Militantisme, engagement: à quoi servent les célébrités?


Si vous cherchez les étoiles, elles sont dans la rue. À peine libérées du confinement dû à la pandémie de coronavirus, ce n’est pas pour retrouver les tournages ou autres tapis rouges que les célébrités sont sorties de chez elles, mais pour réagir à l’actualité. Celle qui a créé une onde de choc mondiale le 25 mai: la mort de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, décédé à Minneapolis lors d’une violente arrestation policière.

Dès le 2 juin, aux États-Unis, des manifestations viraient aux émeutes, poussant Donald Trump à poser, bible à la main, devant une église incendiée non loin de la Maison-Blanche. À Paris, des milliers de personnes se rassemblaient autour d’Assa Traoré, sœur d’Adama Traoré, décédé après une interpellation en juillet 2016 dans le Val d’Oise. Pour tout le monde, un même slogan: «Black Lives Matter», la vie des noirs compte. Dans la foule des manifestants à Hollywood, Cara Delevingne, Ariana Grande, Timothée Chalamet, Ben Affleck et Ana de Armas, Kristen Stewart ou Emily Ratajskowki défilent, pancarte (et téléphone) à la main.

À Paris, Aïssa Maïga, Adèle Haenel, Olivier Rousteing, Camélia Jordana ou Leïla Bekhti figurent partie du rassemblement. Et tous participaient au Blackout Tuesday, postant un écran noir sur leur compte Instagram, en signe de solidarité. De son côté, George Clooney se fendait d’une tribune intitulée «Le racisme anti-Noirs est notre pandémie» dans les colonnes du Bête quotidienne. En France, quelques jours plus tard, c’est Omar Sy qui faisait la couverture de L’Obs en dénonçant les violences policières. Engagées, informées, mobilisées, les célébrités n’hésitent plus à relayer différentes causes qui font l’actualité ces dernières années. Féminisme, racisme, écologie: elles occupent tous les terrains. Reste à savoir ce que leur mobilisation peut changer – ou non.

En vidéo, bouleversées par la mort de George Floyd, les célébrités réagissent

Des positions qui divisent

La mobilisation des étoiles est à double tranchant. Jane Fonda en fait l’expérience quand, dans les années 1970, elle s’engage publiquement contre la guerre du Vietnam. «Elle s’est attirée beaucoup de critiques, explique Jamil Dakhlia, sociologue des médias à Sorbonne Nouvelle, et auteur de Politique People (1). En tant que femme, actrice et sex-symbol, on ne l’a pas prise au sérieux. En quoi était-elle légitime? Avait-elle un bagage politique suffisant pour prendre position? On a dit qu’elle était manipulée par le lobby anti-américain, qu’elle agissait de manière émotionnelle, sans être informée. Même les milieux militants ont critiquée, jugeant son combat contre-productif. »

L’actrice paie longtemps le prix de son engagement: en 2005, à Kansas City, un vétéran du Vietnam lui crache à la figure lors d’une séance de dédicaces. Mais Jane Fonda ne lâche rien. Féminisme, droits civiques résolution, du conflit israélo-palestinien, elle est la première à dénoncer, défendre ou manifestant. Et, à 82 ans, se fait arrêter quasi tous les vendredis en manifestant contre des forages pétroliers.

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Les réseaux sociaux en guise de porte-voix

Après les années 1970, les stars ont modéré leurs ardeurs, les réservants plutôt à des causes collectives et plus consensuelles, participant à des concerts caritatifs pour la lutte contre la famine, ou le Sida. Les récents mouvements sociaux, de Me Too à Black Lives Matter, les ont à nouveau poussées à sortir du bois. Avec Instagram ou Twitter en guise de porte-voix: «Aujourd’hui, les célébrités construisent de plus en plus leur image elles-mêmes. Grâce aux réseaux sociaux, elles s’expriment directement, même si elles ont un staff qui contrôle leur image. » Et sont ainsi plus maîtres, et beaucoup moins avares, de leur parole. De là à dégainer un post bien senti dès qu’une cause agite la Toile? «Les stars sont comme tout le monde: l’injonction à s’exprimer les atteint comme nous. Il faut alimenter ses comptes, donner son point de vue sur les sujets de société. Quand ces derniers les concernent, elles sont également interpellées. Ainsi, on a demandé aux actrices ayant travaillé avec Harvey Weinstein de donner leur avis sur le mouvement Me Too. »

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À propos de légitimité

Reste la question de la légitimité: que vaut la parole de George Clooney, homme blanc de 59 ans naviguant librement entre les collines d’Hollywood et sa propriété du lac de Côme, face à un homme ou une femme noire, qui risque à tout moment un contrôle d’identité? «Tout dépend de la nature du prix de parole de la star, et de sa hiérarchie dans la célébrité. Pour certaines, il y a beaucoup à perdre. Pour d’autres qui s’adressent déjà à un public progressiste, c’est plus simple. Il faut, de toute façon, que leur discours soit en cohérence avec leur image, les valeurs qu’ils véhiculent. » Souvent sollicité par les Nations Unies, fervent démocrate, George Clooney a également réalisé des films engagés, interrogeant les rouages ​​du pouvoir et les limites de nos libertés. C’est sans trop de danger que sa parole peut porter.

