Pourquoi le vote final d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie pourrait conduire à l’instabilité et ternir l’image de la France dans la région


La France persiste dans sa décision d’organiser la finale des trois référendums sur l’indépendance en Nouvelle-Calédonie le 12 décembre, sans tenir compte des appels des dirigeants indépendantistes autochtones à un report du vote et maintenant à une « non-participation » – en fait un boycott – en raison de l’impact de la pandémie de COVID sur leurs communautés.

La décision menace le processus de paix de 30 ans de la France dans le territoire semi-autonome, ainsi que la stabilité dans sa possession prééminente du Pacifique. Un boycott du vote par la population autochtone kanak pourrait potentiellement ramener le territoire à la tourmente des années 1980, avec des conséquences régionales.

Pourquoi un autre référendum sur l’indépendance a-t-il lieu ?

Le mouvement indépendantiste d’origine autochtone s’est renforcé en Nouvelle-Calédonie dans les années 1970 et au début des années 1980, alors que la France annulait les dispositions d’autonomie qu’elle avait acceptées et encourageait l’immigration en provenance d’autres régions de la France à être plus nombreuses que les partisans de l’indépendance.

Dans les années 1980, la frustration des Kanaks a conduit à de violentes manifestations sur le territoire et à un boycott d’un référendum sur l’indépendance en 1987. Cela a été suivi par des fusillades meurtrières entre Kanaks et milices françaises des mois plus tard lors des élections présidentielles françaises.

L’accord Matignon/Oudinot en 1988, négocié par le gouvernement français entre les groupes pro et anti-indépendance, a mis fin à la violence. Cela a été suivi par l’Accord de Nouméa en 1998, qui a promis un processus à trois voix pour l’indépendance.



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Les deux premiers référendums, organisés en 2018 et 2020, ont enregistré des taux de participation record (plus de 80 %) et une légère majorité pour rester avec la France. Il y avait, cependant, une large (et croissante) base de soutien kanak pour l’indépendance, passant de 43,3% à 46,7%. Seulement 10 000 voix séparaient les deux parties en 2020.

Vote dans un bureau de vote à Nouméa.
Vote dans un bureau de vote à Nouméa lors du référendum sur l’indépendance de 2018.
Mathurin Derel/AP

Un troisième vote devait être serré, les deux parties courtisant les 25 000 personnes qui se sont abstenues en 2020 (sur 180 000 électeurs éligibles au total). Cependant, la « non-participation » kanak rendrait le vote politiquement nul, comme ce fut le cas en 1987.

Ce vote final peut avoir lieu à tout moment avant octobre 2022. Les partis loyalistes qui soutiennent le maintien d’une partie de la France ont privilégié un vote plus tôt pour consolider leur majorité et permettre une reprise rapide de l’économie stagnante.

Les partis indépendantistes ont préféré un vote plus tardif pour maximiser leurs chances d’obtenir la majorité.

Pour éviter le chevauchement avec les élections françaises de l’année prochaine, le gouvernement français a choisi le 12 décembre pour le référendum sur l’opposition des partis indépendantistes.

La France adopte une approche moins neutre

Lors des deux premières campagnes, la France a scrupuleusement respecté l’impartialité et invité des observateurs internationaux. Pour ce vote final, il a été moins neutre.

Pour commencer, les discussions sur la préparation du vote final n’ont pas inclus tous les principaux dirigeants des partis indépendantistes. Le papier exigé par la loi française expliquant les conséquences du référendum aux électeurs a cette fois favorisé le non, au point que les loyalistes l’ont utilisé comme brochure de campagne.

Le gouvernement français a également commandé et publié de manière sélective des sondages d’opinion sur le rôle de la France en Nouvelle-Calédonie, tandis que les médias locaux ont souligné les effets négatifs potentiels de l’indépendance sur la santé et d’autres services.

En visite à Tahiti en juillet, le président Emmanuel Macron a évoqué avec force les menaces qui pèsent sur les petites îles isolées du Pacifique sans que la France ne les protège. La France déploie également plus de personnel de sécurité en Nouvelle-Calédonie pour le vote de cette année.



