L’INFINI : visitez l’espace en réalité virtuelle


Voilà plus de deux ans que les Studios Felix & Paul filment à l’intérieur de la Station spatiale internationale (SSI), en mode 3D et à 360 degrés. Au fil des missions, les astronautes de la SSI ont accumulé 250 heures de tournage avec une caméra spéciale, conçue par l’entreprise montréalaise. Des vidéos dans lesquelles ils font partager leur quotidien, leurs recherches et l’esprit de communauté à bord de la station.

« J’ai vraiment été touchée et inspirée par ces entrevues. Les gens vont pouvoir rencontrer ces astronautes, mais aussi vivre des émotions esthétiques », note la dramaturge Marie Brassard, conceptrice et scénariste de L’INFINI. This exposition en réalité virtuelle, coproduite par le Studio PHI et les Studios Felix & Paul sous l’enseigne INFINITY Experiences, sera présentée en première mondiale à Montréal pendant quatre mois avant de partir en tournée.

Entre l’art et la science

« On a beaucoup réfléchi à la meilleure façon de tracer un portrait humain de la quête de l’espace », se souvient Phoebe Greenberg, chef de la création de L’INFINI. Dès le départ, la fondatrice de PHI avait quelques objectifs en tête, comme celui de faire vivre une expérience collective au public.

« Pour Phoebe, il était aussi important que l’art et la science se rencontrent, tant sur le plan du contenu que du contenant », explique Marie Brassard, reconnue notamment pour son utilisation des technologies au théâtre, de son premier spectacle solo Jimmy créature de rêve à son plus récent La violence, par exemple. Elle signe ici sa première grande œuvre en réalité virtuelle.

Une centaine de personnes à l’heure de vivre un condensé de l’aventure spatiale. Le cœur de l’expérience est le moment où des dizaines de visiteurs déambulent simultanément dans une reproduction numérique de la SSI avec un casque de réalité virtuelle sur la tête. « C’est une expérience où les gens sont en mouvement à l’intérieur d’un parcours fictionnel qu’on a créé », précise la dramaturge. Chaque fois qu’un spectateur arrive sur un point représentant un emplacement de la caméra dans la SSI, il peut regarder un astronaute raconter sa routine du matin, ou une autre expliquer comment sur se envoyé après plusieurs semaines dans l’espace.

Vue de l’espace dans L’INFINI. (Crédit : PHI)

Pour que le tout se déroule dans le respect des mesures, le port du masque sera obligatoire et les casques de réalité virtuelle seront désinfectés à l’ultraviolet et à l’ozone avant d’être remis aux utilisateurs. Un système a également été prévu pour éviter que les spectateurs ne se rapprochent trop des uns des autres pendant qu’ils marchent dans l’exposition tout en restant concentrés sur les images de leur écran personnel. Grâce à des caméras infrarouges et à un plancher conçu sur mesure, les casques Oculus Quest 2 peuvent envoyer leur position à un serveur central et savoir où sont situés les gens dans la pièce. Dans l’univers virtuel, les autres participants apparaissent comme des étoiles lorsqu’ils sont au loin, puis prennent une forme humaine quand ils s’approchent. « C’est efficace pour savoir où sont les autres, mais ça demeure lyrique et poétique », estime Félix Lajeunesse, cofondateur de Felix & Paul, et chef de la création de L’INFINI.

Après la visite de la SSI, les gens sont invités à aller s’asseoir dans une autre section, pour regarder un film qui présente un montage fluide et continue d’images de la Terre vue de la station. « C’est un moment de contemplation et de réflexion sans narration, où le spectateur déconnecté », explique Félix Lajeunesse.

« On a également décidé d’intégrer l’artiste contemporain Ryoji Ikeda à l’expérience, car il a un langage entre les sciences et l’art qui ajoute une dynamique intéressante », note Phoebe Greenberg. Ryoji Ikeda a créé pour l’occasion l’installation audiovisuelle L’univers dans l’univers, à apprécier sans casque de réalité virtuelle. Les visiteurs sont alors guidés pendant 10 minutes dans un voyage immersif qui passe du microscopique au macroscopique, sur un écran DEL de sept mètres. Ce segment sert de transition, avant le retour sur Terre. « Ça donne un sentiment de vertige incroyable », assure la productrice Julie Tremblay.

