TÉMOIGNAGE. Mélina Robert-Michon, maman et athlète: «Avoir un enfant, ce n’est pas une


Son palmarès force le respect, son parcours encore davantage. À 41 ans, la lanceuse de disque Mélina Robert-Michon, vice-championne olympique en titre et trente-trois fois championne de France (en comptant les compétitions hivernales) postule à un podium aux Jeux de Tokyo. Maman de deux petites filles (de dix et deux ans et demi), elle raconte son parcours, la force que lui ont donné ses grossesses et ses enfants, les obstacles sur la route d’une sportive, aussi.

Mélina, comment arriver-t-on, dans une carrière aussi longue que la vôtre, à trouver les ressources pour faire face à une situation comme une année 2020 complètement chamboulée avec les Jeux reportés, et se remettre en mode compétition?

Je pense que j’ai de la chance, parce que mon expérience, pour le coup, me sert. Je n’avais jamais vécu un truc pareil, c’est sûr, mais j’ai vécu des événements reportés, des grossesses, donc des coupures qui ont été plus ou moins longues. Je pense que tout ça, ça m’a servi. Je me suis dit, pour un jeune athlète qui n’a pas encore toute cette expérience-là, ça peut être très violent, parce qu’on n’est pas encore armé à ce moment-là pour affronter tout ça. Pareil, le confinement, je l’ai bien vécu, parce que j’étais avec mon mari, mes deux filles, ça a été l’occasion d’avoir du temps ensemble, on a la chance d’avoir un petit extérieur… J ‘imagine des gens qui ont l’habitude de s’entraîner six, sept heures par jour, qui se sont retrouvés tout seuls dans un petit appartement. Je pense que c’est important que ces athlètes soient accompagnés pour digérer tout ça, parce que ça peut faire très mal.

«Je ne voulais pas que ma fille se sente responsable de mon arrêt de carrière»

Vous évoquez vos grossesses. Comment avez-vous fait, à chaque fois, pour revenir au plus haut niveau, physiquement et mentalement?

Déjà, c’était un cheminement que j’avais fait. J’estimais que c’était le bon moment, et j’avais la chance d’avoir un encadrement autour de moi qui m’a accompagné dans cette démarche. C’est un gros plus, que ce soit au niveau de mes entraîneurs, de la fédération, du DTN. J’ai eu la chance d’avoir une oreille plutôt attentive à tout ça, qui me disait que ce n’était pas un problème. Ce n’est déjà pas facile, donc si en plus vos appuis habituels vous lâchent, c’est compliqué. On s’est adapté. Je pense qu’en plus c’était à chaque fois le bon moment pour moi. C’était à un moment où nerveusement, j’avais besoin de cette coupure, ça m’a permis de faire le point, de voir si ça me plaisait, si ça me manquait. Parfois, on perd un peu le fil de pourquoi on fait tout ça. Là, c’était l’occasion de prendre un petit peu de recul, et de me rendre compte que ça me manquait, que j’avais encore envie de vivre tout ça, et de faire les efforts qui vont avec.

Avoir des enfants, c’est une force supplémentaire en tant qu’athlète?

Clairement, oui. Déjà, ça change la vision de la vie en général, donc forcément, on relativise beaucoup de choses. Quand on est sportif, on a tendance à être un petit peu égocentré. Là, on voit les choses un peu différemment. Et puis j’avais vraiment cette motivation de réussir, parce que je ne voulais pas que ma fille se sente responsable de mon arrêt de carrière, ou de ma non-réussite derrière. Je ne voulais vraiment pas qu’elle ait ce sentiment de culpabilité, même si elle ne l’aurait peut-être jamais eu.

«La grossesse, c’était un sujet très, très tabou»

Avez-vous conscience qu’en réussissant à glaner des médailles après vos grossesses, vous avez pu inspirer des sportives?

Je n’en avais pas forcément conscience, mais depuis, j’ai eu beaucoup, beaucoup de retours dans ce sens-là, et je suis contente, parce que c’est quelque chose dont on parle assez peu. Ma fille a dix ans maintenant, et il y a dix ans, c’était un sujet très, très tabou. Le meilleur moyen de faire évoluer les choses, c’est de montrer que ça marche, et que c’est possible. Après, c’est ce que je dis: je ne veux pas que toutes les femmes sportives ont eu des enfants durant leur carrière. Je veux juste que celles qui en ont envie de pouvoir le faire. Qu’elles ne le vivent pas mal. Parce que de toute façon, une femme qui n’est pas bien dans sa tête, dans sa vie personnelle, elle ne peut pas être bien dans sa vie sportive. C’est une question d’équilibre.

Après votre deuxième grossesse, votre contrat avec votre équipementier, Nike, n’avait pas été renouvelé. Cela s’est arrangé par la suite. Pensez-vous que ce genre de situation freine les athlètes qui désirent avoir un enfant?

