Nous devons assainir la finance mondiale pour «  reconstruire en mieux  »


Les dirigeants politiques méritent des éloges pour leur mantra de «reconstruire en mieux». Le monde prépandémique souffrait de graves défauts. Il est bon que les dirigeants soient déterminés à améliorer le statu quo ante, et nous devrions les respecter. Mais l’éventail des choses que nous devons mieux reconstruire est si vaste qu’il existe un risque de problème de bande passante, où les politiciens choisissent de se concentrer sur certains au détriment d’autres.

La nécessité de lutter contre les flux financiers illicites est un domaine politique qui a – tardivement – fait l’objet d’une plus grande attention. Pourtant, il reste éclipsé par les défis de la reprise post-pandémique, des règlements économiques plus équitables aux niveaux national et mondial et du changement climatique. Les dirigeants et les électeurs pourraient être tentés de penser qu’une finance plus propre serait une solution intéressante qui devra néanmoins être dépriorisée jusqu’à ce que des tâches plus urgentes aient été abordées.

Mais ce ne sont pas des objectifs alternatifs. Compte tenu du prix de la pandémie elle-même et de l’investissement dans des récupérations équitables et des transitions carbone lorsqu’elle est terminée, il est plus urgent que jamais de lutter contre le financement illicite. Jeudi, le panel de haut niveau de l’ONU sur l’intégrité financière a publié un rapport percutant qui a mis à nu le coût énorme pour les finances publiques et l’efficacité économique des flux financiers illicites, allant de l’évasion fiscale légale mais agressive au blanchiment d’argent et à la corruption. Juste un exemple flagrant: l’évasion fiscale fait perdre des recettes publiques libanaises qui représentent 10 pour cent du revenu national par an.

Selon le rapport, les gouvernements du monde perdent plus d’un demi-billion de dollars par an à cause de manœuvres fiscales qui contournent les intentions des législatures en exploitant les lacunes et les écarts de la loi. Quant à l’illégalité flagrante, les criminels blanchissent plus de 2 milliards de dollars chaque année. Les pots-de-vin s’élèvent à 1,5 à 2 milliards de dollars dans le monde. Et le préjudice causé à l’efficacité économique par une telle illégalité sera probablement beaucoup plus important que les gains mal acquis eux-mêmes.

À titre de comparaison, le coût des vaccins Covid-19 pour tous les adultes dans le monde serait de l’ordre de dizaines ou de quelques centaines de milliards. La lutte pour l’intégrité financière mondiale n’est pas une distraction par rapport à d’autres objectifs, mais un moyen de les atteindre.

Ce n’est pas tout. La corruption ou le vol peuvent être le but délibéré de ce que l’on appelle à juste titre le «capital corrosif». Un autre nouveau rapport, qui vient d’être publié par le Center for American Progress, souligne à quel point les flux de capitaux secrets sont devenus un outil de politique étrangère malveillante, en particulier à travers les opérations d’influence des gouvernements autoritaires visant les sociétés démocratiques.

Les deux rapports sont ambitieux, mais d’une manière réaliste, sur ce qui peut être fait. La clé de la lutte contre la finance corrompue et corrosive est de mettre fin au secret qui la favorise. Le panel des Nations Unies appelle tous les pays à disposer de registres centraux, idéalement publics, des informations sur les bénéficiaires effectifs pour «tous les véhicules juridiques». Cela inclurait les fiducies, qui sont trop souvent exemptées même par les juridictions où la propriété de l’entreprise est transparente. La PAC souligne la nécessité de vérifier et de partager ces informations plus efficacement, y compris avec les services répressifs.

Les deux rapports sont d’une lucidité louable quant à la nécessité de sévir contre les catalyseurs des flux illicites – les écosystèmes d’avocats, de comptables et d’agents de relations publiques qui prospèrent en aidant les criminels et les fraudeurs fiscaux.

Comme le souligne le rapport de l’ONU, le système criblé de failles d’imposition transfrontalière des entreprises doit être remanié. En encourageant l’évasion fiscale légale, les règles existantes créent également des incitations au secret et à la complexité qui facilitent de véritables flux criminels. Le panel va plus loin que ce qui est actuellement négocié à l’OCDE, en demandant que les multinationales soient imposées à un taux élevé sur les bénéfices des groupes mondiaux. Il souhaite également des informations financières pays par pays de la part de toutes les multinationales. C’est juste sur les deux points.

Le soutien politique à ces réformes augmente. Un vote bipartite du Congrès a interdit les sociétés écrans américaines anonymes. Les ministres de l’UE viennent d’accepter des rapports pays par pays plus stricts. L’appel de la PAC pour une «initiative de kleptocratie mondiale» est soutenu par les présidents des commissions des affaires étrangères du Congrès et des parlements européen et britannique. On peut également espérer que les investisseurs bénéficieront de la transparence et de règles du jeu équitables en matière fiscale.

Mais un changement fondamental requiert la volonté politique des dirigeants des pays les plus puissants du monde. Les forums du G7 et du G20 devraient placer l’intégrité financière plus haut dans leur ordre du jour. Une responsabilité particulière incombe aux États-Unis et au Royaume-Uni, tous deux hébergeant de vastes environnements propices au financement illicite, et tous deux vulnérables aux capitaux corrosifs. L’intégrité financière est un bien public mondial. C’est un excellent exemple de l’endroit où la charité peut commencer à la maison.

martin.sandbu@ft.com

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