Technologies sur mesure

Le système de suivi des visiteurs n’est pas la seule innovation technologique de L’INFINI. Plusieurs limites ont aussi dû être repoussées pour le tournage dans l’espace.

Une première caméra à tout d’abord été adaptée à l’environnement à bord de la SSI. « La chaleur produite par la caméra ne se dissipe pas de la même manière en microgravité que sur la Terre, alors il a fallu ajouter un système de gestion thermique », explique Félix Lajeunesse. Il a également été nécessaire de changer la façon de tourner avec les caméras et de traiter les images afin de s’ajuster à l’étroitesse de la station, dans le but d’éviter que le spectateur ne ressente un malaise.

Une caméra développée par Felix & Paul pour filmer en 360 degrés dans l’espace. (Crédit : Studios Félix & Paul)

On a également travaillé avec les astronautes afin, par exemple, de leur enseigner à utiliser les caméras et de leur expliquer ce qu’ils devaient filmer. L’opération a dû être répétée plusieurs fois, avec l’arrivée de nouveaux astronautes au fil des différentes missions. « Ils étaient tous très bons, honnêtement, mais certains en ont fait plus, ajoutant des plans de leur propre initiative. C’était le cas notamment de David Saint-Jacques », souligne Félix Lajeunesse. L’astronaute québécois, qui a participé à l’expérience lorsqu’il était à bord de la SSI en 2019, est d’ailleurs l’un des personnages centralisés du premier épisode de Explorateurs de l’espace, une série en réalité de Felix & Paul qui utilise aussi les entrevues en cours dans la station.

Un processus a également été élaboré avec la NASA pour réussir sur Terre les images tournées. Après avoir visionné une version en basse, l’équipe de création doit choisir les séquences d’équipe avec précision qu’elle veut recevoir en qualité originale. « Tout Internet monopoliserait la connexion avec l’espace », dit Félix Lajeunesse. Le reste du contenu est envoyé seulement plus tard, lorsqu’une capsule revient sur Terre avec (entre autres choses) les cartes mémoire de la caméra.

Une exposition en constante évolution

L’INFINI qui sera présentée à Montréal est la première version d’une œuvre qui est appelée à se bonifier. « Notre objectif n’est pas de transformer toute l’expérience, mais certains segments peuvent augmenter, et on pourra ajouter du contenu. Il y a beaucoup d’espace pour ça », note Marie Brassard.

En effet, les astronautes continuent de filmer à l’heure actuelle. Des images qui seront tournées cet été à l’extérieur de la SSI doivent notamment tailler une place dans l’œuvre. Une seconde caméra a d’ailleurs été spécialement créée à cet effet par Felix & Paul. « C’est l’environnement le plus hostile qu’on peut imaginer, avec les radiations cosmiques, l’absence de pression, l’exposition aux rayons du soleil et les écarts de températures extrêmes. On a dû concevoir une caméra à partir de zéro », raconte Félix Lajeunesse. Cette caméra « qui a l’air d’un tank » sera contrôlée par le « bras canadien » lors d’une sortie des astronautes dans l’espace.

« On repousse les limites des expériences de réalité virtuelle à très grand déploiement, et on veut tirer profit des apprentissages qu’on va faire pour améliorer l’exposition », explique Julie Tremblay.

« On espère faire tourner cette œuvre pendant cinq ans. Et il y aura peut-être des dérivés, comme des expériences de niche », ajoute la productrice. Après Montréal, l’exposition déménagera d’ailleurs à Houston, au Texas, siège du programme des astronautes de la NASA. L’INFINI sera présentée du 21 juillet au 7 novembre 2021 à Arsenal art contemporain Montréal. Les billets sont en vente dès ce lundi 7 juin.

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