Théâtre. L’étrange actualité du Horla de Maupassant


« J’ai un peu de fièvre depuis quelques jours » constate, aux premiers instants de cette pièce adaptée de la nouvelle de Guy de Maupassant, le narrateur du « Horla ». D’où vient ce mal ? L’homme s’interroge : « On dirait que l’air, l’air invisible est plein d’inconnaissables puissances, dont nous subissons les voisinages mystérieux. (…) Comme il est profond, ce mystère de l’invisible ! Nous ne le pouvons sonder avec nos sens misérables, avec nos yeux qui ne savent apercevoir ni le trop petit, ni le trop grand, ni le trop près, ni le trop loin ni les habitants d’une étoile, ni les habitants d’une goutte d’eau…  » Est-il ici question d’un virus ? Impossible de ne pas y penser, en cet an 2 de la pandémie de Covid-19. Et c’est avec un à-propos admirable que le metteur en scène Frédéric Gray donne aux spectateurs de 2021 la possibilité de confronter leur peur de l’invisible à celle que décrivait Maupassant dans « Le Horla ».

Le temps du « Horla », celui de bouleversements médicaux et scientifiques

Voilà un texte dont la date de publication de 1886, c’est-à-dire un après la première vaccination contre la rage du jeune Joseph Meister grâce aux travaux de Louis Pasteur. Epoque de bouleversements médicaux et scientifiques dont « le Horla » donne un singulier écho : « Je suis malade, décidément !, reprend le narrateur. Je me porte si bien le mois dernier ! J’ai la fièvre, une fièvre atroce, ou plutôt un énervement fiévreux, qui rend mon âme aussi souffrante que mon corps ! J’ai sans cesse cette sensation affreuse d’un danger menaçant, cette appréhension d’un malheur qui vient ou de la mort qui approche, ce pressentiment qui est sans doute l’atteinte d’un mal encore inconnu, germant dans le sang et dans la chaise ». La maladie qui rode ne vise pas seulement les corps, là aussi nous ne le savons que trop bien : le mental aussi est touché, et nos temps anxiogènes résonnent étrangement dans le mal-être du héros de Maupassant.


Ci-dessus, la bande-annonce du spectacle.

Le narrateur est progressivement en proie à d’effrayantes hallucinations. Il devient obsédé par une mystérieuse présence, celle d’un être invisible qui « boit sa vie ». Dans ce rôle, Guillaume Blanchard offre une composition saisissante, qui passe par toutes les nuances de la psychologie de cet infortuné personnage. L’inquiétude, la peur, l’exaltation… La folie ? « Ce texte a la particularité d’être la première oeuvre de fiction à présenter l’évolution d’un trouble mental à traverser les pensées de celui qui le vit », commenter auprès de Sciences et Avenir Frédéric Gray. Le héros du Horla glisse-t-il dans l’aliénation ? C’est évidemment la lecture classique de la nouvelle de Maupassant. Mais l’option purement surnaturelle, voire de science-fiction, est également servie par la mise en scène de la pièce : l’homme invisible est peut-être le représentant d’une race extraterrestre débarquée sur la Terre en conquérante, digne de celles que Howard Phillips Lovecraft imaginera quelques décennies plus tard dans ses nouvelles.

De quel virus, ou variant, le Horla est-il le nom ?

Guillaume Blanchard et Olivier Troyon dans Le Horla, d’après Maupassant. Crédit A la folie théâtre.

Quoiqu’invisible, la présence du Horla nécessitait l’intervention d’un second comédien. C’est Olivier Troyon, lui aussi excellent : ses apparitions distillent l’angoisse et incarnent le mal qui ronge le narrateur. Elles sont servies par des effets de lumière et une utilisation des sons qui sont les derniers, mais irremplaçables, ingrédients d’une très belle réussite scénique. La pièce montée à « A La Folie Théâtre » mérite de rencontrer le succès, tant elle montre la richesse interprétative du texte de Maupassant. On aura compris que notre préférée se résume en une question : de quel virus – ou variant – le Horla est-il le nom ?

« A La Folie Théâtre » (6 rue de la Folie Méricourt, 75011 Paris) du 11 novembre 2021 au 30 janvier 2022. Tous les jeudis à 19h30, les samedis à 18h et les dimanches à 16h30. Une exceptionnelle exceptionnelle le 31 décembre à 18h.

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