Emmanuel Macron n’envisage pas de laisser la droite monopoliser le sentiment anti-immigration
BERLIN – Emmanuel Macron n’est pas encore candidat à l’élection présidentielle française d’avril. Mais dans une allocution devant les ministres européens de l’Intérieur à Tourcoing, dans le nord du pays, cette semaine, il a exposé son ambition de réformer l’espace Schengen sans frontières et, ce faisant, d’empêcher ses rivaux à sa droite de monopoliser la question controversée de l’immigration.
L’espace Schengen, qui a vu le jour en 1995 à la suite de la signature de l’accord de Schengen dix ans auparavant, est une association de 26 États européens qui ont aboli tous les contrôles aux frontières entre eux. Macron a fait de la réforme une priorité de la présidence française de l’UE, qui a débuté en janvier.
Le principe d’une Europe sans frontières, selon Macron, avait été convenu il y a près de 40 ans dans un contexte politique différent. Le terrorisme, la crise migratoire de 2015, la pandémie de coronavirus, tous avaient remis en cause la pérennité de l’espace Schengen. « Nous devons reprendre le contrôle de nos frontières et donc de notre destin », a déclaré Macron.
Il a proposé la mise en place d’un Conseil de Schengen sur le modèle de l’Eurogroupe, qui regroupe les ministres des finances des pays ayant adopté la monnaie unique. Selon Macron, le conseil soulagerait la pression sur les États membres individuels pour faire face aux crises susceptibles d’affecter l’ensemble de l’espace Schengen. En principe, cela signifierait également un rétablissement moins fréquent des contrôles temporaires aux frontières que ces dernières années, ce qui a conduit à des tensions entre les États membres. Le conseil pourrait être mis en place dès le mois prochain car sa formation ne nécessite pas de traité européen, a déclaré Macron.
Les faiblesses structurelles de l’espace Schengen ont été particulièrement évidentes ces dernières années. Les États membres situés à ses frontières extérieures ont été en grande partie responsables de la gestion des arrivées irrégulières de migrants. Lors de la crise migratoire de 2015-2016, des pays comme la Grèce se sont retrouvés submergés par les exigences administratives et logistiques liées à l’enregistrement et à l’accueil de milliers de migrants ; l’année dernière, la Pologne et les pays baltes se sont retrouvés durement touchés, confrontés à l’utilisation des migrants comme arme par le régime d’Alexandre Loukachenko en Biélorussie.
Pourtant, il n’est pas certain que la création d’un Conseil de Schengen résoudrait ces problèmes, a déclaré Pepijn Bergsen, chercheur au programme Europe du groupe de réflexion Chatham House. « Pas un seul membre de Schengen n’est en désaccord avec l’idée que l’ouverture des frontières intérieures nécessite une gestion efficace des frontières extérieures », a-t-il déclaré. « Ce sur quoi ils ne sont pas d’accord, c’est comment faire cela, en particulier comment le faire de manière humaine, et à qui incombe la responsabilité en fin de compte et donc qui doit payer pour cela. »
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En effet, bien que le discours de Macron ait été théoriquement axé sur les efforts de réforme de la gouvernance de l’espace Schengen, l’accent réel était mis sur les frontières extérieures de l’Europe. La France prône ce qu’elle appelle un contrôle efficace des frontières qui ne méconnaît pas les valeurs européennes (implicitement, la compassion et la tolérance). Pourtant, une dizaine d’Etats membres sont connus pour privilégier fortement le contrôle sur les valeurs, selon Le Monde. Et il est loin d’être clair qu’il est possible de rendre humains des contrôles rigoureux aux frontières. Tout système fondé sur la prévention de l’entrée de personnes jugées indésirables entraîne la mort de certaines d’entre elles.
La semaine dernière, 12 réfugiés ont été retrouvés morts, supposés morts de froid, à la limite de la zone Schengen, juste au-delà de la frontière grecque avec la Turquie. La Turquie a accusé la Grèce de les repousser – une accusation qu’Athènes nie fermement.
C’est un suicide politique que de reconnaître cette réalité dans presque tous les pays européens. C’est peut-être plus le cas en France, où les principaux rivaux de Macron pour la présidence, tels que Valérie Pécresse et Marine Le Pen, se positionnent à sa droite et font tous campagne sur de solides plates-formes anti-immigration. Le discours du président à Tourcoing illustre qu’il n’envisage pas de les laisser contrôler la question.