Mais quand Olivia Jade, la fille de l’actrice Lori Loughlin (condamnée pour avoir versé des pots-de-vin afin de l’envoyer dans les meilleures universités), enjoint ses followers sur Instagram à «utiliser leur privilège blanc pour lutter contre le racisme », le post ne passe pas (et est d’ailleurs supprimé rapidement).

Légitime mais moins connu, John Boyega, le jeune acteur anglais d’origine nigériane découvert dans les derniers Guerres des étoiles, a assumé de prendre un risque en tenant un discours enflammé le 3 juin, lors d’une manifestation à Londres, contre les violences dont sont victimes les noirs. Il concluait en effet: «Je ne sais pas si j’aurai encore une carrière après ça, mais je n’en ai rien à f …».

Signe des temps: non seulement son geste a été salué dans le monde entier, mais Lucasfilm, la firme produisant la saga Guerres des étoiles et propriété de Disney, a publiquement défendu son «héros». Attention, cependant, à ceux qui voudraient redorer leur image ou se faire un peu de publicité: le «faketivism» est vite démasqué. «S’il n’y a pas de cohérence entre leur discours et leur comportement, les personnalités se retrouvent vite devant le tribunal de l’opinion, précise Jamil Dakhlia. Quand quelqu’un qui dénonce le réchauffement climatique part ensuite en avion passer une semaine dans un recours de luxe, cela se sait. » Et ça ne pardonne pas.

Reste le décalage entre les étoiles privilégiées et les représentations défendantes. Hypocrisie, cynisme? «Ne pas s’identifier à 100% avec les gens dont on défend la cause n’empêche pas d’épouser leur combat, nuance Jamil Dakhlia. On peut être fidèle à des valeurs, se battre pour quelque chose d’universel quand on estime qu’il ya quelque chose, dans la société, qui ne marche pas. »

Une véritable influence politique?

Le discours des célébrités at-il vraiment un impact sur les mentalités? Taylor Swift va-t-elle changer le cours de l’histoire en appelant ses fans à ne pas voter Trump? Jessica Chastain va-t-elle pousser les siens à déboulonner des statues jugées problématiques? Les posts mensuels de Marion Cotillard sur les fruits et légumes de saison nous ont-ils convaincus de délaisser la papaye en hiver pour le gratin de cardons?

«Il est difficile de quantifier l’impact des célébrités, reconnaît Jamil Dakhlia. Cela dépend de notre rapport à elles. Si elles sont crédibles et attisent notre curiosité, ça peut donner envie d’aller plus loin. Mais leur parole s’ajoute surtout à une somme d’informations foisonnantes. Sans provoquer de changement radical, elles peuvent conforter dans une opinion. » Ou simplement informer sur certaines questions: «Il faut parler pour le plus grand nombre: si une cause veut rayonner au-delà de ceux qui militent déjà pour elle, elle doit s’appuyer sur des voix qui s’améliorent. C’est là que la célébrité intervient: elle peut relayer le débat. » Et apporter sa pierre à un édifice en construction.

Jamil Daklhia note que c’est après que des actrices célèbres ont révélé avoir été victimes d’agressions sexuelles que de nombreuses femmes ont pris le relais, déclenchant le mouvement Me Too: «L’affaire a pris une dimension collaborative. Des leaders d’opinion ont permis à d’autres de sortir de la spirale du silence ».

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En France l’engouement est-il le même? Pour Jamil Dakhlia, le rejet de la classe politique et le délitement de la gauche, à laquelle s’associent traditionnellement la plupart des artistes, est pour beaucoup dans leur désertion militante. C’est donc en tant que citoyens et citoyennes qu’une nouvelle génération s’empare aujourd’hui du débat: «Quand Adèle Haenel, Aïssa Maïga ou Camélia Jordana manifestent, elles le font en tant que femmes, avant d’être actrices. Et elles parlent de ce qui leur est arrivé, expérience intimes. » Bref, aujourd’hui, on se lève, et on s’exprime. En espérant que l’impact existe, fût-il infime.

(1) Politique People, de Jamil Dakhlia, Bréal (2008)

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