Coupe d'Afrique des Nations : une compétition encore trop peu respectée


L'édition 2024 de la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) a offert son lot de surprises avec un certain nombre de sélections, considérées comme favorites et prétendantes au titre, finalement très vite écartées. À l'occasion de la finale se tenant le 11 février prochain, Pavel Rehor et Pierre Rondeau revenirpour l'Observatoire du sport de la Fondation, sur cette compétition encore trop peu promue malgré le haut niveau sportif qu'elle offre, édition après édition, et propose des solutions pour y remédier et ainsi améliorer la visibilité de la CAN.

L'édition 2024 de la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) s'est ouverte le 13 janvier dernier en Côte d'Ivoire et la finale de la compétition s'y tiendra ce dimanche 11 février, soit près d'un mois de compétition en plein milieu de la saison européenne. S'il est incontestable que la CAN a gagné en intérêt ces dernières années, certaines réalités restent très contraignantes pour son développement et sa promotion.

Depuis 2016, la CAN est sponsorisée principalement par TotalEnergies pour un montant déclaré de 250 millions de dollars, mais elle tenue de plus en plus de marques souhaitant être associées à la compétition (onze marques présentes lors de la CAN 2015 pour dix-sept marques qui devrait être présent pour cette édition 2024). Quant aux différents chiffres d'audience, ils témoignent de l'intérêt grandissant qu'elle suscite : cette édition sera retransmise dans 180 pays (contre 157 pays pour la CAN 2021, dernière édition en date) et un objectif de visionnage par près de 800 Des millions de personnes dans le monde sont affichées par la Confédération africaine de football (CAF), soit une augmentation de près de 50% par rapport à l'édition 2021 suivie à l'époque par quelque 500 millions de personnes. Et même si l'affluence dans les stades au cours de la compétition reste assez faible pour le moment (36 858 supporters présents lors du match d'ouverture entre la Côte d'Ivoire et la Guinée-Bissau dans un stade d'une capacité d 'accueil maximal de 60 000 personnes), la compétition gagne en notoriété et en reconnaissance – en témoignent les quelque 3 000 journalistes accrédités pour cette 34e édition, un chiffre en nette augmentation par rapport aux 1 510 accréditations accordées lors de la dernière édition en 2021.

« Enfin ! », pourrait-on dire, tant le talent des joueurs africains est déterminant dans l'évolution du jeu et des bonnes performances des équipes des différents championnats européens : on peut par exemple citer le rôle déterminant d'André Onana lors de son passage à l L'Ajax Amsterdam, Édouard Mendy à Chelsea, le duo Sadio Mané-Mohamed Salah à Liverpool, Riyad Mahrez à Manchester City ou encore Achraf Hakimi au Paris-Saint-Germain. La CAN concentre ainsi beaucoup d'opportunités dignes d'en faire une compétition continentale majeure et de très haut niveau, suivies avec autant d'intérêt qu'un Euro ou qu'une Copa America. La CAN a, comme tous les autres événements, son histoire et ses épopées qui ont donné ses lettres de noblesse au football : la victoire de la Zambie lors de la CAN 2012, la qualification jusqu'en finale du Burkina Faso lors de la CAN 2013 ou encore les différents parcours de la « génération dorée » de la Côte d'Ivoire entre 2006 et 2015.

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Des contraintes qui pèsent sur les joueurs et sur les clubs

