TÉMOIGNAGES. Le kayak, ce sport où la mort rôde. sport


«Ce jour-là, j’ai eu peur de mourir… Et j’aurais vraiment pu mourir. » En mars 2018, Noémie *, alors âgée de 18 ans, pratique le kayak depuis deux ans dans un club des Côtes-d’Armor. En naviguant sur une rivière du Finistère, elle se retourne dans un rapide un peu difficile et reste de longues secondes la tête sous l’eau. «J’avais froid, mon cœur battait très fort, raconte l’étudiante bretonne. J’ai perdu toute notion du temps, ça m’a paru une éternité ». Un encadrant finira par la secourir, saine et sauve.

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Le souvenir de cette mésaventure jalonne depuis ses sorties en kayak, l’incitant à se méfier des éléments naturels. «J’aime vaincre ma peur mais je n’oublie jamais qu’une rivière est pleine de dangers», abonde-t-elle.

L’histoire de Noémie n’est pas isolée. Erwan * a 23 ans lorsqu’il s’embarque sur «sa» rivière, juste à côté de chez lui. Il part en solitaire, ce qui est encore déconseillé, sur un parcours «Plutôt simple», qu’il a fait «Des centaines de fois».

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Mais le niveau d’eau est anormalement élevé et Erwan reste bloqué dans un rappel (violent mouvement d’eau faisant penser à un tambour de machine à laver). «J’étais bien équipé et dans une forme olympique. Avec beaucoup de chance, j’ai réussi à m’en sortir, se souvient-il. Après ça, j’ai arrêté ma pratique en rivière pendant une dizaine d’années… »

«Le risque zéro n’existe pas»

En kayak, les dangers sont multiples: les rapides, rappels, rochers, branchages, barrages ou encore la météo sont autant de facteurs à appréhender pour éviter les risques de coincement, de noyade ou d’hypothermie. Christophe Lebranchu, président de la commission d’enseignement du Comité régional Bretagne de canoë-kayak, rappelle que «Le risque zéro n’existe pas» même si «Tout le monde l’accepte». «Analyser les accidents afin d’améliorer la formation et les techniques de secours. Ils sont rares mais on cherche en permanence à en réduire le nombre », explique-t-il en évoquant furtivement la mort de trois kayakistes pratiques, le 12 janvier 2020, lors d’une sortie en Baie de Somme, victimes d’une dégradation soudaine des conditions.

photo pour limiter les risques il est vivement conseillé de pratiquer le kayak en groupe.  ici, les jeunes du pôle france kayak sur un bras de la vilaine.  © ouest-france

Pour limiter les risques il est vivement conseillé de pratiquer le kayak en groupe. Ici, les jeunes du Pôle France kayak sur un bras de la Vilaine. © Ouest-France

Selon une étude de Santé Publique France, 13 personnes ont perdu la vie entre 2017 et 2018 en faisant du kayak ou une discipline associée. Un chiffre relativement faible au regard du nombre de pratiquants (plus de 50 000 en France, sans compter les centaines de milliers de licenciés temporaires et pratiquants hors club) qui entretient le flou sur la dangerosité réelle de la discipline.

De nombreux kayakistes ont tendance à tempérer les risques entourant leur passion. Au point, pour certains, de lancer des propositions ubuesques vus de l’extérieur: un pagayeur interrogé qualifie par exemple des accidents qu’il a connus de «Peu graves» tout en admettant qu’ils «Aurait pu coûter la vie à quelques copains».

Le collectif pour limiter les dangers

Ce paradoxe n’est pas sans explication. Sans être totalement exclu, le danger est élargi minoré par le respect des règles de sécurité. Parmi elles: vérifier l’état du matériel utilisé, avoir un téléphone pour pouvoir appeler les secours, débarquer sur la berge pour préparer un passage difficile ou encore prévoir des cordes pour aider un kayakiste en mauvaise posture.

«La sécurité est à la fois passive et active, décrypte Christophe Lebranchu. Passive grâce à des mesures d’anticipation, comme le port du gilet, et active grâce à l’apprentissage de techniques de secours pour que, même en cas d’incident, celui-ci reste sans conséquence. » La limite est parfois très bien.

L’accident de Noémie, par exemple, fait partie des cas qui ont pu dégénérer mais qui se sont bien terminés, grâce à l’intervention de ses encadrants. L’importance du collectif. «Les difficultés apparaissent lorsque les usagers font preuve d’un comportement interdit», relève Théo *, formateur dans son club d’Ille-et-Vilaine, pointant «La mauvaise utilisation du matériel, la recherche de la photo ou la méconnaissance du parcours choisi. »

80% des accidents touchent des kayakistes occasionnels

«Statistiquement, les accidents touchent à 80% les zones les plus faciles et surtout les kayakistes occasionnels», complète Christophe Lebranchu. Sans vouloir ôter «La liberté» des pratiquants, ce dernier insiste sur l’importance d’emprunter des cours d’eau «De son niveau» aux côtés de «Pagayeurs de confiance».

Sport individuel, le kayak revêt une dimension collective essentielle à la sécurité. «Une des forces du groupe est de rejeter l’exploit solitaire, note Antoine Marsac, enseignant-chercheur à l’Université Paris-Est et auteur de travaux sur les sports d’eaux vives. Le passage d’un rapide repose sur un dispositif discuté collectivement en amont où on respecte les décisions du groupe et les peurs de chacun, tout en restant prêt à intervenir en cas de danger. »

Pour Antoine Marsac, l’apprentissage de la sécurité est même constitutif d’un «Habitus national», là où certains clubs étrangers, notamment en Allemagne, «Veulent parfois tout franchir, au péril de la vie des kayakistes, quitte à avoir un mort par an. »

* Les prénoms ont été organisés



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