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Une impasse inquiétante avec les Kanaks

L’impact de la pandémie de COVID a joué un rôle majeur dans le référendum de cette année.

La Nouvelle-Calédonie avait connu peu de cas et aucun décès depuis le début de la pandémie jusqu’à ce que la variante Delta fasse son entrée sur le territoire en septembre. Depuis, il y a eu près de 300 décès, la plupart dans la communauté kanak.

Citant des rites de deuil kanak impliquant de longs deuils communautaires, les dirigeants indépendantistes ont demandé un report du vote du 12 décembre, soulignant l’effet potentiel sur la campagne et la participation.

Le Sénat coutumier, l’assemblée des conseils régionaux kanak, a décrété une période de deuil de 12 mois, tandis que les dirigeants indépendantistes menaçaient les Kanak de « non-participation » au vote.

Cependant, le ministre français des territoires d’outre-mer, Sébastien Lecornu, a confirmé la date de décembre. Il a déclaré que le système de vote non obligatoire de la France permettait à quiconque de choisir de ne pas participer s’il le souhaitait.

La réaction chez les Kanaks a été forte. Les dirigeants indépendantistes ont réaffirmé leur appel à la non-participation pacifique, évitant le terme « boycott » en raison de son association avec le boycott du référendum de 1987 et la violence qui a suivi. Ils notent cependant que leurs 30 000 jeunes partisans kanak n’obéiraient pas nécessairement.

Ils ont également formé un nouveau comité stratégique pour préparer une réponse à la décision de la France de procéder au vote. Un dirigeant a qualifié la décision de « déclaration de guerre apparente aux Kanaks ».

Le 5 décembre, un groupe composé en grande partie de Kanaks a demandé à la plus haute cour d’appel de France de revoir d’urgence la décision et de reporter le vote après les élections françaises de juin.

Les partis indépendantistes ont déclaré qu’ils contesteraient le résultat si le référendum avait lieu et qu’ils ne participeraient pas aux discussions sur l’avenir du territoire que la France a proposées pour le lendemain du vote.

Ce que le référendum signifie pour la région

S’il y a de l’instabilité ou de la violence en Nouvelle-Calédonie, ou si le résultat d’un référendum est contesté, cela aura un impact sur la région.

Le rôle de la France dans le Pacifique sera à nouveau remis en cause, comme dans les années 1980. Ensuite, les gouvernements régionaux ont attiré l’attention internationale sur la manière dont la France traite les demandes de décolonisation de ses territoires et ses essais nucléaires en Polynésie française, conduisant finalement la France à changer ses habitudes.



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Les politiques révisées de la France et ses efforts diplomatiques sérieux lui ont permis de forger de nouveaux partenariats avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les gouvernements des îles du Pacifique. Ainsi, le traitement par la France de ses territoires d’outre-mer fonde in fine son rôle dans la région et sa vision indo-pacifique.

Les dirigeants et analystes régionaux ont exhorté le gouvernement français à repenser sa gestion de ce vote décisif.

Le groupe de fer de lance mélanésien, composé des Fidji, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, des Îles Salomon, de Vanuatu et de la coalition indépendantiste de la Nouvelle-Calédonie, a appelé au report du référendum aux Nations Unies.

Un « Pacific Elders Group » a également écrit à Macron, demandant le respect de la coutume kanak en deuil. Le Premier ministre de Vanuatu Bob Loughman et le leader indépendantiste de la Polynésie française Oscar Temaru ont apporté leur soutien vocal aux dirigeants indépendantistes.

Et à la fin du mois dernier, plus de 60 universitaires internationaux ayant des années d’expérience de travail sur la Nouvelle-Calédonie ont exprimé leur inquiétude quant à la date du référendum dans une lettre ouverte publiée par Le Monde.

Pour la France, l’Australie et le reste de la région, le référendum de Nouvelle-Calédonie n’est peut-être pas le phare démocratique pour l’avenir qu’il était censé être, mais plutôt un signe d’instabilité.

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