Transformer le gaz des navires en engrais, le pari fou de Daphne Technology


Leur bureau est situé à côté d’un magasin de pianos et sous une crèche. Un hangar de 300 m2 muni de tables hautes, d’ordinateurs et d’un quatre à micro-ondes posées à même le sol. La pièce maîtresse se trouve dans une pièce: un bricolage miniaturisé de ce qui pourrait changer la face d’une industrie maritime particulièrement polluante. Sa formule magique transforme les émissions nocives d’oxyde de soufre (SOx) et d’azote (NOx) en quelque chose d’utile: de l’engrais.

Concoctée par un docteur en physique du CERN, Mario Michan, elle tombe à pic: Organisation maritime internationale (OMI), une institution onusienne, oblige depuis le mois de janvier les détenteurs de vraquiers, cargos ou autres tankers à limiter à moins de 0,5% la teneur en soufre de leurs émissions polluantes. Pour se plier à la nouvelle règle, les armateurs équipent leurs navires de filtres ou changent de carburant, des solutions onéreuses qui ne font pas l’unanimité. Le marché cherche une solution plus efficace.

«Grand test en fin d’année»

Dans le hangar, plusieurs bonbonnes sont utilisées le long d’un mur, remplies de ces gaz néfastes que recrachent les moteurs des navires, sept gaz dont de l’oxyde de soufre (SOx) et de l’oxyde d’azote (NOx) . Mélangés avec de la vapeur d’eau et chauffés à 200 degrés, ils sont acheminés dans un tuyau vers une chambre de réaction. L’instrument en aluminium mesure un petit mètre et renferme un champ d’électrons qui produit une lumière violette. C’est dans ce boîtier que la quasi-totalité des émissions polluantes sont transformées en sulfate d’ammonium, un engrais régulièrement utilisé dans l’agriculture.

En 2017, dans son laboratoire, Mario Michan estime avoir créé quelque chose de grand. Il prend contact avec Björn Asplind, un consultant à Göteborg spécialisé dans l’industrie du expédition au carnet d’adresses garni, pour lui en parler.

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«Je ne connaissais pas grand-chose en physique et en chimie, mais j’ai vite compris que c’était un gros truc», se souvient Björn Asplind, qui nous a reçus mercredi. Ils ont continué ensemble quelques mois plus tard Daphne Technology dans un local de l’EPFL avant de déménager à Saint-Sulpice (VD), dans le hangar, et d’ouvrir une antenne en Suède.

Les choses vont ensuite très vite. «On est arrivé en même temps que la directive de l’OMI, presque trop tard, on a engagé un cours contre la montre pour mettre notre solution sur le marché», confie le cofondateur suédois.

Un prototype grandeur nature de la machine doit être construit en Suède pour procéder à des essais sur un bateau à la fin de l’année. «Ce sera notre grand test, celui qui déterminera à quel point notre technologie fonctionne», anticipe Björn Asplind. Conçu pour un navire de type Panamax (environ 300 mètres de long), le prototype fera 6 mètres de long. Connecté au tuyau d’échappement, il sera muni d’un filtre qui retiendra la suie et les particules, les seuls déchets contre les Daphne Technology ne peut rien faire, avant que les SOx et NOx ne passent dans le champ d’électrons violet et ne soient transformés en fertilisants.

Concurrence au taquet

Les légumes cultivés avec cet engrais pourraient-ils être labellisés bios? «Je ne sais pas, mais ils seront sains et je les mangerai sans hésiter», souligne Björn Asplind.

La jeune pousse à récolté plus de 8 millions de francs, auprès de la Saudi Aramco Energy Ventures, la filiale de capital-risque du géant pétrolier saoudien, mais aussi de fonds suisses et européens. Le groupe emploie désormais une dizaine de personnes, un chiffre appelé à croître, sinon à doubler d’ici à la fin de l’année.

Daphné Technology doit vérifier plus se presser que la concurrence se dessine. Andritz Group, un poids lourd autrichien, et la société allemande Ionada travaille sur des procédés similaires, avec un coup d’avance car des tests sont en cours sur des bateaux.

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«La solution de Daphne est prometteuse aussi parce qu’elle serait plus facile à installer que les épurateurs actuels [des filtres] et qu’elle consomme moins d’énergie », estime Lieven Van Eetvelde. Le gestionnaire technique chez CMB, un armateur belge, relève un autre avantage: contrairement aux épurateurs prisés du moment, elle fonctionne sans eau de mer ni bicarbonate de sodium. Ce composé chimique permet aux filtres actuels de réduire les taux de soufre mais il est coûteux et il prend de la place. Le groupe vaudois serait, enfin, le seul à éliminer aussi bien le SOx que le NOx, sans verser une seule goutte contaminée dans les océans.

«Les armateurs qui ont opté pour un carburant moins riche en soufre étaient actuellement 250 dollars de plus par tonne, indique Björn Asplind. Sachant qu’un navire consomme vite 10 000 tonnes par an, ça fait 2,5 millions de dollars en plus par an. » Si le groupe vaudois fait ses preuves, l’industrie sera tentée de revenir à des carburants de moins bonne qualité mais dont les effets nocifs seraient en partie annihilés, anticipe le Suédois. Le marché est colossal: la marine marchande recense plus de 50 000 bateaux qui voient 90% du commerce mondial et émettent autant de CO2 qu’un pays comme l’Allemagne.

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