Pourtant, bien des contraintes pèsent sur la CAN. La plus évidente est bien évidemment la question du calendrier. Systématiquement programmée entre les mois de janvier et de février, la CAN se tient en plein milieu de l'ensemble des championnats et des compétitions européennes telles que la Ligue des champions ou la Ligue Europa. Cela pose un problème de disponibilité de taille, puisque le calendrier oblige les joueurs concernés à être « libérés » par leurs clubs respectifs pour disputer la CAN et manquer ainsi près d'un mois de compétition dans leurs championnats, les privés ainsi de participation et de préparation à des échéances importantes (les huitièmes de finale aller de la Ligue des champions démarrant par exemple deux jours après la finale de la CAN, les laps de temps de préparation pour des joueurs éventuellement finalistes de la compétition est ainsi très faible…). L'Euro ou la Copa America, programmés dès la fin de la saison, à partir du mois de juin, n'ont pas ce problème. La Coupe d'Asie des nations est également concernée puisqu'elle est programmée au même moment que la CAN. Mais elle n'est pas pour autant victime des mêmes « critiques » de la part des clubs européens : le contingent de joueurs asiatiques est très faible en Europe, ce qui ne perturbe donc que très peu la saison sportive du Vieux Continent.

En théorie, les joueurs sélectionnés pour une compétition officielle de la FIFA ont l'obligation de s'y présenter et les clubs n'ont pas le droit de les en empêcher, que cela ait un impact négatif sur leur effectif ou non. Les différents règlements sont très clairs aussi bien avec les clubs qu'avec les joueurs (« En principe, tout joueur enregistré auprès d'un club est tenu de répondre positivement à une convocation pour jouer pour l'une des équipes représentatives d'une association qu'il est autorisé à représenter sur la base de sa nationalité » et « Un club ayant enregistré un joueur doit mettre ce joueur à la disposition de l'association du pays pour lequel le joueur est qualifié, sur la base de sa nationalité, s 'il est convoqué par l'association en question »). Pourtant, cela n'empêche pas quelques controverses de certains clubs « incitant » leurs joueurs à privilégier leurs employeurs au détriment de leurs sélections nationales (du fait notamment de la crainte de voir revenir certains joueurs blessés ou alors d'affaiblir durablement l'effectif du club) en leur demandeur de ne pas figurer sur les listes de convocation. Lors de l'édition 2021, un nombre non négligeable de clubs n'avait ainsi pas souhaité libérer des joueurs du fait du contexte sanitaire de l'époque avec la pandémie de Covid-19, mais il ne s'agissait alors pas d'une exception. Ainsi, dès septembre 2023, le Réseau Alertes et actions témoignait des différentes pressions exercées par des clubs européens et souhaitait appeler la CAF à plus de fermeté. On se souvient également de Jürgen Klopp, entraîneur de Liverpool qui qualifiait en 2020 la CAN du « petit championnat en Afrique », ou encore du président du club de football de Naples, Aurelio De Laurentiis, qui affirmait en août 2022 : « Ne me parle plus des Africains. Je leur veux du bien mais soit ils me signent une renonciation à participer à la CAN ou sinon (…) je ne les ai jamais à disposition. Nous sommes les idiots qui payons les salaires pour les envoyer jouer pour d'autres. »

Ce souci de calendrier pose également la question logique de la visibilité de la CAN qui se retrouve ainsi « absorbée » par l'intérêt et l'engouement autour des championnats européens, ce qui pourrait être évité si la compétition était par exemple programmée lors d' une trêve internationale lui offrant ainsi une visibilité plus « exclusive ». De plus, notons que seules les chaînes du groupe BeInSports (payantes donc) diffusent actuellement des matchs de la CAN alors que des matchs de la Copa America sont par exemple diffusés gratuitement sur la chaîne L'Équipe. Il convientit, sur ce point, d'intégrer à la liste des compétitions sportives d'importance majeure diffusées gratuitement (via une obligation par décret) un minimum la finale de la CAN, parce qu'elle constitue une compétition majeure, au même titre que l'Euro ou la Coupe du monde (présentes dans la liste).

