La réponse de la France à Banksy : l’artiste de rue anonyme remplissant les nids de poule avec des mosaïques colorées | art de rue


LL’année dernière, l’atelier de l’artiste lyonnais Ememem a reçu un appel urgent d’une agence d’architecture proche de la place Sathonay. Quelqu’un était en train de démonter une mosaïque qu’il avait installée sur le trottoir devant leurs bureaux. Au moment où il est arrivé, le coupable s’était enfui avec la moitié.

Cette œuvre d’art a peut-être partiellement disparu, mais de nombreuses autres créations d’Ememem restent disséminées dans les rues de la municipalité… quelque 350 et plus. Au cours des six dernières années, il s’est fait une spécialité de remplir les divots et les nids de poule avec des mosaïques multicolores faites de carreaux de différentes tailles et de différentes teintes, disposés en motifs géométriques saisissants. Certains portent sa signature, souvent sous la forme d’une image de truelle soulignée par son nom.

Festival Nuart - Stavanger 2018 A4
« C’est une star du street art local » : dit Lisa Mambré, adjointe au maire du 9e arrondissement de Lyon Photographie : @Ememem

Ememem se fait appeler « le chirurgien de la chaussée » et « le chevalier des nids-de-poule », et qualifie ses œuvres de « flackings » – un jeu sur le mot français flaque, ce qui signifie flaque. Il a écrit que les œuvres sont « un carnet de mémoire de la ville. Il révèle ce qui s’est passé… Ici, des pavés ont été ramassés et jetés. Là, un camion du marché aux légumes a arraché un morceau d’asphalte ».

Son travail attire de plus en plus l’attention dans la ville. Un site Web local appelé HappyCurio en propose des visites à pied et son compte Instagram compte 147 000 abonnés. « C’est une star du street art local », explique Lisa Mambré, adjointe au maire du 9e arrondissement de Lyon. « Son travail est tellement remarquable. Tous ceux à qui vous demandez semblent le savoir.

Pourtant, alors que les œuvres d’Ememem peuvent être très visibles, il est, en revanche, extrêmement insaisissable. Comme son confrère street artiste Banksy, il préfère garder son anonymat. Il refuse d’être photographié et ne donne ni entretiens téléphoniques ni face à face. Les informations le concernant se limitent à une courte biographie et à un dossier de presse sur son site officiel (ememem-flacking.net). « C’est important pour moi de rester un peu mystérieux », a-t-il écrit. « Et c’est aussi parce que je ne suis pas très doué pour les interactions sociales. »

Regardant vers le bas : signature traditionnelle d'Ememem.
Regardant vers le bas : signature traditionnelle d’Ememem. Photographie : @Ememem

Afin d’en savoir un peu plus sur cet artiste mystérieux, j’ai été obligé de creuser plus profondément et de contacter un certain nombre de personnes qui ont été en contact avec lui – des élus locaux, un organisateur de festival, un galeriste et même le directeur de une salle d’exposition de carrelage. Malheureusement, la plupart n’avaient jamais eu de contact direct avec lui ou n’étaient pas disposés à révéler grand-chose sur son identité, préférant respecter son désir de discrétion.

Un homme qui peut donner un aperçu est son agent, Guillaume Abou, qui le connaît depuis une quinzaine d’années. Il en offre une description intrigante : « C’est quelqu’un qui a un grand besoin de donner et de partager », dit-il. « Il est plutôt décontracté, mais a eu une vie un peu turbulente. »

Quelqu’un d’autre qui l’a rencontré est Jeff Carpentier, le directeur de Planètes Carrelages à Amiens, dans le nord de la France, où Ememem s’est procuré des carreaux pour un flaque qu’il a créé dans le cadre d’un festival d’art local appelé IC.ON.IC. « Il est discret, mais aussi très communicatif et passionné par ce qu’il fait », dit-il.

