Halfbreed | Un texte fondateur d’une grande actualité traduit en français


Une petite fille métisse qui grandit dans une communauté chaleureuse, tissée serré, mais qui doit composer avec l’extrême pauvreté et le racisme. Puis, une jeune femme qui s’engage dans une relation abusive dans l’espoir améliore le sort des siens, mais qui se retrouve coincée dans l’alcool et la prostitution.


Marie TisonMarie Tison
La Presse

C’est une histoire tristement contemporaine. Et pourtant, elle a été écrite en 1973 par Maria Campbell. Ce récit autobiographique, intitulé Métis, est un des textes fondateurs de la littérature autochtone. Néanmoins, il n’avait jamais été traduit en français, jusqu’à ce que l’acteur et l’animateur d’origine huronne-wendate Charles Bender et l’homme de théâtre Jean Marc Dalpé se mettent à la tâche.

Les deux artistes travaillaient sur le Spectacle du Far West de Gabriel Dumont et s’étaient immergés dans l’histoire des Métis pour s’imprégner de leur culture.

«Dans le matériel qu’on avait à notre disposition pour mieux comprendre, il y avait Métis, de Maria Campbell, se rappelle Charles Bender. C’est extrêmement bien écrit, c’est prenant comme récit, c’est extrêmement touchant. Je faisais juste commencer à faire de la traduction à ce moment-là et je me suis dit que c’était un projet qui m’intéresserait. »

PHOTO BRAD GROS-LOUIS, FOURNIE PAR PRIZE DE PAROLE

L’acteur et animateur Charles Bender, qui a traduit Métis en français avec Jean Marc Dalpé

Le hasard a voulu qu’il rencontre Maria Campbell peu après lors d’un évènement à l’Université de Saskatoon.

«J’ai fait un atelier de broderie avec elle, se rappelle-t-il en riant. Nous avons jasé de théâtre, de son roman Métis, de mon désir de le traduire un jour. »

Charles Bender rapporte la conversation à Jean Marc Dalpé, qui lui confirme que Métis n’a jamais été traduit en français. C’est à ce moment que le projet commence à prendre forme.

Un angle mort

Pour Charles Bender, l’absence d’une traduction française constitue un angle mort dans la culture littéraire francophone.

Dans les universités francophones, on ne parle pas de Maria Campbell quand on parle des enjeux des Premières Nations, on n’a pas accès à ce texte-là en français pour l’enseigner ou utiliser comme texte de base.

Charles Bender, traducteur de Métis

Ou, à ses yeux, les enjeux dans le livre de Maria Campbell sont les mêmes que ceux que les autochtones vivent aujourd’hui, près de 50 ans plus tard: les mêmes obstacles systémiques, les mêmes frustrations, le même militantisme.

Il compare ce texte à Je suis une maudite Sauvagesse, d’An Antane Kapesh, publié en 1976.

«Ce sont des textes fondateurs de l’identité des Premières Nations. »

Charles Bender croit que les Québécois se sentiront interpellés par l’histoire de Maria Campbell notamment parce qu’ils ont toujours eu beaucoup d’empathie pour les Métis, descendants d’autochtones et de Canadiens français, essentiellement catholiques.

Un texte qui résonne

En traduisant le récit, Charles Bender et Jean Marc Dalpé ont pensé aux Métis francophones du Manitoba, mais aussi aux autochtones francophones du Québec.

«This traduction, je ne la fais pas que pour des lecteurs québécois, blancs, pour des universités coloniales, déclare M. Bender. Je la fais aussi pour mes frères et sœurs autochtones du Québec qui sont francophones: s’ils font l’effort pour apprendre une deuxième langue, ils le font pour apprendre leur propre langue, la langue de leur nation, pas une deuxième langue coloniale [l’anglais]. Il faut donc que ce soit disponible en français. »

À ses yeux, il serait d’ailleurs souhaitable que Métis soit aussi traduit dans des langues autochtones. «Joséphine Bacon pourrait plonger là-dedans et le traduire en innu, par exemple. »

Charles Bender raconte comment le récit a résonné chez lui, même s’il n’a pas connu ce type de pauvreté. «Je reconnais beaucoup de choses que je vois quand je me promène dans la communauté. J’ai des amis d’autres communautés qui ont vécu des parcours beaucoup plus difficiles, souvent parce qu’ils sont autochtones. »

Selon lui, le texte résonne plus que jamais.

On vient juste de passer à travers un grand rapport sur les femmes autochtones disparues et assassinées. Ces femmes ont une histoire de vie souvent très similaire à celle de Maria Campbell: le racisme systémique, la pauvreté, le déni de l’identité. Le livre est incroyablement d’actualité.

Charles Bender, traducteur de Métis

Andrina Turenne, musicienne métisse francophone du Manitoba, a joué le rôle de relectrice pour valider la traduction de Charles Bender et de Jean Marc Dalpé. Par exemple, il fallait-il traduire le terme métis, et par quoi? Métis? Bois-Brûlé? Andrina Turenne et d’autres ont suggéré de conserver Métis, un terme qui a été extrêmement dénigrant à une certaine époque, mais que les Métis veulent maintenant se réapproprier.

«C’est un peu comme An Antane Kapesh avec Je suis une maudite Sauvagesse, indique Charles Bender. C’est la même réclamation. Ce mot, je vais utiliser pour me définir. Je vous retire ce mot et je vais le transformer en un bouclier et une arme entre mes mains. »

IMAGE FOURNIE PAR PRIZE DE PAROLE

Métis, de Maria Campbell

Métis
Maria Campbell
Traduit par Charles Bender et Jean Marc Dalpé
Prise de parole
340 pages



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