PORTRAIT. Koh-Lanta : Denis Brogniart, le sport comme passion irrévocable . Sport


Denis Brogniart posséderait-il un totem d’immunité contre le temps ? Dix-neuf ans après sa première saison à la tête de Koh-Lanta, en 2002, l’animateur de TF1 arbore toujours ce regard espiègle, enrichi d’une barbe de trois jours, mi-blanche mi-rousse, et ces cheveux frisés, châtains hier, gris désormais. Surtout, le quinqua conserve sa silhouette élancée, affinée, affûtée. Du haut de son mètre quatre-vingt-onze, l’homme est toujours aussi sec, fit, dirait-on outre-Atlantique. « J’ai un physique à l’américaine », rit-il de sa voix chaleureuse, qui rythme les vendredis de plusieurs millions de Français depuis des années.

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La sentence du temps ne semble pas irrévocable pour Denis Brogniart. Ses cinq à sept sorties sportives hebdomadaires l’aident à lutter contre le poids des années. « Le sport est à la fois un besoin et une nécessité. C’est physique, physiologique… » Le Dijonnais, de naissance, construit « (ses) journées en fonction du sport ». Il scrute la météo, repère les deux heures d’éclaircie en hiver pour aller courir en baskets ou rouler à vélo, aux alentours de la vallée de Chevreuse, au sud de Paris, où il habite. Il nage, aussi. « Ce cadre de vie bucolique est ma plus belle richesse. Je ne l’échangerai contre rien au monde, même pas le plus bel appartement de Paris. »

Les podcasts de Fabrice Drouelle, le chant des oiseaux, la voix de ses proches

Animateur d’émissions et de magazines sportifs sur TF1, présentateur d’équipes cyclistes à la journée, Denis Brogniart cumule les activités. Sa pratique du sport n’en pâtit jamais. Il lui arrive d’entamer une journée dense par une sortie running à 5 h du matin, avec une lampe vissée sur le front. Lorsqu’il est en déplacement, comme lors de ce week-end de février, dans le Var, il repère à l’avance sa session running dans les Calanques et sa sortie vélo dans l’arrière-pays toulonnais. Rien n’est laissé au hasard. « Le sport est une drogue, et une drogue dure. »

Ce junkie du sport consomme sa came, le plus souvent, seul. L’homme inonde ses oreilles de podcasts. La voix de Fabrice Drouelle rend l’affaire sportive moins sensible. Celles de Christophe Hondelatte et Philippe Vandel, sur Europe 1, son ancienne maison, l’accompagnent aussi. En pleine activité physique, l’animateur écoute de la musique, parfois. Son titre du moment ? Le chant des oiseaux. Sans casque, dans les bois, le printemps pointant le bout de son nez. « Ça fait du bien », dit-il, souriant. L’activité physique fait mal, aussi. Pour outrepasser la douleur de l’effort, l’animateur passe des coups de fil. Juliette, son attachée de presse, visiblement coutumière du fait, laisse échapper un petit rire. Denis Brogniart s’explique : « Au téléphone, ça passe plus vite, ça m’enlève les questions que je me pose. Il m’arrive, pendant trois quarts d’heure, de courir en parlant. »

photo l’animateur de koh-lanta denis brogniart est un adepte du running. le voici en 2017, à son arrivée au cross ouest-france, au mans.  ©  archive ouest-france/marc roger

L’animateur de Koh-Lanta Denis Brogniart est un adepte du running. Le voici en 2017, à son arrivée au Cross Ouest-France, au Mans. © Archive Ouest-France/Marc Roger

La cinquantaine passée, Denis Brogniart écoute son corps. « La blessure, c’est ma hantise. » Il craint le claquage à chaque foulée. Sa rupture du tendon d’Achille, début 2019, l’a rendu « encore moins casse-cou ». Malicieux, il glisse : « Sur mon vélo, en descente, je suis une enclume, parce que je ne veux pas prendre le moindre risque. » Pire que la blessure elle-même, c’est l’immobilisation qui inquiète cet hyperactif. Lors de la rééducation de sa rupture du tendon, il avait pratiqué… le vélo à bras. Le bas du corps endolori, il pouvait continuer à exercer son buste. Denis Brogniart est addict au sport, quasi bigorexique.