Terracina (Italie) festival Memorie Urbane - quitte ou double 2018 credit photo @arianna barone
« C’est important pour moi de rester un peu mystérieux » : le street artiste Ememem laisse parler son travail. Photographie : @Ememem

Le dossier de presse sur le site Web d’Ememem note qu’il était auparavant un auteur-compositeur avec un groupe de rock bien connu, mais il n’y a pas d’autres indices. Il n’a aucune formation artistique formelle et a d’abord suivi les traces de son père en se lançant dans une carrière de carreleur de maison. Abou m’a dit qu’il parlait français avec un accent étranger et d’autres recherches ont déterminé qu’il était d’origine italienne. Quant au nom Ememem, ses origines restent énigmatiques et Abou se contentera de dire, un peu crypté : « Même moi, je ne sais pas vraiment. Cela pourrait provenir des premières lettres du titre du pire album de Lou Reed, Musique de machine en métal.”

L’affirmation d’Ememem selon laquelle il a inventé la forme d’art est également légèrement discutable. Si vous recherchez « flacking » sur YouTube, la première vidéo qui apparaît est celle d’un artiste basé à Chicago appelé Jim Bachor, qui remplit des nids de poule avec des mosaïques depuis 2013, mais avec des œuvres dans un style beaucoup plus figuratif. « Quelque chose de similaire existe aussi en Amérique du Sud depuis un certain temps », note Martine Blanchard, la fondatrice de la Biennale Internationale de Mosaïque Contemporaine à Auray, en Bretagne.

Ce qui est certain, c’est qu’Ememem a créé son premier « flacking » en février 2016 dans une ruelle du centre de Lyon. Ils sont vite devenus une obsession. « Pendant les premières années, il était complètement frénétique », raconte Abou. « Il en a créé au moins deux par semaine. » La légalité de sa pratique étant assez floue (il ne demande pas d’autorisation pour intervenir dans l’espace public), il travaille exclusivement de nuit. Pour plus de discrétion, il adopte parfois des déguisements ou apporte des accessoires. Abou se souvient comment Ememem s’est autrefois déguisé en plombier et aussi comment il a installé des cônes et du ruban adhésif rouge et blanc autour d’un nid-de-poule en Guadeloupe pour donner l’impression qu’il faisait un travail légitime.

« Ses créations ressemblent à des vestiges archéologiques » : Martine Blanchard.
« Ses créations ressemblent à des vestiges archéologiques » : Martine Blanchard. Photographie : @Ememem

Bien qu’Ememem ne fasse pratiquement pas d’autopromotion, sa célébrité s’étend bien au-delà des limites de Lyon. Martine Blanchard s’en est inspirée pour créer 11 flocages différents avec des groupes de locaux en marge de la Biennale d’Auray. « Ce que je trouve particulièrement intéressant, c’est la façon dont ses créations ressemblent à des vestiges archéologiques », dit-elle. Ememem lui-même a participé à un festival artistique appelé Nuart à Aberdeen et à Stavanger, en Norvège, et a installé des flaques à Madrid, Barcelone et Turin. Il a également été approché par un cabinet d’architecture chilien pour travailler sur un projet à Santiago et Valparaíso.

Il obtient également une reconnaissance officielle. Les autorités du 9e arrondissement de Lyon ont commandité six « flackings » et donné aux abonnés de leur compte Instagram des indices pour les retrouver. La prestigieuse Galerie Italienne de Paris a présenté plusieurs de ses œuvres dans une exposition intitulée Ceramics Now en 2021. Constituées de carreaux de mosaïque posés sur une base d’asphalte, elles ressemblent à des « flackings » portables et se vendent entre 10 000 et 12 000 €. « Il a un don très fort pour associer différentes couleurs », s’enthousiasme le directeur de la galerie, Alessandro Pron, qui prédit un avenir radieux à Ememem dans le monde de l’art contemporain.

Qui qu’il soit et quoi qu’apporte sa popularité croissante, une chose est sûre : Ememem continuera à sortir la nuit pour embellir les routes et les trottoirs lyonnais endommagés. Il voit ses interventions non seulement comme un service à la communauté, mais aussi comme un moyen d’enchanter le quotidien. « Le but, écrit-il, est de répandre une touche de poésie sous les semelles blasées de nos chaussures, de provoquer un moment d’émerveillement, un sourire. »

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