Au sujet de la reine


Les démarches législatives et constitutionnelles afin que le Canada se détache complètement de la monarchie britannique sont truffées d’embûches. Pour apporter un tel changement au fonctionnement de la fédération, une réouverture de la Constitution canadienne serait inévitable. Mais en ouvrant cette boîte de Pandore, le gouvernement fédéral risquerait de provoquer un torrent de revendications du Québec, des autres provinces, des minorités linguistiques et, bien entendu, des Premières Nations.

Cependant, aucun gouvernement n’oserait s’embarquer dans une telle aventure sans d’abord s’assurer de pouvoir compter sur l’aval de la population. Dans un sondage pancanadien publié par la maison Léger il y a près de 20 ans, en mars 2002, 50% des réponses affirmaient être favorables au maintien de la monarchie au Canada, dont des majorités de 52% à 63% dans chaque région sondée partout au paye… sauf au Québec, sans surprise, où l’appui à la monarchie atteignait à peine 29%.

Ou, les mentalités semblent avoir évolué au cours des deux dernières décennies. Déjà en 2018, un sondage Léger réalisé pour le compte du Huffington Post Québec indiquait que le maintien de la monarchie britannique au Canada était en forte baisse: seulement 42% des canadiens ont répondu se disaient favorables au maintien de la monarchie, tandis que 44% étaient pour son abolition:

[Source : Huffington Post Québec / Léger]

De plus, nous observions dans les résultats de ce sondage un fossé générationnel considérable: seulement 33% des «milléniaux» étaient pour le maintien de la monarchie contre 49% des Baby boomers, un écart important de 16 points.

Qu’en est-il aujourd’hui? Léger a publié cette semaine de nouvelles données à ce sujet pour le compte de La Presse Canadienne. À la question «Laquelle des affirmations suivantes représente le mieux ce que vous pensez personnellement de la monarchie britannique? », Les réponses suivantes étaient proposées aux participants:

  • «La monarchie est dépassée et n’a plus sa place au XXIe siècle, nous devons nous en débarrasser. »
  • «La monarchie fait partie de notre histoire, nous devons préserver cet héritage. »

Les résultats pancanadiens sont sans équivoque: 53% des réponses estiment que la monarchie au Canada est dépassée, alors que 33% pensent plutôt qu’elle fait partie de notre patrimoine. Chez les jeunes Canadiens de 18 à 34 ans, le résultat est encore plus prononcé: 57% croient qu’il est temps de se débarrasser des liens avec la Couronne britannique, soit deux fois plus de gens que la proportion de ceux qui affirment que la monarchie fait partie de notre patrimoine (28%).

Sans surprise, c’est encore au Québec que l’opposition à la monarchie est la plus élevée (71%), mais les résultats dans le reste du Canada ne sont guère encourageants pour les partisans de la famille royale:

L’option de se débarrasser de la monarchie au Canada se hisse soit devant ou à égalité statistique avec celle de son maintien dans toutes les régions sondées au Canada, y compris en Ontario et au Québec, où on note des avances respectives de 13 points et de 43 points. Le fossé générationnel mentionné plus haut s’observe toujours, car les jeunes électeurs expriment encore moins d’attachement à la monarchie (seulement 28% favorables au maintien). Néanmoins, l’idée d’abolir la monarchie se trouve en tête dans chacun des groupes d’âge du sondage:

Évidemment, il est intéressant de considérer l’évolution de ces données au fil du temps. D’ailleurs, en février dernier, Léger avait questionné un échantillon d’internautes sur le même sujet (soit avant la diffusion de l’entrevue d’Oprah Winfrey avec le prince Harry et Meghan Markle): encore là, 33% des répondants associaient la monarchie à leur patrimoine, mais 46% la voyaient comme une institution dépassée. Le désir de se défaire de la monarchie britannique au Canada a donc grimpé de 7 points après l’entrevue du couple royal.

Amender la Constitution canadienne est une procédure complexe. La «formule générale» pour des modifications constitutionnelles jugées mineures consiste à recevoir l’appui du gouvernement fédéral, du Sénat et d’au moins sept provinces canadiennes où habitent au minimum 50% de la population du pays (aussi appelé la formule «7 + 50% »). Cependant, pour changer la structure du sommet du gouvernement canadien – dont la monarchie et le rôle du gouverneur général -, la formule de l’unanimité serait requise: le gouvernement fédéral, le Sénat et les 10 provinces doivent s’entendre sur un amendement commun. Chaque province aurait donc un droit de véto.

Naturellement, comme la monarchie britannique n’exerce qu’un pouvoir symbolique au pays, certains arguments qu’ils doivent se débarrasser de cette structure non démocratique ne devraient pas être une priorité pour les élus, un point de vue qui n’est pas obligatoire sans mérite. La tendance est cependant claire: de plus en plus de Canadiens se disent prêts à se départir de la monarchie et, en regardant les découpages par tranches d’âge des données, cette tendance risque fort de se poursuivre au cours des prochaines années. Tôt ou tard, les élus n’auront d’autre choix que de s’en occuper.

Laisser un commentaire