Je pense que là-dessus aussi, il y a des choses qui ont évolué. Aujourd’hui, ce sont des sujets que l’on a abordés avec Nike, et si je suis retournée avec eux, c’est justement parce qu’ils avaient cette envie-là de faire évoluer les choses, et cette volonté commune de dire il y avait des choses qui se passaient à un moment donné, mais évoluent. Plutôt que se braquer contre ça, je suis dans l’échange et la construction, de dire: qu’est-ce qu’on peut faire de tout ça? Où on va? Maintenant, ils ont créé la gamme maternité. Je pense qu’il y a toujours des solutions, il faut se servir de tout ça pour avancer, et faire avancer la cause.

«Faire avancer la cause», c’est aussi en médiatisant plus et mieux le sport féminin. Vous sentez que cela bouge, là-dessus aussi?

Oui, ça bouge, et il n’y a que comme ça que cela pourra bouger. Sur un besoin d’images. Une petite fille a besoin de voir des jeunes filles jouer au pied si, à un moment donné, elle veut se sentir concerné. C’est pareil: on n’a pas forcément envie que toutes les petites filles jouent au foot. On veut juste qu’elle sachent que c’est possible, et qu’elle puisse faire si elles ont envie. On a beau faire tous les discours qu’on veut, je pense que les images sont bien plus parlantes et marquantes. On l’a vu avec la Coupe du monde féminin de football en 2019: ça a intéressé des gens qui n’auraient jamais cru s’y intéresser.

Et au-delà du grand public, ce sont les enfants. Le changement, il va aussi passer par là. Le but, c’est que la génération qui arrive derrière n’était plus ces questions à se poser, ni de réflexions. C’est vraiment une question d’éducation: plus on commence tôt, et plus ça devient naturel chez les enfants. Les questions, elles viennent parce que ce sont les adultes qui les induisent dans votre tête, mais quand vous êtes enfant, vous ne vous posez pas toutes ces questions.

Au final, avez-vous l’impression qu’il y a plus d’obstacles à franchir dans une carrière sportive que de sportif?

Je pense qu’on se pose plus de questions, en tant que femme, sur l’avenir. Et on nous met des difficultés en plus, en nous disant: «attention, tu vas avoir trente ans, il faut que tu choisisses, tu ne pourras pas tout faire». À force d’entendre tout ça, indirectement, on se limite nous-mêmes. Il faut un grand prix de conscience des femmes par rapport à ça. C’est pénible, au bout d’un moment, mais il ne faut pas hésiter à reprendre la personne qui nous dit ça, et à lui expliquer que non, à trente ans, ce n’est pas fini, et qu’avoir un enfant, ce n’est pas une maladie. C’est long, c’est super frustrant parce que ça n’avance pas vite, mais il faut en passer par là, je pense.

Quand on vous écoute, quand on voit vos performances, on ne vous imagine pas vous arrêter tout de suite…

Pour l’instant, je n’en ai pas envie. C’est aussi une question de plaisir, j’ai toujours fonctionné comme ça. Le jour où j’en aurai marre, où ça sera une contrainte, j’arrêterai. Jamais de la vie j’aurais pensé qu’à 40 ans, je serais encore là, à ce niveau-là. Pareil, j’avais aussi ce formatage, mais finalement, je vis en fonction de mes sensations, et ce n’est pas l’âge qui fera que j’arrêterai, ou pas. Si je continue, c’est aussi parce que j’ai besoin de ces défis, d’être un peu dans la difficulté. J’ai une médaille olympique qui est une médaille d’argent, et forcément, maintenant que j’ai goûté à ce podium-là, je n’ai plus envie d’en descendre, et si possible, monter encore un peu plus haut . Plus ça va, et plus il y a de défi, parce que j’ai plus de 40 ans, parce que j’ai deux enfants. Je cumule ce qui pourrait être des freins, et justement, j’ai envie de montrer au contraire, ça peut être des forces.

Vos filles ont-elles conscience qu’elles ont une maman pas comme les autres?

La grande, un peu, à travers le regard des autres, parce qu’à l’école, on lui dit qu’on a vu sa maman à la télé. Après, non, la petite, pas du tout, pour elle, c’est mon travail, elle vient avec moi au stade.

Vous leur montrez que tout est possible, en tout cas.

Mon objectif, c’est ça. Qu’elles se disent qu’elles ne doivent pas se poser de limites.

Prolongement vous proposez une série de trois témoignages de femmes sur le sport féminin:

– Mélina-Robert Michon, mardi 9 février à 6 h.

– Laura Glauser, mercredi 10 février à 6 h.

– Caroline Aubert, jeudi 11 février à 6 h.



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