Le sport s’avère essentiel pour son équilibre professionnel, personnel, psychique. Il lui sert tantôt d’évasion, tantôt à prendre des décisions, comme lorsqu’il peaufine ses podcasts à lui, intitulés « Vie d’aventure », sur ces intrépides qui repoussent les limites humaines. « Je suis un mec assez… nerveux. » Un euphémisme. « J’ai besoin de tempérer tout ça. Quand tu cours, tu sécrètes des endomorphines. Ces hormones me rendent plus clairvoyant. Combien de fois suis-je parti faire du sport avec un souci… Lorsque je rentre d’une sortie running, et, avant que ces endomorphines ne disparaissent, que je retrouve un état normal, je prends un papier et un crayon et je note ce que j’ai décidé en courant. C’est chimique. »

« Il y a une certaine forme d’humanité dans le marathon »

Denis Brogniart aime le dépassement de soi, mais aussi le dépassement des autres. Féru de compétition, il est marathonien depuis bientôt trente ans. Son premier grand marathon remonte à 1992. New York. Il travaille alors pour Europe 1. « Je l’ai commenté en courant, avec un é-nor-me téléphone Motorola, une banane autour de la taille et deux batteries qui m’ont cisaillé les os du bassin. » Depuis, le journaliste de sport, sportif, a couru New York à quatre reprises – une seule fois avec le Motorola – deux fois Londres, deux fois Monaco, Chicago aussi. Il franchit toujours la ligne d’arrivée les yeux embués de larmes. « Parce que c’est 42,195 km à courir, parce que c’est plusieurs millions de spectateurs sur la route, parce que ça te permet de découvrir un endroit, de partager. »

Il pousse la réflexion quelques kilomètres plus loin : « Il y a une certaine forme d’humanité dans le marathon. On vit quand même dans un monde d’égoïste, où on ne se parle pas. La course à pied, c’est très différent. Dès l’instant où tu pars, t’as beau être grand, petit, jeune, moins jeune, beau, pas beau, riche, pauvre ; tu mets ton short, tes godasses, il n’y a pas de signes extérieurs qui te permettent de faire la différence… » Denis Brogniart se dit sensible à ce brassage social, à cet esprit de camaraderie. Il les a découverts lors de son service militaire – dont il regrette la disparition. Il les retrouve dans le sport. « Le sport t’enveloppe, te donne de la confiance, de l’assurance. C’est terrible mais… Je pense que quelqu’un qui ne fait jamais de sport, il lui manque clairement quelque chose. Et je dis pareil pour quelqu’un qui ne va pas au cinéma, ou qui ne lit pas. »

photo l’animateur de koh-lanta denis brogniart, sportif et fan de sport, a reçu ouest-france et prolongation dans les locaux de tf1, vendredi 26 janvier.  ©  ouest-france

L’animateur de Koh-Lanta Denis Brogniart, sportif et fan de sport, a reçu Ouest-France et Prolongation dans les locaux de TF1, vendredi 26 janvier. © Ouest-France

Denis Brogniart, lui, ne refuse aucun défi sportif. Sa jubilation est identique en baskets, en maillot de bain ou sur la selle de son vélo, lorsqu’il gravit le col de la Madeleine (Savoie), cet été avec un copain. « Avec le sport, les émotions sont à vif. » Elles sont plurielles, aussi ; à la fois personnelles, « car tu vas au bout de toi-même », collectives, « car tu accomplis la même chose que ton pote », et même universelles. Il explique : « Dans le sport, il y a différents niveaux de lecture, de performance mais, à la fin, le sentiment du vainqueur d’une étape de montagne du Tour de France peut s’apparenter à celui qui gravit ce col pour la première fois. »

Le journalisme de sport, une procuration assumée

Le parallèle est-il aussi psychologique ? Faut-il pratiquer le sport pour comprendre le sportif ? Si le débat est vaste et inoxydable, l’opinion de Denis Brogniart, sur le sujet, est tranchée. « Je pense qu’il faut avoir mis un dossard, même pour la compet’ de sa rue, avec la peur de ne pas terminer, pour comprendre un sportif de haut niveau. Je pense avoir perçu certaines choses chez des champions parce qu’à mon tout petit niveau, j’ai ressenti, parfois, un peu les mêmes émotions. Il faut avoir touché cela du doigt pour comprendre la psychologie d’un champion. »

Champion. Le mot est lâché. Il revient comme un boomerang dans son discours. Il est un marqueur de sa vie. Son père, décédé d’un cancer à 49 ans, lui a transmis cette fibre sportive. Un héritage immortel. Ado, Denis Brogniart admire les athlètes des Jeux olympiques, les matches des Bleus et « tanne (ses) parents jusqu’à pleurer » pour regarder la finale du tournoi de tennis de l’US Open, en pleine nuit. Il rêve, un peu, de la place de Carl Lewis, son idole. Ce fan du SM Caen tente le foot, gamin, au poste de défenseur central. Sans succès. « J’aurais aimé avoir une carrière à haut niveau, mais je ne suis pas doué pour le sport », tranche-t-il. Denis Brogniart comprend vite qu’il n’embrassera pas une carrière de champion. Il comprendra vite, aussi, qu’il voudra faire carrière aux côtés des champions.

photo l’animateur de koh-lanta denis brogniart, sportif et fan de sport, a reçu ouest-france et prolongation dans les locaux de tf1, vendredi 26 janvier. il dit : « j’aurais aimé avoir une carrière de sportif de haut niveau, mais je ne suis pas doué pour le sport. »  ©  ouest-france

