l’histoire qui ne s’introduise comme en contrebande dans cette langue de terre qu’on croirait étanche: Une vie, nouvelle à la Daeninckx, Sécurité routière sur la question basque, «La geste héroïque des naufrageurs et détrousseurs de naufragés» de jadis rappelée dans Incendie. Et comme l’écrit avec justesse l’écrivain bordelais Hervé Le Corre dans sa préface, on trouve ici une parenté avec les noires destinées des cousins ​​d’Amérique, écrivains prestigieux. C’est dire si Yan Lespoux chevauche en bonne compagnie.

Bernard Daguerre
Par Bernard Daguerre

Crédit Photo: La Machine à Lire

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