Abus dans le sport: le Canada aura un mécanisme indépendant


De nombreuses histoires d’abus dans le monde du sport ont fait la manchette au cours des dernières années.

Les plus récentes allégations concernent Natation Artistique Canada et Rugby Canada, mais on pourrait en ajouter bien d’autres.

Le climat toxique au sein de Lutte Canada, les agressions sexuelles au hockey mineur, dont celles commises par Graham James, la condamnation de l’ex-entraîneur de ski Bertrand Charest, les procès qui se sont terminés sans condamnations à cause de failles dans les enquêtes pour les entraîneurs de gymnastique Michel Arsenault et David Brubaker, la liste est longue.

Bien que ces cas soient tous différents et ne concernent pas toujours le même type d’abus, les voix devenues de plus en plus de nombreuses pour le fait que les fédérations sportives doivent enquêter sur elle-même.

Depuis 2019, elles ont l’obligation de nommer un agent indépendant pour recevoir les plaintes, mais lorsqu’elles ont le rapport d’enquête en main, elles décident si elles appliquent des sanctions ou non.

Ce nouveau mécanisme indépendant aura pour mandat de recevoir et de traiter les plaintes concernant les fédérations sportives nationales, un peu comme le fait l’officier indépendant des plaintes au Québec depuis le 1er février dernier.

Le directeur général de Sport’Aide, Sylvain Croteau, n’a pas participé à la création du nouvel organisme fédéral, mais il a sa petite idée sur ce qui va en faire le succès ou non.

Le mécanisme doit être indépendant, mais totalement indépendant, souligne-t-il. C’est vraiment extrêmement important que les victimes ont la certitude que l’endroit, le guichet, la personne ou les gens auprès desquels elle va faire partie de sa situation font preuve d’une indépendance complète et totale.

Le fédéral ne tient pas à être le seul bailleur de fonds de ce nouveau mécanisme et évoque la possibilité d’un partenariat public-privé ou de faire payer certains services offerts. À savoir si un organisme peut être totalement indépendant en étant financé en partie par le privé, Sylvain Croteau croit que c’est possible, mais qu’il faut être prudent avec le choix du partenaire.

Et si les fonds ont des liens trop importants avec le milieu sportif canadien, l’indépendance peut en prendre pour son rhume.

Dans la foulée de plusieurs scandales, dont celui du Dr Larry Nassar, les Américains ont créé en 2017 l’US Center for SafeSport, financé entièrement par le Comité olympique américain. Sa principale critique est qu’il n’est qu’une marionnette du comité en question. On lui reproche aussi d’être sous-financé avec comme conséquence que les dossiers s’accumulent.

Les Pays-Bas ont aussi eu l’idée de mettre leur Centre for Safe Sports sous la gouverne de leur comité olympique, avec le même résultat.

Ça va prendre un processus qui est clair pour les victimes, indique M. Croteau. Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté, il faut que ce soit accessible pour les victimes, il ne faut pas qu’il y ait de doutes ni de craintes à dénoncer une situation.

Le pouvoir de sanctionner

Le point le plus important est probablement le pouvoir de sanction que détiendra l’organisme qui récupère la mission, comme le souligne Sylvain Croteau.

Il faut qu’il ait un levier sur les organisations sportives, affirme le DG. Est-ce qu’il faut aller jusqu’à une obligation rattachée au financement? Mais il faut absolument un levier sur les organisations pour qu’elles soient au rendez-vous et qu’elles collaborent.

Il semble que ce sera le cas. Le fédéral souhaite que son mécanisme puisse déterminer, recommander et contrôler la mise en œuvre de sanctions équitables et définir pour les comportements à l’origine d’une violation du Code de conduite universel pour prévenir et contrer la maltraitance dans le sport (CCUMS).

Depuis le 1er avril dernier, le financement que le fédéral offre aux fédérations sportives est lié au respect de ce code de conduite qui a été créé en 2019. La nouvelle entité indépendante en deviendra en quelque sorte le chien de garde et devra s’occuper de ses mises à jour.

Cet organisme indépendant devra également fournir du soutien aux victimes, offrir de la médiation et un processus d’appel des décisions. Un volet sensibilisation et éducation fait partie du mandat. Il faut bien sûr que les victimes soient à l’aise de porter plainte, mais encore faut-il qu’ils reconnaissent qu’elles vivent de l’abus.

L’un des défis les plus importants dans les environnements sportifs, c’est de débanaliser et de « dénormaliser » les comportements. Trop de gens en viennent à accepter des choses, parce que des coéquipiers le font ou que ç’a toujours été comme ça.

Une citation de:Sylvain Croteau, directeur général de Sport’Aide

Le directeur général affirme d’ailleurs qu’il est facile de présenter les entraîneurs comme les loups dans la bergerie.

Ils ne sont pas seuls dans la communauté sportive, ils ne décident pas de s’embaucher, ce ne sont pas eux qui font en sorte que l’on tourne les yeux sur leurs comportements, c’est un ensemble de circonstances.

Harmoniser les pratiques

Le mécanisme indépendant va s’adresser aux fédérations nationales, mais n’exclut pas d’offrir ses services à des organisations sportives provinciales ou même communautaires si le besoin se fait sentir.

À l’heure actuelle, les ressources disponibles varient beaucoup d’une province à l’autre.

Je ne ferai pas de grandes révélations, affirme le DG de Sport’Aide. Il y a un manque d’harmonisation actuellement et je ne suis pas le premier à le dire. On est plusieurs à s’entendre pour dire qu’il faudrait harmoniser davantage nos pratiques et la volonté est là.

Plusieurs personnes du milieu réclament la création d’une liste des entraîneurs, bénévoles ou athlètes sanctionnés. Cette initiative éviterait qu’un individu banni d’un club au Québec puisse aller sévir dans une autre province, par exemple.

Il serait plutôt étonnant que le fédéral mette sur pied une base de données du genre pour des raisons légales. Sport’Aide a déjà fait des représentations en ce sens auprès des fonctionnaires et s’est heurté à un mur. Le directeur général affirme avoir récemment changé de tactique.

Au lieu d’un registre des « pas fins », on s’est dit pourquoi ne pas avoir un registre des entraîneurs aux bonnes pratiques. Ils ont une obligation chaque année de dire dans quels clubs ils ont travaillé, quelles formations ils ont suivies, s’ils ont la reconnaissance du président ou du responsable du club, etc.

L’annonce officielle dévoilant les détails de ce nouveau mécanisme indépendant devrait avoir lieu dans quelques semaines. Il n’est pas exagéré d’affirmer que le milieu sportif a beaucoup d’attentes.

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