comment le blocage des sites d’actualité par Facebook pourrait transformer l’économie de l’information


La décision prise par Facebook affecte tout le réseau de The Conversation puisque nous sommes nés en Australie et que nous partageons le même nom de domaine. Les articles de The Conversation France sont donc bloqués et impossibles à partager sur la plate-forme de Mark Zuckerberg. Nous vous encourageons à vous abonner à notre newsletter ici afin de profiter pleinement de nos analyses.


Le «blocage du partage d’articles de presse» par Facebook en réponse aux questions de gestion des droits utilisés récemment par le gouvernement australien ne vous aura pas échappé si vous avez passé un peu de temps sur les réseaux sociaux ces derniers jours. La plate-forme a effectivement arrêté la publication des liens redirigés vers les articles de presse australiens et empêché tous les internautes résidants en Australie de publier ou de consulter les articles de presse internationaux.



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Un changement intervenu du jour au lendemain, et qui pourrait disparaître tout aussi vite si l’Australie ou Facebook décide de faire marche arrière. En revanche, si la situation perdure, Facebook pourrait finir par fonctionner comme la plaque-forme chinoise WeChat, où les informations sont régies par des sociétés de production de contenus dédiées à la plate-forme et chargé de produire des quantités énormes d’articles de piètre qualité. Ce qui, par ailleurs, pourrait très bien convenir à Facebook, sinon à ses utilisateurs.

WeChat, qu’est-ce que c’est?

WeChat est le principal réseau social en République populaire de Chine. Il est également utilisé par de nombreuses personnes à travers le monde, y compris en Australie. Si la Chine et l’Australie ont des systèmes politiques très différents, les deux pays bénéficiant de quelques similitudes.

WeChat, qui est une entreprise privée (dans le sens où on l’entend en Chine), est souvent décrit comme le Facebook chinois. Sauf qu’elle est encore plus omniprésente puisqu’elle combine ses propres outils intégrés, services de paiement et réseaux de communication à une gamme d’applications et d’utilitaires optionnels allant des jeux aux services de messagerie.



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Bref, WeChat fait tout. C’est ainsi que des agences de presse se sont installées à l’intérieur de la plaque-forme par le biais des comptes officiels WeChat (les comptes officiels WeChat ou WOA), une sorte de pendentif à la fameuse «coche bleue» sur d’autres plates-formes telles que Twitter.

Si l’embargo de Facebook sur les actualités australiennes perdure, nous pensons qu’un modèle équivalent à WeChat pourrait se développer ici. Notre étude a montré qu’il était très fréquent de voir des médias numériques en anglais copieur des fonctionnalités et des éléments d’interface de médias numériques en chinois, et réciproquement.

Certaines spécificités nées sur les réseaux sociaux américains ont ainsi été reproduites sur des applications chinoises, comme le produit «Moments» de WeChat, développé inspiré des «Stories» d’Instagram). À l’inverse, Facebook, Twitter et LinkedIn ont copié les autocollants, GIF, codes QR, commentaires et messagerie de WeChat, Weibo et Bilibili.

Comment fonctionne la production d’articles de presse sur WeChat

Une multitude de médias ont mis en place des WOA depuis leur lancement en août 2013. Ces comptes produisent des millions de publications chaque jour et, contrairement aux médias traditionnels sur Facebook, ne les accompagnent pas des liens renvoyant vers l’article hébergé ailleurs. Leur audience est entièrement basée sur WeChat et ils gagnent de l’argent en louant des espaces publicitaires au sein même des articles.

L’un des auteurs de notre étude, Fan Yang, a interrogé 24 employés australo-chinois de comptes WOA. Ces médias semblent embaucher beaucoup moins de journalistes que les médias traditionnels, voire pas du tout. WOA australiens fonctionne presque entièrement grâce à des stagiaires dont la plupart ne se qualifient pas de journalistes professionnels mais de créateurs de contenus, dont ils traduisent les informations depuis l’anglais vers le chinois et se réappropriant des sujets en y ajoutant une touche locale.



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Ils restent une grande partie des contenus existants, intègrent des titres «pièges à clic» et pratiquent l’hyperbole dans la présentation des faits. Les articles sont souvent écrits en combinant plusieurs sources d’information, ou simplement copiés dans leur totalité, et parfois traduits deux fois via un outil de traduction automatisé pour éviter de reproduire les phrases mot à mot.

De la marginalité au grand public

Si les services de presse spécifiques à la plate-forme Facebook suivent le modèle WeChat, il suffirait d’une poignée d’employés pour faire tourner la machine. Ils seraient multi-casquettes et cumuleraient plusieurs postes tels que journalistes, rédacteurs, marketeurs, créateurs de contenu et traducteurs.

Et, car ces emplois n’exigent qu’une expérience professionnelle sommaire dans un domaine spécifique (politique, art de vivre, sports ou nature et environnement), il suffirait de les sous-traiter dans des régions où le coût de la main-d ‘œuvre est moins élevé.

Face à la diminution du lectorat et des revenus publicitaires dans les médias traditionnels, les usines à contenus et l’externalisation de la rédaction d’articles sont déjà utilisées pour produire des articles en grande quantité, rapidement et à faible coût. De nombreux groupes dirigés par des anti-vaccins, «platistes» ou suprémacistes blancs, fonctionnent de cette manière sur Facebook. Et, en l’absence d’informations plus traditionnelles, rien n’empêche ce modèle de s’étendre.

Contrôle de l’information

Lorsqu’on aborde la question des relations entre la Chine et l’Australie, on pense souvent aux discordes qui existent entre les deux pays, en particulier à la censure par la Chine de l’internet «étranger» depuis 2009 et aux tensions diplomatiques et commerciales actuelles. Cependant, l’un et l’autre ont connu des changements similaires quant au contrôle de l’information sur leurs principales plates-formes, et enregistrent des niveaux élevés de concentration des médias.

Reste à savoir si la décision de Facebook entraîne une augmentation du nombre de sociétés de production de contenus dédiées à la publication d’articles similaires à ceux que publie la plate-forme WeChat, ou une visibilité augmente des sociétés établies. Cela dépend de la solution que les médias indépendants et les start-up du secteur trouventont pour se développer. Selon nous, le modèle WeChat pourrait réussir à certains.

Il faut néanmoins retenir deux points essentiels au vu de la situation actuelle. Le premier est que si la réglementation des réseaux sociaux est possible, la classe politique fait preuve d’un manque de volonté certain si elle n’est pas poussée par les groupes de presse. On le voit dans les accords que Google a récemment conclu avec plusieurs médias.

Les publications des sites d’informations australiens sur les pages Facebook ont ​​disparu du jour au lendemain.
Lukas Koch / AAP

En outre, seuls Google et Facebook ont ​​fait l’objet jusqu’à présent d’accords de gestion des droits. En ira-t-il de même avec Reddit, Discord, TikTok, WeChat, Twitter, MySpace, Ello, ou les plates-formes d’information qui redirigent l’internaute vers d’autres sites? Cela reste à voir.

Le deuxième point, c’est que Facebook défendra son droit à définir ses propres conditions et se battra pour empêcher les États ou ses concurrents de définir le mode de fonctionnement de ses services ou sa manière de contrôler ses contenus. Bien que le réseau social refuse de considérer les groupes de presse comme des concurrents officiels (car cela impliquerait probablement divers mécanismes nationaux de surveillance du contenu journalistique), il se dispute avec eux audience et publicité.

En effet, tout ce qui pourrait attirer les internautes vers des publicités placées au sein d’articles de presse produits par des équipes éditoriales indépendantes serait bénéfique pour la plaque-forme.


Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord

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