L’animateur de Koh-Lanta Denis Brogniart, sportif et fan de sport, a reçu Ouest-France et Prolongation dans les locaux de TF1, vendredi 26 janvier. Il dit : « J’aurais aimé avoir une carrière de sportif de haut niveau, mais je ne suis pas doué pour le sport. » © Ouest-France

Son père, cadre de banque, et sa mère, professeur de mathématiques, ne partagent guère cette lubie. Ils le poussent en médecine, après l’obtention d’un bac scientifique. Un échec. Il « (s)’émancipe » au Club Med de Marbella, au sud de l’Espagne, comme maître-nageur, où il anime ses premières soirées, micro en main, avant de revenir à son premier amour, irrévocable : le sport. Il planche sur l’éducation physique, avant d’intégrer l’Institut pratique de journalisme, à Paris. « J’ai dit à mes camarades de promo que je voulais être journaliste de sport, et ils m’ont regardé avec de grands yeux. La moitié de la classe rêvait d’être à Libé ou au Monde, en politique étrangère. »

Au début des années 1990, il file à Radio France, puis Europe 1, Eurosport et TF1. Il côtoie, enfin, ces champions qui le fascinent. « Quand j’étais gamin, mon grand-père avait dit : « Oh lui, c’est sûr, il ne fera pas les Jeux olympiques », car je devais être un peu… dégingandé. Ben, je suis le seul de ma famille à avoir fait les JO. Pas comme athlète, oui, mais comme journaliste. » Une procuration assumée, avec délice. « Vous vous rendez compte ? Être journaliste, être comm-en-ta-teur, insiste-t-il, des étoiles plein les yeux. La vie de Thierry Roland me faisait rêver. Je voulais voyager, parcourir le monde, découvrir des événements sportifs, rencontrer des athlètes. »

« Traverser l’Atlantique, à la voie, avec mon ami Thomas Coville »

Il a été gâté. Denis Brogniart a vécu les deux sacres mondiaux de l’équipe de France de football, le premier sur la pelouse du Stade de France, comme un reporter « en lévitation » ; le second, vingt ans plus tard, aux manettes de l’émission-phare de TF1 ; deux titres témoins d’une carrière ascendante. Il a aussi interviewé Carl Lewis à Monaco ou commenté le sacre de Stéphane Diagana sur 400 m haies en 1997, à Athènes aux Mondiaux d’athlétisme. « J’étais sur une autre planète. Incroyable. J’ai encore la bande. De temps en temps, je me la repasse. Ça me donne des frissons. »

L’émotion, la transe, la nostalgie… Le sport. « Jamais je n’aurais pu imaginer cette carrière dans ce monde, tous ces moments exceptionnels, qui restent dans l’inconscient de tas de gens. Moi ça reste dans mon inconscient de passionné et aussi dans mon conscient de journaliste. »

photo l’animateur de koh-lanta denis brogniart est passionné par les aventuriers et la course au large. il pose ici aux côtés du skipper tanguy de lamotte, lors du grand prix guyader, à douarnenez, en 2015.  ©  archive ouest-france/nicolas yquel

L’animateur de Koh-Lanta Denis Brogniart est passionné par les aventuriers et la course au large. Il pose ici aux côtés du skipper Tanguy de Lamotte, lors du Grand prix Guyader, à Douarnenez, en 2015. © Archive Ouest-France/Nicolas Yquel

À l’aube du XXIe siècle, Denis Brogniart se diversifie. « Cette liberté est une chance folle. » Ce « boulimique de travail » a même sorti un roman*, début mars, sur la vie d’un soldat français, souffrant d’un syndrome post-traumatique. Le rapport avec le sport ? La genèse de l’ouvrage : « J’aime les tests, me lancer des défis. Je voulais savoir si j’étais capable d’écrire un livre, seul, de A à Z. Je l’ai fait à titre personnel. Ça fait partie des cases que je coche, dans ma vie. »

Les prochaines cellules grisées de la vie de Denis Brogniart pourraient bien être sportives. L’homme de 53 ans a un grand objectif : « J’aimerais traverser l’Atlantique à la voile. Plusieurs personnes me l’ont proposé, mais je rêve de le faire avec Thomas Coville, qui est un de mes amis. » Il le fera, il le jure. Denis Brogniart rêve aussi d’horizons plus hauts, plus forts, de cols vertigineux. « Je voudrais aller dans l’Himalaya, faire un sommet à 6 000 mètres. Mais je suis tellement angoissé par le froid, je déteste ça, que ce sera plus compliqué. » Il se donnera les moyens d’y parvenir. Denis Brogniart possède un totem d’immunité contre l’inactivité.

* Un soldat presque exemplaire, Flammarion. 352 pages, 19,90 €. Sortie le 3 mars 2021.

 



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