La question du climat et de la mondialisation du football

Enfin, il convient de se poser la question de la pérennité et de la viabilité des calendriers européens, basée depuis plus d'un siècle sur une question logique de la paysannerie, l'été en jachère et le reste du temps sur les champs. Les championnats s'organisent sur ce crédo sempiternel « reprise à la fin de l'été, arrêt en juin ». Celui-ci est également appliqué pour l'organisation scolaire et universitaire. Les Européens connaissent ce rythme et ne l'ont jamais bouleversé. « Le football reste avant tout un sport populaire, pratiqué et observé par les classes prolétaires. La nature a imposé son rythme et a organisé les rites, a dicté son calendrier. […] L'été, ce sont les moissons, il faut garder du monde à la ferme. On ne pouvait donc pas se consacrer au football à ce moment-là. » Or, l'accélération du dérèglement climatique posera nécessairement la question d'une remise en cause calendaire. D'ici une décennie, pourrons-nous continuer à regarder des mondiaux ou des Euros de football en juin-juillet, lorsque les températures moyennes dépassent facilement les 40°C degrés ? Viendra un moment où il faudra évidemment réfléchir à une organisation inversée, à une adaptation, avec des compétitions plus resserrées autour de l'automne, de l'hiver et du début du printemps. Aujourd'hui, le calendrier de la CAN est réfléchi parce qu'il altère l'organisation sportive européenne, mais demain ? Que dirions-nous quand il nous apparaîtra évident de jouer en février afin d'éviter les canicules estivales ?

Autre élément, la mondialisation du football. Aujourd'hui, de plus en plus de pays souhaite participer à ce concert des nations. L'Europe n'est plus le centre du monde. Des nations émergentes, comme l'Arabie saoudite, candidates à intégrer ce club. Avant eux, le Qatar, en 2022, a déjà organisé le Mondial en imposant une réorganisation du calendrier avec une compétition en hiver, en décembre, afin d'éviter des rencontres sous les chaleurs éreintantes du désert et l'usage immodéré des stades climatisés, véritables gabégies environnementales. Les dirigeants du football ne peuvent pas empêcher des nations à candidater à l'organisation et à la participation à des compétitions majeures pour de simples raisons géographiques et climatiques. Nous ne pouvons pas mettre de côté une grande partie de l'humanité parce que l'Europe a imposé, depuis plus de cent ans, son calendrier.

Le dérèglement climatique associé à la mondialisation du football obligera les dirigeants à se positionner sur un bouleversement des calendriers. Et donc, pourquoi pas, à revoir les critiques formulées à la rencontre de la Coupe d'Afrique des Nations. On pourrait peut-être parfaitement imaginer, dans les années à venir, un créneau bloqué, entre les mois de décembre et de mars, accordé à tous les deux ans aux compétitions continentales et mondiales. Cela permettra d'assurer un équilibre entre toutes les parties impliquées, de garantir un spectacle sportif colossal pour tous les fans de football et de s'adapter aux problématiques climatiques et environnementales, le défi du XXIe siècle. Nous envisageons successivement l'organisation d'un Mondial puis, deux ans après et en même temps, la Copa America, l'Euro, la Coupe d'Asie et la Coupe d'Afrique des Nations. Cela assurerait l'organisation d'une compétition majeure tous les deux ans sans contrainte ni plainte des clubs et offrirait l'occasion d'une formidable collaboration entre toutes les fédérations continentales.

Des propositions à claires apporter

Si la CAN est donc bien une compétition ayant gagné en intérêt et en attractivité ces dernières années, certaines contraintes la placent dans une position inégale vis-à-vis d'autres tournois, affectant aussi bien la compétition qui, sans ces contraintes, pourrait gagner encore plus en visibilité et en niveau mais aussi les joueurs qui se retrouvent parfois dans des situations très délicates. Si l'étendue des mesures à adopter pour y améliorer reste à penser, un simple calage du calendrier sur les championnats nationaux serait déjà très bénéfique au développement serein de la compétition. Une diffusion plus large sur un canal gratuit pourrait aussi être bénéfique, d'autant que cela a déjà été fait : la finale de la CAN opposant l'Égypte à la Côte d'Ivoire le 10 février 2006 fut retransmise en direct sur TF1 et rassembla une grande partie des téléspectateurs.

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